Entretien avec le chercheur Jonathan Roberge

Entretien avec le chercheur Jonathan Roberge
Entretien avec le chercheur Jonathan Roberge

Le débat sur l’intelligence artificielle n’appartient pas seulement aux informaticiens et à leurs promoteurs, mais à la société dans son ensemble. Chercheur prolifique et excellent vulgarisateur, Jonathan Roberge, professeur titulaire à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), martèle ce message sur toutes les tribunes. Entretien.


Publié à 00h44

Mis à jour à 6h00



Vous écrivez qu’« il existe d’autres voix qui sont sans doute plus critiques et méritent d’être entendues » dans le débat sur l’intelligence artificielle (IA). A-t-il été monopolisé par certains groupes ?

Le message est véritablement celui de la décentralisation et de l’ouverture à la participation. C’est le fruit de quatre, cinq ou six années de recherche de ma part, de la part de mes équipes. On s’est rendu compte qu’en effet, dans la première phase, disons de 2016 à 2020, il y avait un quasi-monopole du discours sur l’intelligence artificielle, justification de l’arrivée de cette technologie, avec une certaine forme de technochauvinisme.

En 2016, cette technologie faisait son apparition. Y avait-il matière à critique, alors qu’on ne savait même pas exactement de quoi elle était capable ?

La vraie question est : comment dépasser cette étape ? Qui sont ceux qui ont parlé jusqu’à présent ? Informaticiens, développeurs et technologues, principalement. Ne devrait-il pas y avoir davantage d’acteurs de la société civile ? Les associations, par exemple, dans toutes les régions du Québec, se sont relativement peu prononcées. Si on y réfléchit, c’est assez centré sur Montréal. Peut-on parler, par exemple, des personnes qui sont concernées par ces technologies ?

Depuis deux ans, on constate néanmoins l’apparition d’une forme de critique de l’IA, notamment de son éthique. Vous trouvez cette critique insuffisante. Pour quoi ?

Ce que vous avez eu, surtout ces dernières années, c’est par exemple cette lettre demandant un moratoire de six mois. Ce n’est pas une critique radicale. Il s’agit d’une forme d’autocritique de la part de certains acteurs du secteur. On a souvent vu ce qu’on appelle en anglaislavage éthique, principes assez vagues et peu restrictifs. Ce que nous avons vu, entre autres avec la Déclaration de Montréal, était un exercice très louable, mais qui n’avait aucun pouvoir contraignant. Les gens utilisaient cela pour dire : « Oui, mais nous, à Montréal, faisons de l’IA responsable. » Mais personne n’est parvenu à définir ce qu’est une IA responsable.

Faut-il remettre en question la notion même d’utilisation de l’IA ?

J’aime dire que nous, sociologues, ne sommes ni prêtres ni apôtres, nous ne sommes pas là pour juger. Je n’ai pas besoin de vous dire si c’est bien ou mal, je ne suis pas un éthicien. Ce que j’essaie de vous dire, c’est qu’il existe un besoin social de mieux comprendre cela. Et ce n’est pas en disant : « c’est noir ou c’est blanc », « c’est bien ou c’est mal », qu’il faut organiser le débat.

Les gens qui critiquent ne sont pas anti-technologie, conservateurs ou rétrogrades. Ce qu’ils disent, c’est : « Ne soyons pas volontairement aveugles. » Essayons d’aller au bout de la réflexion sur ce qu’est notre présent, mais surtout quel est notre futur.

Quels sont les angles morts de ce débat ? Si nous ouvrions la porte à d’autres voix sur l’IA, qu’entendrions-nous ?

C’est une bonne question, et qui est très liée à ce que nous disions plus haut sur l’aspect relativement vague des discours éthiques et des discours promotionnels, dans lesquels on dit que l’IA est responsable, bonne pour le développement. économie de la société québécoise. C’est un discours sur lequel il faut tourner la page. Il faudrait dire : « Qu’est-ce qui est pratique et concret, ici et maintenant, d’un point de vue collectif local ? »

Un exemple : vous avez concrètement une IA qui est franchement américaine, qui a un modèle économique, un modèle de compréhension de la Silicon Valley. Nous avons créé au Québec, pour des raisons économiques, mais surtout culturelles, une industrie du doublage dans laquelle ce sont des acteurs québécois à voix québécoises qui traduisent les choses pour qu’on puisse les écouter. Ce que vous avez aujourd’hui, c’est la capacité technologique d’éliminer complètement cette industrie québécoise du doublage.

Comment intégrez-vous dans votre réflexion le fait qu’à l’heure actuelle, un média que vous avez cité à plusieurs reprises comme étant l’un des responsables de ce déséquilibre, La pressevous ouvre ses pages ?

Je ne me considère pas comme un juge des médias ni même des mérites de cette technologie d’IA. Je suis sincèrement optimiste quant à cette possibilité d’une nouvelle phase de maturité. Les médias, la société civile, tous les acteurs culturels, politiques et économiques doivent pouvoir avoir un débat équilibré et réfléchi, dans lequel on pourra dire que cette technologie n’est pas appropriée. à prendre ou a laisser.

En fait, c’est un appel à plus de dialogue et de débat, point final. Il faut d’une certaine manière être plus humble et plus capable de dire qu’il y a des débats, il y a des désaccords, il faut réussir à laisser place à la critique. Parce que cette technologie n’est ni parfaite ni absolument démoniaque, elle se situe exactement entre les deux. Elle mérite des critiques.

Par souci de concision et de lisibilité, cette interview a été éditée.

Qui est Jonathan Roberge?

  • Auteur depuis 2001 d’une cinquantaine d’ouvrages, articles et études portant principalement sur les répercussions sociales des technologies.
  • A obtenu son doctorat en sociologie de l’Université de Montréal en 2006.
  • Devenu professeur titulaire à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) en 2012.
  • Cotitulaire depuis début juin, avec sa collègue Destiny Tchehouali de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), de la toute nouvelle Chaire de recherche québécoise sur l’intelligence artificielle et le numérique francophones.
 
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