La vie d’entrepreneur n’est pas facile. Encore moins celui des petits commerçants indépendants, ces boulangers, libraires et restaurateurs pour qui les marges sont souvent aussi minces qu’une feuille de papier.
Publié à 1h02
Mis à jour à 5h00
J’ai été inondée de messages après ma « lettre d’amour » publiée la semaine dernière.1. Une chronique qui a mis en lumière la disparition des commerces de proximité dans plusieurs villages, transformés en déserts commerciaux.
Je donne aujourd’hui la parole à deux commerçants, qui m’ont fait part de leurs expériences dans le domaine. Il faut du courage, des tonnes de travail et une bonne dose de pugnacité pour ne pas baisser les bras dans le contexte actuel.
Isabelle Héroux, professeur d’anglais, a quitté Montréal il y a 14 ans pour ouvrir une boulangerie à Saint-Élie-de-Caxton avec son conjoint. Oui : le village rendu célèbre par le conteur Fred Pellerin, en Mauricie.
Leur commerce, du Bon pain, croûte uniquement, attire rapidement une clientèle fidèle venue des villages alentours. Les affaires vont bien et le couple s’estime « vraiment chanceux ». Mais quand même : « les temps sont durs ».
Les vents ne viennent pas seulement de face : ils soufflent de toutes parts.
« L’explosion du coût des matières premières, les intérêts des prêts hypothécaires commerciaux (on est à 10,25 %), l’électricité qui aura bondi de 11 % en deux ans, l’augmentation des salaires, le remboursement du prêt COVID, toutes ces données font qu’en 14 Depuis des années, c’est la toute première fois que j’ai envie de changer de vie pour une vie plus simple », m’explique Isabelle Héroux.
« Un travail de bureau de 8h à 16h, du lundi au vendredi, des vacances, mais surtout moins de jonglerie avec les chiffres, moins de réflexion sur le comment », poursuit-elle. Comme une grande majorité de propriétaires de petites entreprises et d’entreprises locales (j’en rencontre beaucoup), j’ai repris le travail à temps partiel, pour nous faciliter la vie. »
Vous avez bien lu.
Lorsqu’elle ne sert pas les clients de sa boulangerie, la femme de 50 ans fait des suppléances dans les écoles, en plus de donner des cours de français aux travailleurs immigrés de sa région. Ce salaire supplémentaire permet à la famille de payer des « extras », comme un voyage au Portugal, qui seraient hors de portée avec les seuls bénéfices de leur petite entreprise.
Les semaines sont longues. Isabelle Héroux ne s’en plaint pas. Mais il faudra aussi rembourser ces 130 000 $ investis en équipement en 2021, « sans évidemment savoir que l’économie serait si mauvaise et que les taux d’intérêt seraient si élevés ».
Ce qui la décourage surtout, c’est « le manque d’intérêt des autorités gouvernementales » envers les petites entreprises comme la sienne.
« Ces derniers ne se soucient que du gigantisme du développement « vert », que nous, contribuables, devrons financer sur des dizaines, voire des centaines d’années, et pourtant… Le développement durable et régional passe aussi par les entreprises locales, qui permettent aux gens de s’approvisionner sur place. leur territoire et ainsi éviter à des populations entières de parcourir des kilomètres. »
Éric Martel est propriétaire de son entreprise depuis 32 ans à L’Assomption, dans Lanaudière. Un véritable « magasin général », dont la naissance en 1887 en fera l’un des plus anciens au Canada.
Il y a plus de 14 000 produits chez Desmarais : blocs Lego, papeterie, appareils photo, coffres-forts. Tout, « sauf la lessive et la nourriture ». La concurrence est rude autour du magasin. Il y a un Tigre Géant, un Dollarama, un Pharmaprix…
Pas facile pour un magasin indépendant de se démarquer – et d’égaler les prix – parmi toutes ces chaînes.
« Les temps sont difficiles », me résume l’homme de 55 ans.
Si je n’étais pas propriétaire du bâtiment et que mon entreprise n’était pas payée, nous ne serions plus là !
Éric Martel
Les « vraies » difficultés du magasin Desmarais ont commencé vers 2017. Elles se sont accélérées – et se sont cristallisées – pendant la pandémie.
« Les gens ont pris l’habitude de commander en ligne, ils n’avaient pas beaucoup de choix pendant la pandémie et ces habitudes sont restées », m’a expliqué Éric Martel. La jeune génération est encore plus difficile, c’est ancré en elle. C’est un phénomène de société : c’est plus facile. »
Les marges sont « maigres » et « tous les coûts » comme les taxes et les assurances ont bondi au cours des trois dernières années. Le propriétaire a réduit ses effectifs de moitié, à six employés, payés près du salaire minimum.
Ce qui se passe ensuite n’est pas clair. « J’ai une employée très dévouée, j’aimerais lui passer le flambeau, mais je ne lui rendrais pas service pour le moment. Mon entreprise ne vaut pas grand-chose aujourd’hui, à part ce qu’elle contient. »
Mais tout espoir n’est pas perdu.
« J’ai toujours confiance. Je crois en un retour aux sources. Tous ceux qui entrent dans le magasin sont heureux de constater que ce type de commerce existe toujours. »
1. Lire la chronique « Lettre d’amour aux commerçants locaux »