Thomas Dutronc annonce le décès de Françoise Hardy

Thomas Dutronc annonce le décès de Françoise Hardy
Thomas Dutronc annonce le décès de Françoise Hardy

En 1962, la France était aux prises avec l’une de ses pires crises politiques. Le 22 août, la Citroën DS présidentielle dans laquelle se trouvaient le général de Gaulle et son épouse Yvonne est criblée de balles au Petit-Clamart. Quelques mois plus tard, le 28 octobre, un référendum était organisé sur l’élection au suffrage universel direct du Président de la République.

Ce soir-là, en attendant les résultats sur la seule chaîne de Radio-Télévision française (RTF), une toute jeune fille apparaît à l’écran, d’une timidité désarmante : Françoise Hardy interprète « Tous les garçons et les filles », sa chanson douce-amère. Devant leur petit écran noir et blanc, des centaines de milliers de Français sont tombés sous le charme évanescent du jeune Parisien. D’abord sortie en face B d’un 45 tours quatre pistes, puis en single deux pistes, la chanson a été un succès. A 17 ans, la carrière de Françoise Hardy est lancée.

Loin des yeux

Avec “Tous les garçons et les filles”, on est très loin du twist et des chansons yé-yé qui font vibrer les juke-box : directeur artistique de Vogue records, Jacques Wolfsohn n’est pas très enthousiaste et place le titre comme quatrième titre du maxi 45 tours. Il faut le dire : le texte n’est pas plus engageant que cela, qui dit notamment :

« Et les yeux dans les yeux et main dans la main

Ils partent amoureux sans crainte du lendemain

Oui, mais je marche seul dans les rues, l’âme en souffrance

Oui, mais j’y vais seul, car personne ne m’aime.

C’est ce que ressentait à l’époque la jeune fille de 17 ans : un sentiment de profonde solitude, une grande mélancolie. Elle est née le 17 janvier 1944 dans Paris occupé. L’enfance et la jeunesse de Françoise Hardy ne la prédisposent pas à un tempérament très joyeux. Dans un petit deux pièces du 9e arrondissement, elle a grandi avec sa mère, Madeleine Hardy, restée célibataire par souhait, et Michèle, sa sœur cadette d’un an, malade mentale et atteinte de schizophrénie paranoïaque.

Marié par ailleurs, le père est le grand absent de la vie de Françoise Hardy, situation qui l’oblige à vivre son enfance dans une sorte de clandestinité : “Nous savions qu’il ne fallait pas savoir que nous existions”dirait-elle plus tard.

Le regard révélateur du photographe

Alors ne parlons même pas de sa grand-mère maternelle « névrotique, déséquilibré », avec qui l’enfant passait les week-ends et se faisait constamment répéter qu’elle était laide. Quelle revanche quand, à peine âgée de vingt ans, la jeune Françoise devient une icône de mode ! C’est à travers les yeux du photographe Jean-Marie Périer, fils d’Henri Salvador élevé par l’acteur François Périer, qu’elle commence à découvrir sa beauté proche de la perfection.

Dès son entrée en scène – 1963, un premier Olympia avec Richard Anthony – les grands couturiers se sont empressés de l’habiller : en 1964, elle popularise le tailleur-pantalon tout blanc à col, d’André Courrèges, qui lui va à merveille. Deux ans plus tard, c’est le smoking d’Yves Saint Laurent avant, en 1968, une robe tressée métallique, une cotte de mailles de 38 kg qu’elle porte sur scène au Savoy de Londres.

Dans ce dernier cas, son bourreau, Paco Rabane, ne tarit pas d’éloges : « Françoise Hardy était un mythe, un mythe de la femme contemporaine, un peu garçon manqué, un peu libre de ses mouvements, libre d’agir avec son visage anguleux, ses coiffures strictes, ce corps très long, presque masculin. Quand elle est venue me voir, j’étais ébloui” (1).

Mini, mini, mini, tout est mini dans notre vie

De passage à Londres pour la première fois en 1963, pour représenter Monaco à l’Eurovision – où elle se classe cinquième avec « L’amour s’en va »… -, elle y revient en 1964 pour enregistrer son troisième album. Dès cet instant, la jeune femme s’inscrit dans le Swinging London, adoptant les robes et jupes raccourcies de la créatrice Mary Quant, assorties à de longues bottes blanches…

Sur ce, ils tombent tous comme des mouches, Bob Dylan, David Bowie, Mick Jagger. Pour une amoureuse de la chanson comme elle, Robert Zimmerman est un génie. Il fête son vingt-cinquième anniversaire le 24 avril 1966 à l’Olympia. Françoise et Robert se voient pour la première fois à l’entracte d’un concert qu’elle trouve – déjà – désastreux. Puis dans sa suite du Georges V, où il lui fait écouter d’abord « Just Like a Woman » et « I Want You ». « Ce n’est qu’en écrivant mon autobiographie que je me suis demandé pour la première fois s’il n’y avait pas une intention dans ce choix. J’étais très naïf, et c’était dans les années 1960. ».

David Bowie admet : «Pendant très longtemps, j’ai été passionnément amoureux d’elle. Tous les hommes et beaucoup de femmes l’étaient aussi. Et nous le sommes toujours. Quant au petit Mick, il déclare simplement qu’elle est son idéal féminin. «J’étais très heureuse, surtout quand la personne qui dit que c’est ton homme idéal. Mais finalement, malheureusement, cela l’a conduit à Marianne Faithfull et moi à Jacques Dutronc. Je ne me plains pas”, dit-elle en riant. En Angleterre, Jacques et Françoise sont les « Mick et Marianne de la pop française »…

Françoise Hardy et Jacques Dutronc au Palmarès des Chansons : Dutronc a reçu le disque d’or le 17 novembre 1967 Neg:C74747 — Françoise Hardy et Jacques Dutronc ont reçu l’or lors du prix de la chanson le 17 novembre 1967 Reporters / Rue des Archives *** Légende locale *** Françoise Hardy et Jacques Dutronc reçoivent l’or lors du prix de la chanson 17 novembre 1967 ©Reporters / Rue des Archives

« Le temps de l’amour »…

Leur histoire pourrait remplir un livre entier. Alors tous deux chez Vogue, la maison de disques, ils se sont croisés indirectement lorsque Françoise a repris « Le temps de l’amour », une composition de Jacques, pour son premier album. On parlait alors de Jacques comme guitariste pour la tournée de Françoise. Ils se rencontrent à Paris, alors qu’elle est au volant de son Austin Cooper – toujours la Swinging London – et lui fait signe de lui demander s’il est prêt à l’accompagner. “Il était très sournois, comme il l’a toujours été par la suite.”

Timides et réservés comme ils sont, il leur faudra un an pour se retrouver. Il était fan de la chanteuse, elle a craqué pour une voix qui en disait long, un côté mystérieux et surtout son côté bad boy : “Les oies des neiges sont toujours attirées par les mauvais garçons, dit-elle à Mireille Dumas, et les mauvais garçons sont toujours attirés par les petits anges purs et gentils, c’est ce que j’étais à l’époque. (1).

“Message personnel”

Leur couple emblématique durera vingt ans. En 1981, ils se sont arrêtés à la mairie de Monticello pour officialiser leur relation et, même après leur séparation, ils n’ont pas divorcé. Durant les sept premières années de leur vie atypique, Françoise et Jacques se sont très peu vus. C’est dans ces conditions qu’en 1973, année de la naissance de leur fils Thomas, elle lui adresse un « Message Personnel » :

“Mais si jamais tu crois que tu m’aimes

Je ne vois pas cela comme un problème

Et cours et cours jusqu’à ce que tu perdes le souffle

Viens me rencontrer »

Non seulement ils se voient rarement, entre tournées et tournages, mais Dutronc père reste un coureur de jupons irréductible : « Jacques a vraiment eu des sentiments que je crois profonds pour moi, et c’est quelqu’un qui, contrairement à moi, dissocie totalement ce qui est en dessous de ce qui est au-dessus ». Cela donne « vingt années d’une intensité incroyable, avec beaucoup de douleur »jusqu’au jour où elle n’attend plus, et où le démon de midi la libère de ses chaînes.

Comme un poisson en studio

Elle qui se définit comme « né sédentaire », n’aime pas cette vie itinérante entre deux Boeing ou Caravelles, qui la rend malade. Elle souffre d’un trac intense et n’apprécie pas d’être séparée de ceux qu’elle aime. En 1968, Françoise Hardy quitte la scène pour se réfugier en studio. «J’aime être en studio. Le studio c’est toute ma vie, j’y ai l’impression d’être un poisson dans l’eau” (3).

Exception dans le milieu qu’elle fréquente au début des années soixante, à 20 ans, Françoise Hardy est une auteure-compositrice-interprète, se distinguant des yéyés et autres rockers de l’époque. Le directeur de la télévision Jean-Christophe Averty l’a d’emblée remarqué : « Elle contrastait visiblement avec toutes les autres souris qui pouvaient venir défiler sur les 45 tours des années soixante » (1).

Malgré l’arrêt de la scène, elle restera jusqu’au bout, aussi longtemps que cela sera possible, auteure-compositrice-interprète, car la chanson est toute sa vie : « La chanson est un art dans la mesure où on arrive, avec ce qu’on vit, à faire quelque chose dans lequel beaucoup de gens peuvent se reconnaître », elle dit. Partant de mélodies, souvent mélancoliques, elle estime que « On est sans doute plus inspiré quand on est dans un certain mal-être pour écrire des textes, car c’est un véritable exutoire dans la réalité. » Et un vecteur quand on n’a pas de communication facile : « La plupart des chansons que j’ai composées étaient dues au fait que j’avais du mal à exprimer mes sentiments. La véritable motivation était d’essayer d’émouvoir la personne qui était dans ma vie à ce moment-là..

Le prix de l’amour

Tout au long de sa vie, l’amour a été au centre de ses préoccupations. « L’amour vaut la peine d’être vécu, mais il faut en payer le prix. C’est certainement quelque chose qui coûte beaucoup d’argent.. Elle le pensait déjà quand, en 1968, elle reprenait « Il n’y a pas d’amour heureux », de Georges Brassens et Louis Aragon. Un verset surtout exprime ce qu’elle ressent : « Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard ».

Cet amour qui a toujours été si compliqué à vivre, elle le définit si bien : « L’amour est une présence qui ne juge pas, qui ne demande rien et n’attend rien. Et qui répond aux vrais besoins de l’autre. Et l’amour, normalement, est quelque chose qui doit faire grandir l’autre.

Selon elle, elle a eu deux immenses joies dans sa vie. La première eut lieu fin 1961, lors de son audition chez Vogue, devant le directeur artistique Jacques Wolfsohn qui lui proposa de signer un contrat : «C’était vraiment le plus grand bonheur de ma vie professionnelle»disait-elle en 2016 au micro de Didier Varrod sur France Inter. “Je me revois encore quitter le 54 rue d’Hauteville, là où se trouvaient les bureaux de la maison Vogue, et être dans la rue comme sur un nuage et avoir envie d’embrasser tous ceux qui passaient par là”.

Pour l’amour de Thomas

L’autre est évident : “Thomas, aujourd’hui, à l’âge que j’ai, je peux dire que c’est le plus grand bonheur que la vie m’ait apporté”. Alors que, gravement malade, elle ne pensait pas tenir longtemps, c’est à lui d’abord qu’elle écrivit « Tant de belles choses », l’un de ses plus beaux textes :

“Même si tu dois lâcher ta main

sans pouvoir te le dire demain

l’amour est plus fort que le chagrin”

La chanson se termine par “L’amour est plus fort que la mort” : “C’est une phrase un peu vague mais, en même temps, elle résume ma pensée”, nous avait-elle confié lors de la sortie de l’album en 2004 (4). Et elle a terminé cet entretien par ces mots : « La condition humaine est tragique », « En même temps, il y a de si belles choses sur cette planète. Je suis enchantée par un paysage, une fleur, un ciel, bien plus qu’avant car je sais que ça ne durera pas longtemps. Quand nous serons de purs esprits, le plus dur sera de ne plus pouvoir boire du bon vin ».

Remarques

1. Entretien avec Mireille Dumas pour le documentaire « Françoise Hardy, une icône », France Télévisions, 2021.

2. « Le désespoir des singes et autres bagatelles », autobiographie, Françoise Hardy….

3. La Libre Belgique, éditions du 27 mars 2010, pour la sortie de l’album « La pluie sans parapluie ».

4. La Libre Belgique, éditions du 16 novembre 2004, avec la sortie de l’album « Tant de belles choses ».

 
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