«J’étais amoureux à chaque fois que je récoltais»

«J’étais amoureux à chaque fois que je récoltais»
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Journaliste, amateur de littérature et de football, Bernard Pivot, décédé lundi 6 mai 2024, était aussi un passionné de vin, dont il parlait avec gourmandise et humilité dans une interview en 2013. L’ancien animateur d’Apostrophes se disait avoir la chance d’aimer tous les vins. Mais il avoue un faible pour les produits de Bourgogne où il a grandi et dont il garde ses plus beaux souvenirs.

Pouvez-vous nous raconter votre première rencontre avec le vin ?

« Ce n’est pas une rencontre comme celle d’un homme avec une femme ou celle d’un homme qui découvre un jour un paysage. J’ai été imprégné d’un paysage viticole appelé Beaujolais. J’étais encore un petit garçon et j’allais déjà passer des vacances dans cette région. Et à l’âge de cinq ans, quand la guerre éclata – mon père était prisonnier de guerre – ma mère se retira avec mon petit frère et moi dans le petit appartement d’un village du Beaujolais qui s’appelait Quincié-en-Beaujolais. A la base, je suis née dans le Beaujolais comme je suis née à Lyon. J’ai toujours connu ce paysage de vignes. Il ne s’agit donc pas d’une rencontre mais d’une lente osmose.

Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez dégusté du vin ?

” Non pas du tout. Nous étions très amis avec le vigneron de ma mère qui possédait un petit domaine de 5 ha. La première fois que j’ai dû le boire, il était probablement coupé avec de l’eau. Et puis, j’y ai goûté comme tout le monde. Ma relation au vin était celle d’un petit garçon du Beaujolais.

Aujourd’hui, quel rapport entretenez-vous avec le vin ?

« Je suis un consommateur, un dégustateur, un Français qui aime et a toujours aimé le vin, qui accompagne ses repas de vins, modestes ou grands. Tout dépend de l’occasion.

Quels sont vos goûts?

« J’ai la chance d’aimer la plupart des vins. Si j’avais été quelqu’un d’aussi intolérant que j’en rencontre souvent, notamment à Bordeaux, je n’aurais pas écrit le Dictionnaire des Amateurs de Vin. Je suis ouvert à différents vins comme je suis ouvert à différentes littératures.

Le vin est-il un alcool ou une boisson comme les autres ?

« Le vin n’est en aucun cas un alcool comme les autres. Le vin appartient à la culture universelle. On ne peut pas raconter l’histoire du monde sans raconter l’histoire du vin. On ne peut pas raconter l’histoire des religions sans mélanger le vin. Voyez par exemple le nombre – 400 je crois – de citations dans la Bible faisant référence au vin. Le vin est également présent dans les Évangiles. Le premier miracle que Jésus accomplit est de transformer l’eau en vin. Le vin est également présent dans l’Odyssée. Il participe au mystère dans la religion catholique et est interdit dans la religion musulmane. Elle est présente dans la littérature persane et arabe, au cinéma, au théâtre. C’est même le seul produit de la terre qui possède un dieu dans la mythologie : Dionysos dans la culture grecque et Bacchus dans la civilisation romaine. Le vin est lié à la culture d’une manière extraordinaire. On ne peut pas en dire autant de la vodka ou de la bière… Aucun autre alcool ne possède cette carte d’identité culturelle.

Paris, 2013. Bernard Pivot : « L’ivresse des mots est moins dangereuse que l’ivresse du vin ». | PHILIPPE DOBROWOLSKA
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Paris, 2013. Bernard Pivot : « L’ivresse des mots est moins dangereuse que l’ivresse du vin ». | PHILIPPE DOBROWOLSKA

Qu’y a-t-il de plus exaltant pour vous : l’ivresse des mots ou celle du vin ?

« L’ivresse des mots est moins dangereuse que l’ivresse du vin. On peut consommer beaucoup de mots, les savourer sans crainte, alors qu’avec le vin, il faut toujours être prudent et veiller à un usage raisonnable de ce produit qui peut, à la longue, s’avérer dangereux. Par contre, ce qui est très intéressant, c’est d’accompagner le vin de mots. Il existe tout un vocabulaire œnologique, à la fois savant et populaire, technique et pictural. C’est d’ailleurs assez amusant de voir comment sommeliers et cavistes jonglent avec ces mots tantôt mystérieux, tantôt trop populaires.

Vous êtes le fondateur du comité des défenseurs du Beaujolais. Pourquoi est-ce si important pour vous de défendre cette appellation ?

« J’y ai une maison familiale et mon frère était vigneron dans cette région. C’est aussi ma région. Et je suis sensible aux difficultés que rencontrent aujourd’hui les vignerons du Beaujolais dont les vins se vendent mal et à des prix tout à fait improbables qui ne leur permettent pas de vivre normalement. Il me paraissait donc normal, en tant que natif du pays, de fonder une sorte de Comité de Défense du Beaujolais. Cela ne veut pas dire que nous allons redonner de la prospérité au Beaujolais. C’est plus symbolique qu’autre chose, mais quand on est en difficulté, on a besoin de symboles et d’encouragements.

Que dites-vous à ceux qui considèrent le Beaujolais comme une « piquette » ?

“C’est stupide. C’est comme si on disait : « Bourgueil c’est piquette ». »C’est grotesque. Comme dans tous les vignobles et comme dans tous les métiers, il y a de très bons vignerons, des bons, des passables et parfois des médiocres. Avec le Beaujolais Nouveau, nous nous sommes concentrés sur certains abus qui existaient il y a dix ou quinze ans mais qui ont disparu aujourd’hui. Certains continuent avec une sorte de snobisme et de méchanceté qui consiste à colporter des déclarations fausses.»

Il existe une cuvée Bernard-Pivot dans le Beaujolais. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

« Quand je faisais de la télévision, on me demandait souvent de donner mon nom sur des bouteilles et j’ai toujours refusé. Je trouvais la promotion de livres incompatible avec la promotion d’un vin. Maintenant que je suis à la retraite, la cave coopérative du village de Quincié-en-Beaujolais m’a demandé si je souhaitais donner mon nom pour les aider. J’ai accepté. C’est une cuvée choisie par un jury de dégustateurs présidé par Pierre Trois-gros, le célèbre restaurateur roannais. Parmi les dix ou douze millésimes en cave, nous choisissons celui qui nous semble le meilleur et dont l’image est la plus cohérente avec l’image qui est la mienne. Évidemment, je ne gagne pas un centime avec ce vin. C’est aussi une manière d’aider les vignerons du Beaujolais et particulièrement ceux de mon village.

Paris, 2013. Bernard Pivot : « Comme la plupart des journalistes, je suis un homme impatient. » | PHILIPPE DOBROWOLSKA
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Paris, 2013. Bernard Pivot : « Comme la plupart des journalistes, je suis un homme impatient. » | PHILIPPE DOBROWOLSKA

Comment décririez-vous ce vin qui vous ressemble ?

« C’est un Beaujolais village qui n’est pas puissant, qui a des couleurs plutôt jolies, avec un peu de soleil, un peu d’humour, très fruité, et assez facile à boire. Tout cela est très subjectif et aléatoire mais le jury essaie de distinguer un millésime qui transmettra le plaisir du Beaujolais, exactement comme j’ai essayé, pendant tant d’années, de transmettre le plaisir de lire.

Que représentent pour vous les vins de Loire ?

« C’est une mosaïque extraordinaire qui s’étend de Roanne à Nantes. Il existe une marqueterie de cépages et de vins, blancs ou rouges, d’une immense diversité. La Bourgogne est beaucoup plus simple à comprendre étant donné qu’il n’existe que deux véritables cépages. Bordeaux aussi.

D’où est venue l’envie d’écrire sur le vin ?

« En réalité, c’est le directeur de la collection « Le Dictionnaire des Amoureux » qui en a eu l’idée. Il cherchait quelqu’un qui ne soit pas un professionnel mais plutôt un amateur. Le plus drôle, c’est que je pensais qu’il allait me demander de faire un dictionnaire pour les amoureux du football. Ce que j’aurais refusé. Je trouve que dans ce domaine, on ne peut que répéter ce qui a déjà été dit. Alors qu’avec le vin, on peut faire preuve de plus de créativité même s’il y a eu des milliers et des milliers d’auteurs d’œuvres qui ont précédé le mien.

Auriez-vous aimé être vigneron ?

« Non, parce que je ne pense pas que j’aurais eu la patience. Comme la plupart des journalistes, je suis un homme impatient.

Et acheter un domaine ?

« Dans les années 1980, alors que tout le monde l’achetait, on me l’a proposé. Mais j’ai refusé. Ce n’est pas mon domaine et ça ne m’a pas du tout tenté. Je ne saurais pas comment gérer une entreprise de vin. A chacun son métier ».

Quel est votre plus beau souvenir avec le vin ?

« C’est la récolte. C’était une période de liberté, de sensualité. La première fois que j’ai gagné de l’argent, c’était en faisant les vendanges. J’étais amoureux à chaque fois que je récoltais, de femmes un peu plus âgées que moi. C’était aussi une fête. Même si nous étions très fatigués, nous avons dansé après le dîner. J’ai récolté entre dix et vingt ans. Et ce sont les plus beaux souvenirs de ma vie.

 
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