MES VIEUX JOURS. Le « Boboyaka » à Bègles, l’art de vieillir en coopérative, « Un lieu qu’on a tricoté ensemble »

Série « Mes vieux jours »

A l’heure où le « bien vieillir » est une problématique nationale, « Sud Ouest » est parti à la rencontre des personnes âgées de la région pour recueillir leurs témoignages. Comment ont-ils choisi de passer leurs vieux jours, à la ville comme à la campagne ? Comment vivent-ils leur vieillesse ? Santé, autonomie, solitude, famille… Ils racontent leur histoire dans « Mes vieux jours », notre série de reportages. Retrouvez tous les articles de la série en cliquant ici.

Vieillir ne donne envie à personne. Et même si Victor Hugo a poétisé l’art d’être grand-père « Il y a on ne sait quelle aube d’une vieillesse épanouie » écrit-il, il n’en reste pas moins que l’arthrose avec son cortège de petites ou grandes galères offrent une perspective qui fait rarement rêver. Sauf avec eux. D’abord parce qu’ils rient beaucoup, parlent au moins autant, n’hésitent jamais à ouvrir une bonne bouteille, à sortir un saucisson, ou encore à partager une salade de courgettes au tofu aux graines de lin, pour peu qu’il y ait du monde autour de la table. Ils se font appeler les Boboyaka, une sorte de tribu de nouveaux « vieux », moins coincés par des idées préconçues que leurs ancêtres, moins enfermés dans des contraintes, certes, ils ont vécu les glorieuses années 30 et sont souvent qualifiés de « baby-boomers ». » mais écrit sur les murs de leur jeunesse « il est interdit d’interdire »…

« Un groupe de vieux amis »

De ces années poilues, il reste quelque chose : de nouvelles idées. Édith est psychanalyste, mariée à Raoul, décédé récemment, elle était issue de la première promotion de Boboyaka, près de Bègles en Gironde. “C’est né lors d’un repas bien arrosé, nous étions toute une bande de vieux amis, à cette époque, vers 2005, nous avions tous des difficultés avec nos parents âgés en fin de vie, ça nous envahissait et ça nous a amené à nous interroger sur notre propre vieillissement. Bref, on s’est dit : mais on s’entend tous bien. Et si on finissait ensemble, en beauté. L’idée était la coopération, la solidarité, pour ne pas alourdir nos enfants et vieillir comme nous avions vécu : autonomes. »

Rien de révolutionnaire, mais un rêve qui a pris racine autour de ce repas fondateur, reflet de « doux fous » qui aurait pu s’arrêter là, mais qui a fini par grandir de jour en jour, perdurer et prendre forme. Aujourd’hui, ils sont une vingtaine, certains pionniers sont morts, quelques-uns ont abandonné en cours de route, mais ceux-ci ont tenu bon. Le terrain est acheté à Bègles, quartier bien nommé « La Castagne », le permis de construire est accordé.

“Le combat a été parsemé de combats”

Ce nom « Boboyaka », presque un mot-valise, s’inspire de l’aventure des femmes de Montreuil, les « Babayagas », cette communauté de féministes à la retraite, mi-sorcières, mi-ogresses, qui vivent depuis 2012 dans un immeuble autogéré, totalement innovant et montré en exemple. Une maison de retraite anti-retraite pour militants qui rêvaient déjà d’une « solution pour une vieillesse digne et décente ». « Nous sommes allés voir les Babayagas à Montreuil, se souvient Édith, ils nous ont inspirés, c’est sûr, mais leur projet n’a pas pu perdurer après le décès de Thérèse Clerc, la fondatrice. Il a fallu adapter notre projet, le penser différemment pour qu’il soit durable, et intégrer des personnes ayant peu de ressources, d’où l’idée d’une coopérative d’habitants. » Une coopérative de résidents avec des locataires. Trouver un terrain dans le quartier de La Castagne à Bègles était une cerise sur le gâteau pour le groupe. « Ce nom nous colle, avoue Nicole, tant le combat a été parsemé de batailles, d’empoignes… »

Restez chez vous, le plus longtemps possible, jusqu’au bout… Et dans un lieu que nous avons tricoté ensemble, car rien chez les personnes âgées ne doit se concevoir sans les personnes âgées ! »


Ici, le collectif érigera un immeuble collectif de 22 logements, rue Jules Verne à Bègles, pour qu’il y ait d’ici deux ans une coopérative de résidents seniors.

Thierry David / SO

« Il a fallu tout inventer », ajoute celle qui est aujourd’hui présidente de la coopérative d’habitation. Trouver une forme juridique adaptée, assurer le montage financier. Nous sommes donc organisés en coopérative sur le principe d’une SCOP, chaque membre détient des parts sociales, nous sommes donc collectivement propriétaires de l’immeuble, mais locataires de notre appartement, pour lequel nous paierons une redevance qui tient compte des revenus des coopérateurs. et ouvre le droit aux APL. Ce loyer permettra de rembourser les emprunts contractés pour financer la construction du bâtiment. » Olé. La pérennité est assurée, puisque dès qu’un membre de Boboyaka La Castagne part, un autre prend sa place. Les personnes à faibles revenus peuvent rejoindre le projet. Zéro spéculation immobilière possible.

Valeurs de solidarité et d’entraide

Sachant que les Boboyaka cherchaient des terrains, l’ancien maire de Bègles, Noël Mamère leur a fait une offre. 2 900 m² à La Castagne que la coopérative a acheté à Bordeaux Métropole au prix du domaine. L’agence d’architecture Dauphins de Bordeaux a conçu un plan de 22 logements participatifs, avec tout ce que souhaitaient les coopérateurs. En plus des logements entre 42 et 72 m² chacun, un jardin sur le toit commun, des espaces communs et même une crèche pour les petits enfants. Permis de construire signé le 31 mai 2023.

Jean-Paul, Sylvie, Nicole, Édith, Anne-Marie, Christiane, Philippe, Thierry et les autres vieux amis n’ont pas perdu leur enthousiasme en chemin. Ils ont tous des profils uniques, mais à peu près les mêmes attentes. Philippe est l’aventurier par excellence, il a traversé l’Atlantique en ramant avec les « papis rameurs » il y a 4 ans, le Cap Nord à vélo l’année dernière, et à 72 ans il n’aspire qu’à lever l’ancre, pour mieux revenir. « Je voulais un endroit où je pourrais partir et revenir avec plaisir, un endroit où vivre avec des gens qui me plaisent. Je suis défricheur, ici c’est l’idéal. » Sylvie, son épouse, est ravie de ne plus être seule lors de son départ « et surtout de vivre dans un lieu innovant, avec des valeurs de solidarité et d’entraide… »

Thierry est ravi, d’ici deux ans, il vivra dans ce lieu convoité : « Nous avons longtemps rêvé, beaucoup travaillé, beaucoup lutté pour vivre ensemble. » Anne-Marie est l’une des dernières intégrées au groupe. « J’ai 70 ans et j’avais très envie de rejoindre une coopérative d’habitation. Je vais très bien, mais je n’ai qu’un fils et il n’est pas question qu’il s’inquiète pour moi. Ce projet citoyen, militant, écologique prend tout son sens. La perspective d’une maison de retraite était si effrayante. Là-bas, je sais que je pourrai rester chez moi le plus longtemps possible, entouré de monde. » « Le plus longtemps possible, ajoute Edith, jusqu’au bout… Et dans un lieu que nous avons tissé ensemble, car rien des vieux ne doit se concevoir sans les vieux ! »

 
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