Sans fournir publiquement aucune preuve, le parquet en charge de son dossier accuse le journaliste d’avoir collecté des informations secrètes pour le compte de la CIA, le service de renseignement américain. Il risque jusqu’à 20 ans de prison pour espionnage, à l’issue d’un procès qui s’est ouvert ce mercredi à huis clos. La Maison Blanche, qui dénonce une «simulacre de procès“, déclare haut et fort qu’Evan Gershkovich n’est pas”pas un espion” et “n’aurait jamais dû être arrêté« .
Le cas d’Evan Gershkovich n’est pas un cas isolé. De plus en plus de journalistes, russes ou étrangers, sont arrêtés et jugés pour des motifs fallacieux : espionnage, terrorisme, fausses informations, discrédit des forces armées russes, etc. La liste est longue.
La justice a également été rendue
Plus largement, une vague de répression sans précédent déferle sur la Russie depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en février 2022. Selon l’organisation russe de défense des droits humains OVD-Info, plus de 20 000 Russes ont été emprisonnés pour avoir affiché une position anti-guerre entre 24 février 2022 et 20 mai 2024. Des pressions extrajudiciaires, comme des cas de harcèlement, d’intimidation ou de menaces, sont également régulièrement observées.
La justice ne se contente plus de faire respecter la loi ; en Russie, elle poursuit même très clairement un autre objectif au service du pouvoir : purger l’opposition politique, en mettant hors de danger toute dissidence, c’est-à-dire en prison. Cette utilisation agressive et offensive du droit pour maintenir les élites à la tête de l’État donne lieu à une « dictature du droit », pour reprendre les mots de Gilles Favarel-Garrigues, directeur de recherche au CNRS. Selon lui, le mécanisme est clair : chacun a potentiellement quelque chose à se reprocher. Et si ce n’est pas le cas, il suffit d’inventer des cas.
guillementQue la torture soit montrée si explicitement devant un tribunal est complètement nouveau
«Ce qui est nouveau depuis 2022, c’est que les avocats sont également visés. Ils sont beaucoup plus contraints dans leur activitéanalyse le chercheur qui vient de publier « La verticale de la peur » (Ed. La Découverte). Avant la guerre en Ukraine, même s’ils étaient sûrs de perdre, les avocats utilisaient les procès comme une tribune pour dénoncer l’injustice du traitement des personnes qu’ils défendaient. Ils avaient encore une certaine liberté d’expression. J’ai l’impression que c’est fini en Russie.“
Comment Vladimir Poutine utilise la peur pour maintenir les élites dans le droit chemin
Violences extrajudiciaires présumées
Au-delà de cibler de nouveaux métiers, le dérapage de la machine répressive s’illustre par le fait que les forces de l’ordre recourent à la violence de manière de plus en plus assumée, en parallèle des procédures judiciaires. L’exemple le plus frappant cette année est l’état des quatre accusés lors de l’attaque contre la salle de concert Crocus City Hall, survenue le 22 mars et qui a tué 144 personnes, à leur arrivée au tribunal. Tous présentaient des signes visibles de torture sur leur visage et leur corps.
«C’est une démonstration de toute-puissance.s’inquiète Gilles Favarel-Garrigues. Tout le monde sait que la torture existe dans les lieux de détention en Russie. Mais que cela soit montré de manière aussi explicite devant un tribunal est une nouveauté. Une étape a été franchie dans la communication des pouvoirs publics russes. Ce ne sont plus seulement des discours, ce sont des images qui démontrent que le pouvoir en Russie, c’est à la fois la loi et la violence.“