la désinformation massive sur les réseaux sociaux se développe (et c’est à qui elle semble vouloir favoriser…)

De faux comptes sur les réseaux sociaux tentent d’influencer les électeurs de droite pour les inciter à voter pour le nouveau Front populaire.

Atlantico : Suite à l’annonce par Éric Ciotti de l’alliance entre Les Républicains et le Rassemblement National, un grand nombre de faux comptes se présentant comme d’anciens sympathisants LR appellent à voter pour le Front Populaire sur X (ex-Twitter). Que sait-on de ce phénomène ? Peut-on y voir une opération des militants de LFI à l’approche des élections législatives ?

Fabrice Epelboin : Compte tenu du nombre de faux comptes impliqués dans cette opération, il est plus que probable que ces actions aient été coordonnées et réfléchies. Cette forme d’humour est aussi vieille que Twitter. Cela consiste à troller l’adversaire, à se moquer de lui, à le caricaturer pour faire rire son camp et le fédérer par la même occasion. L’objectif est de maintenir une base militante unie et active face aux adversaires, et ce en dehors des périodes électorales, afin de les disposer en cas de besoin.

Ces formes d’humour font partie de la culture originelle de Twitter et plus largement de l’internet social. Sur Twitter, cela a commencé à s’imposer à la fin des années 2000, lorsque le réseau est devenu populaire dans le milieu politico-médiatique parisien. Des formes d’humour assez grinçantes se développent alors, qui passent par cette manière de troller et de mettre en scène une caricature de l’adversaire.

Le réseau de faux comptes que vous avez découvert est bien caractéristique de cette culture Twitter, il est clairement conçu pour rassembler et se moquer des ennemis de LFI. On peut le comparer aux Guignols de l’info, qui avaient la même logique de moquerie et de caricature des politiques, sauf qu’ici nous sommes à l’ère des réseaux sociaux. Ce qui est sûr, c’est que cette opération – particulièrement bien exécutée – fait rire les militants de LFI, et certainement au-delà.

A l’approche des élections législatives, faut-il s’attendre à entrer dans une ère de désinformation massive sur les réseaux sociaux ?

Quant à ce réseau que vous avez mis à jour, nous sommes déjà au sommet du système, et il n’est pas contrôlé par ChatGPT, bien incapable d’automatiser ce genre de trolling humoristique ! Il y a beaucoup de particuliers qui investissent du temps derrière ces comptes, dont beaucoup existent depuis plusieurs années, ce qui fait que tout cela n’a pas été mis en place pour les élections législatives ni même pour les élections européennes ou la dernière présidentielle. . Ces comptes ne vont pas doubler en nombre au cours de la campagne, il faudrait doubler les moyens humains derrière, et si vous disposez de tels moyens, il y aura bien mieux à faire avec eux dans les semaines à venir.

Il ne s’agit pas à proprement parler d’une opération d’influence, ce trolling ne rapportera pas de voix au Nouveau Front Populaire, il sert seulement à fédérer les militants, notamment dans les périodes creuses, entre deux campagnes électorales, afin de les maintenir actifs et mobilisés. Cela sert à grand chose en interpellant infiltré un militant du camp adverse et en provoquant un échange absurde aux yeux de la communauté des militants LFI qui suivent le compte, pour rire à leurs dépens. C’est pour rire ensemble et s’amuser.

Quant à la désinformation dans l’absolu et dans le cadre des élections législatives, c’est plus compliqué. Nous sommes déjà entrés dans la désinformation massive. Les trolls de Poutine ont popularisé le concept en 2016 avec l’élection de Trump, et c’est à cette période qu’on a évolué vers ce que l’on peut qualifier de « désinformation massive » sur les réseaux sociaux.

Mais nous sommes en 2024, et la barrière à l’entrée aujourd’hui n’est pas la Russie mais l’Azerbaïdjan, qui déploie de telles opérations en Nouvelle-Calédonie. A partir de là, faites une liste de pays qui seraient tentés par une telle ingérence au sein de la cinquième puissance mondiale qu’est la France, et dites-vous qu’ils ont tous les moyens de payer de telles opérations, et pour de nombreuses et excellentes raisons. Il existe de nombreuses agences spécialisées, comme celle révélée dans l’enquête Forbidden Stories.

Cela dit, le côté totalement inattendu de la dissolution fait que même avec les moyens, imaginer et déployer un système en si peu de temps est très compliqué, ce qui limite donc quelque peu les interférences étrangères. Après, il faut reconnaître qu’avec l’arrivée de l’intelligence artificielle générative, cela change tellement la donne que la situation ne peut qu’empirer.

Historiquement, que sait-on des instigateurs de ce type de campagne, à gauche comme à droite ?

LFI et Reconquête sont les seuls à disposer d’une véritable expertise stratégique intégrée, les autres sont pratiquement nus, et se contentent du community management et de la communication digitale, le strict minimum.

Mais le dispositif de la Reconquête est encore embryonnaire, et seule LFI a aujourd’hui la capacité d’imaginer et de mener ce type de campagne. Le système Reconquête ! – composé des têtes pensantes de la « fachosphère » – serait en mesure de mener une telle opération, mais elle s’appuie en grande partie sur le volontariat et elle est décentralisée, elle est beaucoup plus complexe à manœuvrer qu’à LFI où il s’agit de faire un bref aux équipes lors de la réunion du lundi matin que les patrons ont préparée pendant le week-end.

Le système numérique dont dispose l’extrême droite dans son ensemble, outre que ses têtes pensantes ont rejoint le clan Zemmour et qu’elles se trouvent dans une situation compliquée, est beaucoup moins organisé et professionnel, et surtout, il est décentralisé. , où le dispositif numérique de LFI est centralisé, organisé, expérimenté et professionnel. Elle date des années 2010 et de la création du Front de gauche par Jean-Luc Mélenchon, qui faisait confiance à des gens comme Antoine Léaument, qui a bâti en une décennie une véritable agence de communication numérique intégrée aux partis de Jean-Luc Mélenchon. Luc Mélenchon – Front de gauche puis LFI.

La situation à l’extrême droite est très différente. Ce qui fait office de dispositif numérique est né à la fin des années 90, lorsque Jean Marie Le Pen a été banni des plateaux télé après avoir décrit les chambres à gaz des camps d’extermination nazis comme un détail – à l’époque l’antisémitisme n’était pas pris à la légère. et cela a fait de toi un paria. Du coup, la base militante qui ne voyait plus ses idées à la télévision s’est repliée sur Internet, avant même l’arrivée de l’ADSL. Un peu comme un exil, dans des terres désertiques à l’époque et un peu hostiles, car techniquement plus difficile à comprendre que la télécommande de son téléviseur.

Le FN de l’époque n’avait sans doute jamais entendu parler d’Internet et personne ne comptait sur lui pour faire de la politique, et ces militants, en ordre dispersé, se sont emparés des pages personnelles, puis des premiers blogs, puis des réseaux sociaux, puis des messageries instantanées, et tout cela a donné naissance à ce que l’on appelle la « fachosphère ».

De cette mouvance fasciste ont émergé des influenceurs comme Pierre Sautarelle ou Damien Rieu, mais tout cela s’est constitué sur la base de militants bénévoles sans ressources financières, regroupés au sein d’un réseau totalement décentralisé sur lequel le RN n’avait aucune influence. de contrôle – tout le contraire d’une agence de communication intégrée à un parti, avec des collaborateurs et une gestion de projet pilotés selon des objectifs stratégiques.

Le RN d’aujourd’hui n’est pas beaucoup plus évolué que le FN des années 90 en matière d’internet, ils ont juste une base militante qui est sur le terrain depuis plus d’une génération, dont Bardella est un rejeton. Tout le monde s’extasie sur les performances de Jordan Bardella sur Tiktok, mais Jean-Luc Mélenchon fait bien mieux, et il y a une demi-douzaine d’élus LFI qui sont juste derrière lui en termes d’influence, car tous accompagnés d’équipes professionnelles et expérimentées. Bardella, de son côté, se contente de recycler ses apparitions télé en y ajoutant de petites productions peu élaborées. Il vient de rencontrer un public, ce n’est pas le résultat d’une stratégie digitale élaborée.

Que savons-nous du véritable impact de ces campagnes ? Dans quelle mesure peuvent-ils modifier, même légèrement, le résultat d’une élection ?

Je ne pense pas que cela puisse influencer le résultat d’une élection. Imaginez-vous un instant un militant LR qui vire sa mignonne en découvrant ces récits, et qui se mettrait à chanter les louanges de Jean-Luc Mélenchon et à traiter Raquel Garrido de traître ? C’est absurde, mais c’est drôle !

En revanche, ce sont des opérations très intelligentes sur le long terme, non pas dans un but électoral mais pour fédérer une communauté, la maintenir active, sans tomber dans le pathos ou la haine, ce qui est un changement agréable. Je pense que c’est une excellente manière de faire, surtout compte tenu des nombreux temps morts entre deux campagnes, où maintenir une base militante active et mobilisée est un véritable défi et où l’on ne peut pas se permettre de s’alimenter exclusivement de la haine de l’autre.

Je comprends que cette forme d’humour en échappe à beaucoup, tout comme les Guignols de l’Info en leur temps ne faisaient pas rire tout le monde, mais je vous garantis qu’ils en maîtrisent les codes et que si vous les comprenez, c’est franchement drôle.

 
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