« Le vin est un vecteur de culture »

« Le vin est un vecteur de culture »
« Le vin est un vecteur de culture »

Bernard Pivot est décédé le 6 mai, au lendemain de son 89ème anniversaire. Ses émissions Apostrophe et Bouillon de culture ont fait les beaux jours littéraires de la télévision française. Né à Lyon, il passe son enfance à Quincié-en-Beaujolais où ses racines familiales imprègnent le futur amateur de vin. Nous l’avons rencontré à Grignan, en 2018, lors de son émission “Au secours, les mots m’ont mangé !” « . Le journaliste, critique, auteur du Dictionnaire des amateurs de vin (Plon), était alors un très jeune comédien. C’était une délicieuse interview.

Pourquoi dites-vous que vous n’aviez aucune légitimité à rédiger ce « Dictionnaire des amateurs de vin » ?
Ce n’est pas moi qui en ai eu l’idée, c’est l’éditeur qui connaissait mon goût pour le vin et le fait que j’ai passé ma jeunesse dans une région viticole. Je ne suis pas un expert, juste un amateur. Le vin est un vecteur de culture. Ce qui m’intéresse, surtout à notre époque où le vin est décrié, méprisé, combattu, souvent considéré comme le diable, c’est de montrer qu’on ne peut pas, par exemple, parler de l’histoire de l’humanité sans parler du vin. Nous ne pouvons pas raconter le monde sans sa géographie, son histoire, sa culture, ses religions. Le vin est le seul produit de la terre qui possède un dieu dans la mythologie grecque et latine. Dans l’Iliade et l’Odyssée, il y a la vigne et le vin. Le premier miracle de Jésus est le vin qui en est le bénéficiaire. Il faut voir l’importance du vin dans les religions monothéistes.

Il y a une expression que j’adore mais qui malheureusement est en train de disparaître, c’est le vin d’honneur ! C’est un bel hommage que l’on peut rendre au vin, en le mettant à l’honneur. Aucune autre boisson n’est liée à l’honneur. Ce sont toutes les raisons pour lesquelles j’ai écrit ce livre.

Vous citez l’Hermitage, Condrieu…
Chez mon père, lors des grandes occasions, on buvait du Condrieu. Il avait la réputation d’être le vin le plus fragile du monde. Il pourrait aller jusqu’à Lyon. Après à Mâcon il tremblait déjà, à Tournus il filait, ne parlons pas de Paris, là il était mort. Mon père a pris la bouteille avec une délicatesse incroyable comme s’il allait mourir entre ses mains. Châteauneuf-du-Pape porte un nom absolument incroyable pour moi qui viens d’une famille chrétienne pratiquante. C’était un vin magique, presque le vin de Dieu, on en buvait rarement. Dans ma jeunesse, on buvait des vins de Bourgogne, des Côtes du Rhône et du Porto lors des grandes occasions, à l’apéritif. J’ai appris moi-même les autres noms plus tard.

J’ai toujours aimé le vin car j’ai travaillé dans les vignes du Beaujolais, jusqu’à l’âge de 20 ans, pendant les vacances : vendanges, labours, sulfatage, pressurage. Sauf la taille qui n’était pas confiée à des adolescents. J’ai surtout appris à discuter au chai avec le vigneron. On déguste, on parle du vin et puis on parle d’autres choses. L’art de la conversation, qui était ma façon d’être à la télévision, je crois que je l’ai appris là-bas, à la cave, en discutant de tout et de rien. Je me souviens d’un vieux vigneron qui exploitait les 5 hectares de vignes de mes parents, un caractère un peu rude, qui m’a donné le goût du vin. Ce survivant de la guerre de 14, je l’ai vu pleurer un jour de grêle, deux ou trois jours avant les vendanges. Je ne l’ai pas oublié.

Vous êtes aussi propriétaire de vignes !
Il y a un hectare de vignes autour de ma bastide. C’est mon frère qui a repris la propriété de mes parents. Le tropisme des années 80 où chacun achetait un vignoble pour se dire vigneron, je n’y ai pas cédé. Je suis coopérateur car les raisins partent à la cave coopérative de Quincié-en-Beaujolais. Je n’ai jamais voulu usurper le statut de vigneron.

Où il y a un millésime Bernard Pivot !
Maintenant que je suis à la retraite, pour aider les vignerons de mon village, je leur ai donné mon nom. Je ne gagne pas un centime avec la vente de ces bouteilles. Il est choisi par un jury présidé par le restaurateur Pierre Troigros. On se retrouve un matin, la cave présente une dizaine de millésimes. Nous sélectionnons celui qui correspond le mieux à mon image, à ce que j’aime. Ensuite, nous prenons une collation ensemble. Nous buvons le vin de l’année précédente. C’est convivial et très amusant.

Le vin est-il synonyme de bons repas ?
Le vin est lié à ce que nous mangeons. Nous revenons à la religion chrétienne, au pain et au vin. Ce qui est intéressant dans une cave, c’est de choisir le vin qui accompagnera le mieux le plat que vous cuisinez. Il y a une construction à la fois gourmande et intellectuelle que je trouve fascinante.

Que contient exactement votre cave ?
Un peu de tout : Beaujolais, Bourgogne, Alsace, Moselle, Champagne, quelques vins de Loire, c’est le vignoble que je connais le moins bien, Bordeaux et Côtes du Rhône bien sûr, Condrieu, Crozes- Hermitage, Châteauneuf-du-Pape, Hermitage les blancs, j’adore ce vin ! Avec la truffe c’est incroyable. Et puis des vins de Provence, peu du Sud-Ouest, hormis Bordeaux. Je ne sais pas combien de bouteilles j’ai, ni combien de livres d’ailleurs, je ne les compte pas, je m’en fiche. Vin ou livre, ce n’est pas la quantité qui compte mais la qualité. Vous avez juste besoin de suffisamment de vins parmi lesquels choisir. Ce qui fait un peu peur, c’est quand tu descends à la cave et que tu vois des bouteilles qui vieillissent et que tu penses que tu ne vas pas les boire. Il y a une sorte de course qui existe entre le propriétaire de la cave et les bouteilles elles-mêmes.

Voulez-vous toujours vous réincarner en vigne de la Romanée Conti ?
J’en ai un dans ma cave, proposé par Haubert de Villaine. Chez Bouillon de culture, j’ai ajouté des questions au questionnaire de Proust. C’est pourquoi cela m’a valu ce vigne et une bouteille de 1961. Nous l’avons bu pour les 50 ans de ma fille aînée. Une belle année. Malheureusement nous étions six !

 
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