Le plan B de Pékin à Taiwan : une déstabilisation interne ?

Le plan B de Pékin à Taiwan : une déstabilisation interne ?
Le plan B de Pékin à Taiwan : une déstabilisation interne ?

La réforme du parlement taïwanais, lancée par le KMT (Kuomintang) et les 8 députés du TPP (Parti du peuple taïwanais), cache mal une opération visant à déstabiliser le nouvel exécutif présidentiel taïwanais élu en janvier dernier. Ces deux partis sont les plus enclins à entretenir des liens étroits avec la Chine. Les plus radicaux d’entre eux se posent depuis longtemps la question de la forme que pourrait prendre l’unification avec la République populaire de Chine. Une question de plus en plus posée dans l’ex-Formose : la « réforme législative » qui vient d’être menée à Taïwan est-elle la première phase d’un projet discuté à Pékin visant à déstabiliser Taïwan en évitant le recours aux armes ?

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L’alliance du TPP et du KMT donne à ce dernier la majorité absolue sur les 113 sièges du Parlement. Une aubaine pour ces deux partis. A commencer par le KMT qui ne s’est pas remis de sa défaite à la présidentielle trois fois de suite (2016, 2020, 2024) et cinq fois au total depuis 2000. Quant au PPT, il se pose en parti anti-système et joue le rôle de parti anti-système. crise . Les huit sièges que ce dernier a obtenus lui ont permis de jouer le rôle d’arbitre des minorités dans un parlement qui, pour la première fois, n’a vu aucun des deux principaux partis obtenir la majorité absolue.

Le président taïwanais Lai Ching-te menacé de paralysie politique

Autrement dit, le président Lai Ching-te, élu le 4 janvier, se retrouve avec les élections législatives du même jour menacées d’une chambre introuvable. Et donc paralysie. Avant même son investiture le 20 mai, la majorité du Yuan législatif (le parlement taïwanais), qui a commencé à siéger le 1er février, a tout fait pour accroître les pouvoirs de l’assemblée et tenter d’établir un rapport de subordination du Président même même si ni le TPP ni le KMT n’avaient la majorité absolue.

Entre ces deux partis, dont les principaux dirigeants ne s’aiment guère, un accord de contingence a été établi ces derniers mois, qui a fini par prendre la forme de ce qui ressemble de plus en plus à un coup de pouvoir législatif… et pas tout à fait légal.

Mardi 28 mai au soir, Fu Kun-chi (député du Kuomintang) déclarait à la tribune du parlement taïwanais : « A partir d’aujourd’hui, Taïwan ne sera plus un nain parmi les nations démocratiques. » Et il a poursuivi en expliquant qu’après la réforme législative qui venait d’être votée par la nouvelle chambre, Taiwan était désormais dotée d’un parlement doté de véritables pouvoirs, c’est-à-dire un pouvoir qui pouvait vaincre celui du président et de son cabinet.

Le parti du président taïwanais accusé de « dictature et corruption »

Depuis huit ans, a poursuivi Fu Kun-chi, le Parti démocratique progressiste (DPP) au pouvoir à la présidence avait exercé une « domination incontrôlée du pays », coupable de « dictature, corruption, décadence morale ».

Qui est Fu Kun-chi ? D’abord député, il a ensuite été président de l’exécutif d’une région de l’est de Taiwan, d’où il a été démis en 2018 par le ministère de l’Intérieur, après sa condamnation dans une affaire d’infraction pénale. initié. Il a purgé un peu moins de sept mois de prison, dans des conditions plutôt favorables, libre et sans bracelet électronique la journée, et devant passer la nuit dans une cellule très confortable.

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Il a été réélu au Yuan législatif en janvier 2020, alors qu’un procès en appel était en cours dans une autre affaire de délit d’initié. Dès le mois de mai, la Cour suprême a confirmé sa condamnation définitive en appel à deux ans et 10 mois de prison. Peine dont il n’a purgé qu’une partie, pour être libéré au bout de moins d’un an et rejoindre le Kuomintang favorable au rapprochement avec Pékin.

Il a de nouveau été élu député du KMT en janvier 2024, prenant cette fois la tête du groupe KMT. De quoi donner des sueurs froides au Parti présidentiel et aux démocrates en général, et aux promoteurs d’une nation taïwanaise affranchie de toute tutelle en particulier.

L’alliance dite bleue et blanche (les couleurs désignant le cas du KMT et du PPT) n’a pas lésiné sur les violations des réglementations et des procédures légales d’examen des propositions législatives. Entre autres : une quasi-suppression des temps de débat sur les textes examinés, des suspensions brusques et injustifiées des réunions tenues en commissions, ou encore la mise à disposition des documents nécessaires à l’examen des textes à voter qui entretiennent la confusion sur les amendements à apporter.

Envoyés en Chine populaire

Après sept semaines de session parlementaire, le KMT a même envoyé, du 26 au 28 avril, une délégation de 16 députés en… Chine populaire. Au cours de leur voyage, les émissaires du KMT ont rencontré un membre du comité permanent du Politburo du Parti communiste (le sommet de la hiérarchie du parti), ainsi que le directeur du bureau des affaires de Taiwan du gouvernement chinois. Pas rassurant pour les Taïwanais, dont une large majorité est opposée à toute unification avec la Chine.

Mais rien de très surprenant non plus : depuis 2004, les rencontres entre le KMT et le Parti communiste chinois sont de plus en plus nombreuses.

Parallèlement à une crise institutionnelle qui ressemble beaucoup à une tentative de coup d’État législatif, la Chine a lancé les 23 et 24 mai une nouvelle série d’essais militaires dans une zone proche de Taiwan.

Exactement au moment où la société civile, extrêmement inquiète de ce qui se passait au Parlement, commençait à organiser de grandes manifestations autour du Yuan législatif. Celles-ci se sont déroulées du 17 au 28 mai, date de l’adoption en troisième lecture des lois révisées. Les deux plus grandes mobilisations ont rassemblé jusqu’à 100 000 et 75 000 personnes.

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La concomitance entre la réforme et les exercices militaires est-elle fortuite ? Les autorités chinoises ont-elles voulu intimider les Taïwanais ou les punir après l’élection et l’investiture du président Lai ? Ou au contraire, faut-il voir dans cette séquence un lien plus profond entre la politique d’une opposition menacée de disparition idéologique et les visées irrédentistes de la Chine à Taiwan ?

En d’autres termes, s’agit-il d’une simple coïncidence, ou est-ce la traduction d’une collusion explicite, même précédemment évoquée en Chine, entre le Parti communiste chinois et l’opposition au Parti démocrate progressiste (DPP) du Président récemment élu ?

Il convient de noter que la plupart des experts n’acceptent pas la probabilité d’un succès militaire chinois dans une attaque contre Taiwan. D’autant que les États-Unis s’engagent de plus en plus fermement dans la défense de l’île, confirmé le 26 mai par la dernière déclaration du président Biden.

Pékin a donc tout intérêt à tenter de déstabiliser le régime taïwanais.

Pékin est conscient des risques d’invasion pour son économie, sa stabilité sociale, voire son système politique, dans le cas où une attaque contre Taiwan aboutirait à un revers, voire à une impasse. Pékin a donc tout intérêt à tenter de déstabiliser le régime insulaire de l’intérieur dans l’espoir de rendre plus efficace une éventuelle campagne militaire, voire de provoquer l’effondrement du régime de lui-même.

Plutôt que de menacer Taïwan, Pékin pourrait réarmer son économie en ruine

La récente invasion de l’Ukraine nous a rappelé de quoi les régimes post-impériaux sont capables. Un détail qui n’a rien d’anecdotique : les visites en Chine d’élus taïwanais du Kuomintang (KMT) ne donnent jamais lieu à communication sur la teneur des entretiens. Même si ces échanges ont lieu au plus haut niveau, jusqu’à la vice-présidente du KMT, Hsia Li-yen, qui a voyagé à plusieurs reprises avant et après le scrutin de janvier 2024.

Stéphane Corcuff est maître de conférences en politique du monde chinois contemporain à l’Institut d’études politiques de Lyon, chercheur au centre d’études linguistiques Langue, Société Corpus de l’université Jean-Moulin-Lyon-3 et associé au Centre d’études françaises. sur la Chine contemporaine depuis Taipei. Tai-Jan Chiu est diplômé de l’Institut d’études asiatiques et africaines de l’Université Humboldt de Berlin.

 
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