«C’est un privilège de faire connaître Baya»

«C’est un privilège de faire connaître Baya»
«C’est un privilège de faire connaître Baya»

A travers la publication de Baya ou l’inauguration, Alice Kaplan revient en détail sur l’inauguration de l’exposition Baya qui a eu lieu le 21 novembre 1947 à la galerie Maeght à Paris, alors qu’elle était âgée de 16 ans.

Cet ouvrage de 234 pages publié aux éditions Barzakh, assez bien décortiqué, contient de précieuses informations sur Baya Mahieddine, l’une des icônes de la peinture algérienne. L’écrivaine et historienne américaine Alice Kaplan était présente mardi dernier à la galerie Ezzou’Art d’Alger pour parler de ses récents travaux. De sa plume habile, Alice Kaplan fait revivre aux lecteurs le premier vernissage du peintre Baya, le 21 novembre 1947, à la galerie Maeght à Paris. Le destin de la jeune adolescente est bouleversé pour le meilleur. Cette ouverture lui ouvrira les portes de la reconnaissance et des rencontres. Il présente 149 aquarelles et 10 figurines qui ne laisseront personne indifférent. Sur le carton d’invitation officiel, l’artiste est présentée comme « une jeune fille kabyle de 14 ans ».

Parmi les invités de marque venus assister à cette toute première exposition de peinture colorée, figuraient Albert Camus, Henri Matisse, Michelle Auriol et George Braque. Ainsi, Baya aura la chance de rencontrer les plus grands intellectuels et artistes de l’époque, dont Albert Camus, Pablo Picasso et André Breton. Il y a quatre ans, la petite orpheline de mère travaillait comme bonne dans la ferme d’Henri Farges. Un an plus tard, Baya est invitée aux ateliers Madour, à Vallauris, dans les Alpes-Maritimes, pour se consacrer à la sculpture en terre cuite. C’est alors qu’elle rencontre le peintre Picasso et partage même un couscous avec lui. Alice Kaplan rappelle que la sœur de l’agricultrice Marguerite Caminat s’occupe de Baya chez elle à Alger.

Un univers onirique

Elle met à la disposition de l’adolescente un professeur qui lui enseigne le français. Mieux encore, elle lui donne tous les matériaux pour peindre et sculpter. C’est ici que Baya, l’autodidacte, se consacre pleinement à sa passion. A travers sa peinture dite naïve, elle fait naître un univers onirique composé d’oiseaux, de jardins et de fleurs aux couleurs chatoyantes.

Le poète Jean Sénac était ami avec Baya. Une de ses publications est illustrée de dessins à l’encre de Baya. Alice Kaplan constate qu’il y a aussi une coïncidence très inquiétante entre Jean Sénac et Marguerite Caminat : ils occupaient le même immeuble rue Elisée Reclus, près du Sacré Cœur à Alger. Pour information, Marguerite Caminat avec la petite Baya a ensuite déménagé au 5 rue d’Isly à Alger. Dans le monde artistique de l’époque, certains attribuaient une ressemblance entre l’artiste mexicain Kahlo Frida et Baya. Alice Kaplan ne partage pas cet avis. Ils sont complètement différents, même en peinture. Selon elle, « en matière de personnalité et d’aura, les deux femmes sont différentes. A 31 ans, Kahlo incarne un égoïsme flamboyant. A 15 ans, Baya évoque plutôt l’élégance et la discrétion. Ils étaient pourtant présentés de manière comparable, comme deux artistes de l’hémisphère sud interprétant leur culture d’origine pour des Américains ou des Européens ravis. Comme Baya, Kahlo apparaît en public dans des costumes traditionnels exubérants, qui se reflètent dans les rouges et jaunes vibrants de sa peinture. Comme Baya après elle, Kahlo a été honorée par le magazine Vogue.

L’écrivaine américaine prévient qu’elle n’est pas une historienne de l’art, elle est plutôt une historienne qui étudie la réception. Et ce que l’on peut apprendre en fouillant dans les papiers de Marguerite Caminat. Lorsqu’on lui demande si Alice Kaplan est tombée par hasard sur une œuvre de Baya, elle admet que lorsqu’elle avait cinq ou six ans, il y avait un tableau qu’elle aimait dans la galerie de sa ville. Il s’agissait d’un tableau intitulé Les Grands Chevaux Bleus créé par le peintre expressionniste allemand Frantz Marc. « Il y a un bleu incroyable », dit-elle, « et quand j’ai regardé les tableaux de Baya, je me suis souvenue de mon enfance, que j’ai pu y garder sans arrière-pensée, sans le poids de tout mon parcours universitaire. Baya m’a apporté de la fraîcheur. Elle m’a fait un vrai cadeau, c’est-à-dire une vision que j’avais un peu perdue. Je lui serai toujours reconnaissant. Un coup de folie pour un peintre ou même pour un écrivain ne s’explique pas. Cela fait partie du charme.

L’historien américain parle de Baya avec beaucoup de passion.
«Je pense qu’elle me porte. J’ai également l’honneur de la faire connaître. C’est aussi un privilège de la faire connaître et d’avoir pu accéder à ses papiers. Alice Kaplan livre un livre Baya ou le grand vernissage qui se concentre sur la restitution d’une période de la vie de Baya. Elle découvre dans les archives d’outre-mer, à Aix, une tonne d’informations sur l’exposition à la galerie Maeght à Paris. Provenant des archives de Marguerite Caminat, composées de coupures de presse, de lettres, d’un journal intime, d’une liste de tableaux vendus en 1947 avec leurs prix. « J’ai essayé, explique l’intervenant, de suivre quelques tableaux pour voir si je pouvais identifier la provenance de quelques tableaux. A mon avis, c’est l’histoire de Baya qui a été en quelque sorte malmenée par le colonialisme. Je ne suis pas allé après l’indépendance. Je dessine mais je n’en parle pas. Ses enfants m’ont dit qu’il s’agissait plutôt de la vie privée de Baya. J’avais moins d’informations à ce sujet. C’est ce qu’on appelle en histoire une micro-histoire ou une biographie ciblée.

Archives inexploitées

Notre conférencière avoue qu’elle a décidé d’écrire sur le peintre Baya lorsqu’elle savait qu’il existait des archives inexploitées. « C’est quelque chose que je sais faire. Alors je me suis dit, je sais aller chercher une archive et raconter une histoire autour de tous ces milliers de documents. Je pense que Marguerite Caminat, qui a fait don des archives, aurait voulu écrire un livre sur Baya, mais elle n’a pas pu le faire. Dans ces archives, elle soulignait les propos en rouge. Ses phrases étaient pour moi comme des signes magiques. Elle me mettait au défi. J’avais cette impression que j’étais en communication avec elle. Il est difficile de rassembler des dizaines et des dizaines de documents. J’ai travaillé sur ce livre pendant trois ans », ajoute-t-elle.

A noter que Baya ou l’inauguration a fait l’objet d’une première publication aux éditions françaises Le bruit du monde, d’une seconde aux éditions privées algériennes Barzakh, d’une troisième sortie du livre aux Etats-Unis en octobre 2024.

 
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