« Une bataille entrée au panthéon des défaites glorieuses de l’armée française »

« Une bataille entrée au panthéon des défaites glorieuses de l’armée française »
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Le 7 mai 1954, « Claudine » et « Eliane », deux des derniers points d’appui français installés sur des collines, censés protéger la vallée de Diên Bien Phu, en Indochine, tombent à leur tour. A 18 heures, après deux mois de combats intenses, le cessez-le-feu est déclaré. La victoire du Viet Minh, l’organisation armée du Parti communiste vietnamien, est déclarée contre le Corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient (Cefeo). Cela va précipiter la fin de la guerre d’Indochine (1946-1954), le départ de la France et la chute du Nord-Vietnam sous régime communiste, en pleine guerre froide.

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Alors que l’on commémore ce mardi le 70e anniversaire de Diên Bien Phu, quelle place accorder aujourd’hui à cette défaite dans l’histoire militaire française ? 20 minutes a interrogé deux spécialistes de la guerre d’Indochine, l’historienne Laure Monin-Cournil et le lieutenant-colonel Ivan Cadeau, historien et chef du bureau « doctrine, opérations et renseignement » au Service historique de la Défense.

Diên Bien Phu est-elle l’une des « grandes » défaites françaises ?

Incontestablement oui pour le lieutenant-colonel Ivan Cadeau, spécialiste des guerres d’Indochine et de Corée. « La guerre d’Indochine n’est finalement connue, presque, qu’à travers la défaite de Diên Bien Phu. Elle provoque un choc dans l’opinion publique française, largement désintéressée du conflit, voire ignorée. Et soudain, au printemps 1954, nous apprenons que quelque chose de grave s’est produit. »

« C’est une défaite à statut particulier, poursuit l’historien. On ne peut pas comparer cela à Waterloo, par exemple, qui dure quelques heures. Là, on a des gars postés sur des points d’appui à qui on a donné des prénoms féminins, et qui vont tenir deux mois face à un adversaire infiniment supérieur en nombre. » Durant ces semaines de combats meurtriers, les soldats de l’Union française, composés entre autres de légionnaires ou de membres des colonies, résisteront aux assauts d’artillerie des forces du Viet Minh, et les deux camps iront jusqu’à combattre au corps à corps. au corps.

«C’est une tragédie avec des milliers de victimes [le bilan officiel évoque 3.000 morts et disparus côté Cefeo, 8.000 morts côté Viêt Minh], et le monde entier suivra l’étouffement du camp retranché, la chute des points d’appui, qui nourriront le mythe. D’autant que ce sont des bataillons d’élite qui sont engagés, poursuit Ivan Cadeau. L’âge d’or des troupes aéroportées françaises fut la guerre d’Indochine, et Diên Bien Phu fut leur bataille, à placer parmi Camerone et Sidi-Brahim dans cette sorte de panthéon des glorieuses défaites de l’armée. Français. Diên Bien Phu est finalement une bataille qui appartient avant tout à l’armée et à ses traditions. C’est le geste français, une défaite avec honneur. »

« Dans la presse de l’époque, on en parle beaucoup comme d’un acte de gloire, d’héroïsme, raconte Laure Monin-Cournil. Et les rares fois où le mot défaite est utilisé, il y a forcément le mot héroïque derrière. D’ailleurs, pour éviter de parler de défaite, on parle des combattants. Mais c’est bien avant tout une défaite. »

Quelles sont les raisons qui expliquent cette défaite ?

Il est généralement admis que les Français, à l’automne 1953, ont voulu tendre un piège au Viet Minh en l’attirant dans ce qu’il est d’usage d’appeler le bassin de Diên Bien Phu. Piège qui se serait retourné contre eux. « Diên Bien Phu est une vallée qui fait 18 km de long et 9 km de large », insiste Ivan Cadeau. Elle a été choisie par le général commandant en chef Navarre pour répondre au défi posé par l’adversaire, qui voulait s’emparer des dernières possessions du nord du Vietnam et se dirigeait vers le Laos. Le seul endroit où établir une base aéroterrestre, c’est-à-dire centrée autour d’une piste d’atterrissage, est Diên Bien Phu. Ce site a alors pour objectif de rayonner afin de perturber l’offensive de l’adversaire, en aucun cas d’établir un piège pour attirer le Viet Mihn. Finalement, ce sont les réactions de l’adversaire qui font de Diên Bien Phu un camp retranché, puisque les Français ne peuvent plus en sortir à partir du début janvier 1954.

« Ce qui attire les Français, c’est la piste d’atterrissage, qui va permettre de tout transporter par voie aérienne », confirme Laure Monin-Cournil. L’historien estime néanmoins que le commandement français a sous-estimé les capacités du Viet Minh à transporter également du matériel dans ce terrain montagneux qui entoure la vallée de Diên Bien Phu. Il réussit cependant à faire remonter sur ces pentes tout le matériel léger et le ravitaillement « par des milliers de Vietnamiens à pied et à vélo », tandis que les pièces d’artillerie étaient transportées dans des camions d’origine soviétique.

Pour Ivan Cadeau, ce n’est pas tant la livraison de ce matériel que son utilisation qui surprend les Français. « L’utilisation de l’artillerie de pente fera mal. Ce sera un déluge de feu. Et les Français, de leur côté, se sont montrés négligents dans la construction de leurs abris et points d’appui, qui ne respectaient pas les critères nécessaires à la solidité d’une fortification de campagne. Ils manquaient de matériaux, c’est vrai, mais ils n’ont pas creusé assez profondément. »

Violents combats à Diên Bien Phu, le 14 mars 1954.– NON CRÉDITÉ/AP/SIPA

Le combat débute le 13 mars entre les 15 000 hommes dirigés par le général de Castries et les 70 000 hommes du général Giap, et se transforme en guerre de tranchées. “On compare cette bataille à Verdun, on parlait même de “Verdun tropical”, alors que Verdun est l’une des grandes victoires de l’armée française” souligne Laure Monin-Cournil. « Et contrairement à Verdun, nous ne faisons pas tout pour sauver Diên Bien Phu », ajoute Ivan Cadeau. « Les deux premiers jours ont été fatidiques, se souvient Laure Monin-Cournil. Ensuite, des renforts arrivent, notamment les parachutistes avec toute l’aura du bataillon Bigeard du 16 mars, et la confiance revient un peu. Mais c’est de courte durée. »

Quelles conséquences cette défaite a-t-elle au niveau international ?

Pour revenir sur le parallèle avec Waterloo, « qui se termine avec le départ de l’Empereur », Ivan Cadeau souligne que Diên Bien Phu n’a pas le même impact puisque « la Quatrième République reste en place. » Néanmoins, ses conséquences sont retentissantes.

“C’est une défaite qui précipite la fin de la guerre d’Indochine à la conférence de Genève [le 21 juillet 1954], et qui a fait passer la moitié du Vietnam sous régime communiste », en pleine guerre froide, souligne Laure Monin-Cournil. « Cette défaite intervient aussi un peu moins de quinze ans après la grande claque de 1940 », rappelle Ivan Cadeau. Cela confirme que la France n’est plus une grande puissance. C’est aussi le premier pas vers la perte de son empire. Diên Bien Phu marque le début d’un déclassement international pour la France. »

Quelle résonance Diên-Biên Phu a-t-il en France ?

Si la défaite provoque un choc en France, elle est de courte durée, estime Laure Monin-Cournil. « En France métropolitaine, ce n’est pas la principale préoccupation. L’Indochine est loin, et on va très vite passer à l’Algérie, qui inquiète davantage les Français. Rappelons par ailleurs que les combattants de Diên Bien Phu sont exclusivement des militaires de métier, avec relativement peu de Français originaires de France métropolitaine. Le corps expéditionnaire d’Extrême-Orient est composé principalement de membres de l’Union française, issus des colonies et de la légion. »

« À Diên Bien Phu, il n’y avait au maximum que 17 % de Français métropolitains, soit moins d’un cinquième de la population active », précise Ivan Cadeau. C’est comme le corps expéditionnaire, c’est-à-dire quelque chose de très varié en termes d’origines et de confessions, avec des unités d’élite et de tout le monde. »

Que deviennent les survivants de Diên Bien Phu ?

Après l’arrêt des combats, « 858 combattants ont été évacués vers la France » indique Laure Monin-Cournil. Mais environ 11 000 soldats furent faits prisonniers. “On parlait de 70% de pertes dans les camps, ce serait en réalité plutôt autour de 30%, ce qui est déjà énorme”, évalue Ivan Cadeau.

La situation est confuse durant cette période, d’autant plus qu’à la libération des prisonniers, entre fin juillet et début septembre 1954, « on ne sait pas ce que sont devenus certains légionnaires venus des pays de l’Est » souligne Laure Monin-Cournil. « Il y a aussi le cas des milliers de Vietnamiens qui ont combattu dans les rangs de l’armée française », ajoute Ivan Cadeau. Tous ne furent pas exécutés et après une période de rééducation, la plupart furent même réintégrés dans les rangs du Viet Minh. »

« Après un voyage en bateau, quelque 3 290 combattants européens rentrent en France entre novembre 1954 et janvier 1955 », poursuit Laure Monin-Cournil. A leur arrivée à Marseille, les prisonniers sont durement accueillis par la population syndicale et le Parti communiste, qu’ils vivent très mal. Certains d’entre eux intégreront difficilement la société civile ; les autres sont dispersés parmi plusieurs unités combattantes. Certains seront retrouvés pendant la guerre d’Algérie. »

 
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