Être « fantôme » | La presse – .

Être « fantôme » | La presse – .
Être « fantôme » | La presse – .

« Est-ce que je la fantôme encore ? »


Publié à 00h49

Mis à jour à 5h00

J’avoue avoir beaucoup ri en lisant le courriel envoyé par erreur à une journaliste de La Presse Canadienne par le cabinet de la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau1.

Comme tout journaliste, j’ai déjà été « fantôme » par les attachés de presse politiques qui me trouvent fatiguant. Mais je n’ai encore jamais été informé par écrit que ce ghosting était parfaitement intentionnel ou qu’ils envisageaient de m’envoyer « la réponse générale qui ne répond pas ».

J’avoue que j’ai ri, mais en fait, ce n’est pas drôle du tout. Car dans un monde où les journalistes sont plus que jamais désavantagés par rapport aux spécialistes des relations publiques, cette anecdote révèle un phénomène de plus en plus inquiétant pour ceux qui se soucient du droit du public à l’information.

Ce courriel envoyé au mauvais destinataire a eu le mérite de mettre en lumière deux stratégies de relations publiques utilisées pour éviter les questions embarrassantes des journalistes. D’abord, le « ghosting », dérivé du verbe anglais « to ghost », qui consiste ici à parler brusquement comme un fantôme, c’est-à-dire ne plus parler du tout à son interlocuteur comme s’il se transformait subitement en un être fantomatique pour à qui il est inutile de répondre. S’il est vrai que certains silences valent mille mots, on peut lire ici une forme de réponse déguisée en fantôme, au mépris des règles de transparence qui doivent guider tout État démocratique.

Le but ? En espérant que le journaliste, qui est le plus souvent confronté à des délais serrés, lâche prise et passe à un autre appel.

La deuxième stratégie, qui consiste à répondre sans rien dire, est plus courante. C’est une sorte de fantôme déguisé en réponse. Autrefois, on parlait de « cassette ». Aujourd’hui, cela prend très souvent la forme d’un copier-coller dans un email qui contient beaucoup de phrases vides et très peu d’informations pertinentes.

Dans le cas qui nous occupe, la journaliste Sarah Smellie de La Presse canadienne a demandé au Québec, comme elle a demandé à chacune des provinces, si elle reconnaissait le droit au logement comme un droit fondamental et si elle comptait légiférer pour cela. protéger2.

Il s’agit d’une question d’un grand intérêt public à l’heure où de plus en plus de citoyens ont du mal à trouver un logement partout au pays et où le gouvernement fédéral reconnaît que le droit au logement n’est pas un luxe, mais un droit. fondamental pour chaque personne.

Alors qu’au Québec, on hésitait entre deux déguisements en guise de réponse, la plupart des provinces se sont rabattues sur le second qui, bien que plus élaboré, ne trompe absolument personne : « la réponse générale qui ne répond pas pour dire que le « logement est une priorité pour notre gouvernement », pour reprendre les termes du courriel de l’attaché de presse qui s’est trompé de destinataire. Une réponse aussi crédible que lorsqu’un message robotique vous fait patienter en vous disant : « Votre appel est important pour nous. »

Fondamentalement, à l’ère du ghosting, la mission des journalistes n’a pas changé. Comme nous le rappelle chaque 3 mai les Nations Unies à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, une presse libre joue un rôle essentiel dans les démocraties. C’est un pivot de la bonne gouvernance. Il garantit la transparence, la responsabilité et l’état de droit. Il favorise la participation au débat public. Cela aide à lutter contre les inégalités3.

Cela dit, même dans une société libre comme la nôtre, cette mission est de plus en plus difficile. J’ai parlé d’emblée de journalistes en « nombreux désavantages ». Avec un ratio d’un journaliste pour dix professionnels de la publicité, du marketing et des relations publiques au Québec, ce désavantage est de plus en plus marqué. Résultat : il est de plus en plus difficile pour les journalistes de surmonter la barrière dressée devant eux par les créateurs d’images engagés pour contrôler le message. Ou, pour reprendre les enseignements de Martin St-Louis : il leur est de plus en plus difficile d’apporter leur jeu dans le jeu.

Même s’ils veulent bien faire et fournir rapidement une information vraie aux journalistes, les spécialistes en relations publiques doivent jongler avec les contraintes de temps et d’accès ainsi qu’avec l’obligation de servir les intérêts de leur client, observait dans une analyse publiée en 2018 par la professeure à l’École des médias de l’UQAM Chantal. Francoeur. Résultat : ils se retrouvent parfois en marge des principes de transparence, de rigueur, de diligence et d’équité4.

Les règles de conduite des spécialistes des relations publiques peuvent alors devenir de simples valeurs de façade et des plaidoyers pro-relations publiques.

Extrait de l’analyse de Chantal Francoeur

Depuis, tout indique que ce phénomène s’est accentué. Qu’il s’agisse du droit au logement, des conditions de vie des seniors ou de l’horreur qui se déroule à Gaza, mes cahiers et mes mails, tout comme ceux de mes collègues, regorgent de ces réponses formatées qui ne suffisent pas. Je ne viens pas de Québec ou d’Ottawa.

« Nous sommes très préoccupés par le sujet x, y, z », nous dit-on sans rien dire.

Et que fait-on de ce sentiment « d’inquiétude » ? Très souvent rien, ou trop peu.

Lorsqu’on demande à parler en personne au fonctionnaire ou à l’employé responsable d’un dossier, on nous dit qu’il lui est interdit de parler et qu’il faut passer par les spécialistes des relations publiques. Mais à qui parler quand ceux que nous avons désignés pour parler ne disent rien ?

Nous aurons toujours des fantômes.

1. Lire l’article « France-Élaine Duranceau devrait s’excuser, réclame le PQ »

2. Lisez l’article « Le Canada reconnaît le logement comme un droit humain. Peu de provinces ont emboîté le pas » sur le site Internet Étoile de Toronto (En anglais)

3. Visitez la page Web de la Journée mondiale de la liberté de la presse

4. Consultez l’analyse de la professeure Chantal Francoeur

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Dans l’Orne, il a créé une randonnée pour transmettre l’histoire de son village
NEXT Patients de plus en plus violents à l’hôpital, grosse vague de départs de la FIFA