- en France | Le « collectionneur » du Débarquement

Quatre-vingts ans plus tard, de nombreux objets du jour J subsistent encore sur les plages normandes. Certains, comme Paul Cherrier, se sont donnés pour mission de les récupérer.


Publié à 1h50

Mis à jour à 5h00

(Luc-sur-Mer, Normandie) « Ici, c’est un morceau de radio. Il y a une capsule de grenade. Et c’est un éclat d’obus… »

Paul Cherrier sort minutieusement les objets d’une caisse en bois qui en contient des dizaines. Il les pose sur la table, puis va en chercher d’autres dans une pièce à part. Tessons de bouteilles, fragments de cruches à whisky, assiettes, boucles de ceinture, brosses, bouteilles de Brylcreem, débris divers… le déballage n’en finit plus.

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PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, -

Capuchon de grenade, fragment de pot de whisky, morceau de radio. Collection Paul Cherrier.

« J’ai dû en collectionner des milliers », souligne le jeune homme, fier de sa collection. Je m’en suis séparé, mais quand j’étais enfant, il y en avait partout ! »

Paul Cherrier, 35 ans, vit à Luc-sur-Mer, à quelques mètres de la plage conquise par les soldats britanniques le 6 juin 1944. Depuis son plus jeune âge, il aime collecter les restes du Débarquement, retrouvés au hasard de son des promenades. Une véritable passion, qui ne l’a jamais quitté, même s’il avoue avoir un peu ralenti aujourd’hui.

Il est surprenant que des objets du jour J refont encore surface, 80 ans après les faits. Mais cela est logique, compte tenu de l’ampleur du déploiement militaire qui a eu lieu le 6 juin 1944 et les jours suivants. Aujourd’hui, il suffit d’aller se promener sur les plages, après une grosse tempête, lorsque les bancs de sable ont bougé, pour espérer retrouver des trésors liés à cet événement historique.

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Le coffre au trésor de M. Cherrier.

Le promeneur moyen ne verra probablement que des débris ordinaires rejetés par la mer. Mais au fil du temps, et au fil de ses nombreuses recherches, Paul Cherrier a développé un savoir-faire d’archéologue amateur qui lui permet de reconnaître sur place ce qui est lié à l’opération Overlord. Il donne l’exemple de ces petits bâtonnets de poudre, qui ressemblent exactement à de vieux spaghettis secs. «Maintenant, je les repère tout de suite», dit-il.

La plupart de ces objets n’ont pas de réelle valeur marchande, ajoute le collectionneur. « Les autorités ne sont pas forcément intéressées. » Mais certains ont, à ses yeux, plus de sens que d’autres. C’est le cas de ce shrapnel qu’il brandit fièrement sous nos yeux, de ce fragment de bombe en acier très épais qu’il nous fait peser, mais surtout de ce casque anglais, tout rouillé et incrusté d’obus, qu’il a fini par prêter. au musée d’Arromanches, spécifiquement dédié à l’invasion britannique.

« Il était là, par terre, posé dans les pierres », raconte celui qui travaille aujourd’hui dans une maison d’édition spécialisée dans les livres d’histoire. Quand on voit ça, et qu’on se dit qu’il y avait un homme derrière, que cet homme a peut-être été tué, ça fait quelque chose. C’est l’objet le plus émouvant que j’ai trouvé. »

Attention aux coquillages !

En principe, rien n’interdit de ramasser sur la plage des objets liés au débarquement de Normandie. Paul Cherrier n’est pas le seul à en avoir fait un hobby. Ils sont en effet quelques-uns à sillonner la plage, parfois avec des détecteurs de métaux, à la recherche de perles rares.

La plupart choisissent de conserver leurs trésors, ou de les revendre, parfois au prix fort. Un casque américain, trouvé à Omaha Beach, était offert cette semaine sur eBay pour plus de 1 000 $ CAN.

D’autres, comme Paul Cherrier, préfèrent offrir le fruit de leur pêche miraculeuse aux musées, qui en feront un usage pédagogique. Le Centre Juno Beach de Courseulles-sur-Mer, seul établissement qui rend hommage aux troupes canadiennes du Débarquement, en a fait le sujet d’une de ses vitrines. Une trentaine d’objets y sont exposés, dont une botte et un fusil entourés de gangue.

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Nathalie Worthington, directrice du centre Juno Beach, devant la vitrine dédiée aux objets trouvés par des gens « ordinaires ».

Ce sont des objets qui marquent le territoire. Ils nous apportent aussi des fourchettes, des tubes de dentifrice ou encore des roues d’avion. Ces objets nous intéressent pour leur dimension humaine… La seule chose que nous ne prenons pas, ce sont les munitions. Parce qu’il faut fermer le musée et appeler le déminage !

Nathalie Worthington, directrice du Centre Juno Beach

Rappelons que le sol normand recèle encore de nombreux engins explosifs potentiellement actifs, comme des balles, des obus ou des mines. Pour des raisons évidentes, ces vestiges de la bataille de Normandie sont les seuls que les « collectionneurs » ne sont pas autorisés à emporter. Paul Cherrier avoue avoir parfois pris des risques, ce qu’il ne ferait plus aujourd’hui. «J’étais enfant, j’étais inconscient. »

Le mieux, précise-t-il, est d’identifier la localisation de l’objet « sensible », puis de contacter la gendarmerie. Il souligne toutefois que les dangers d’explosion sont relativement faibles, les rares accidents se produisant lorsque des personnes tentaient de désamorcer ou de nettoyer elles-mêmes ledit engin.

850 kg d’explosifs

Il faudra probablement des années pour venir à bout de ces vestiges menaçants. Selon les médias locaux, les services de déminage normands reçoivent, chaque année, un millier d’engins explosifs de la Seconde Guerre mondiale. Fin mai encore, huit obus ont dû être « neutralisés » dans la région, c’est-à-dire « explosés » en lieu sûr.

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Fragment de bombe provenant de la collection de Paul Cherrier

En 2021, les travaux de raccordement du parc éolien offshore du Calvados ont quant à eux donné lieu à des découvertes inquiétantes.

La phase d’étude de terrain, réalisée sur une longueur de 39 kilomètres (dont 15 kilomètres en mer) et une largeur de 500 mètres, a permis d’identifier 500 objets métalliques suspects. Dans le lot, quelque 77 engins explosifs non explosés ont été identifiés.

« Le plus gros pesait une tonne et mesurait deux mètres de haut », confie Jacques Frémaux, directeur du raccordement du parc éolien offshore du Calvados. Il s’agissait d’une bombe minière allemande, la BM 1000, contenant 850 kilos d’explosifs. Il s’agit du plus gros chargement que nous ayons trouvé sur notre itinéraire. »

Ce projet aura d’ailleurs permis à Jacques Frémaux et son équipe de faire une étonnante trouvaille. Parmi les 500 objets métalliques repérés figurait également un lingot de plomb vieux de 2000 ans, datant de l’époque romaine. Il portait le nom de l’empereur Hadrien (76-138 de notre ère) et se trouve aujourd’hui au Musée de Normandie.

Les sites du Débarquement recèlent décidément de nombreux trésors…

 
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