« Morientes avait tout pour lui »… les souvenirs de Didier Deschamps

« Morientes avait tout pour lui »… les souvenirs de Didier Deschamps
« Morientes avait tout pour lui »… les souvenirs de Didier Deschamps

Les bougies sont encore chaudes. L’AS Monaco vient de célébrer les 20 ans d’une épopée aussi folle qu’inattendue. En 2003-2004, les hommes de Didier Deschamps atteignent la finale de la Ligue des Champions après avoir battu le Real et Chelsea. L’aventure d’une vie et d’une bande d’amis que Nice-Matin vous a fait revivre cette semaine en 7 chapitres. Dernier épisode, aujourd’hui, avec les souvenirs du sélectionneur Didier Deschamps.

Didier, cette saison a démarré dans la tourmente (rétrogradation en L2, nouveau président et moyens limités)…

J’ai passé un très bon moment cette intersaison. Le nouveau président (Pierre) Svara m’avait totalement confiance sur l’aspect sportif. L’aspect économique était son domaine et il n’y avait aucun sujet de discorde entre nous. Pour le mercato, c’était faisable ou pas.

Comment avez-vous géré ce dernier ?

Il a fallu se concentrer un peu plus sur la jeunesse, qu’elle soit du club ou de l’extérieur. Il a fallu saisir quelques opportunités pour améliorer cette équipe. Et s’il y en a un qui l’a représenté à lui seul, c’est bien Fernando Morientes.

Vous avez également tenté de recruter Giovane Elber…

Nous sommes allés à Munich mais il y a eu un « non » au dernier moment. L’enveloppe budgétaire était limitée. C’était entre lui et Morientes mais il y en avait d’autres aussi, je ne me souviens plus des noms. Nous avons ratissé large car au-delà de la qualité, il nous fallait des joueurs avec du tempérament, des compétiteurs pour surmonter le contexte local reposant et très apaisé.

L’aventure commence à Eindhoven…

C’était un match test, dans un stade où aucune équipe française n’avait encore gagné. Nous avions le potentiel, mais c’était un point de transition vers une réalité de haut niveau. Le défi était de savoir si lors d’un match à l’extérieur nous serions affectés par les émotions. Mais on a vu l’ADN de ce groupe, jeune mais déjà prêt à renverser des montagnes. Le PSV avait une super équipe, notamment avec Robben, mais nous étions très solides, peut-être un peu impressionnants. Je me souviens de ce que m’a dit Guus Hiddink (l’entraîneur du PSV) à la fin du match : « Tu iras en finale ». Je ne sais pas sur quoi il se basait ou si c’était un compliment qu’on pouvait faire comme ça.

Personnellement, c’était aussi vos débuts en C1…

Il n’y a rien de mieux que la Ligue des Champions quand on dirige un club. Je me suis mis à explorer.

« Giuli ? Ce n’était pas un laissez-passer, il n’était pas paresseux”

L’autre moment fort de la phase de poules a été la gifle adressée à La Corogne (8-3)…

Cela allait dans tous les sens. Il y a eu beaucoup d’efficacité mais avec une générosité défensive des deux côtés.

Un match qui rendrait fou un entraîneur…

Ouais (sourire). Au final, c’était génial pour tout le monde, mais pendant une grande partie du match, on avait l’impression que les deux équipes pouvaient marquer à chaque attaque. C’était bien d’avoir cette capacité à se créer des occasions et à marquer des buts, mais ça aurait été mieux d’être un peu moins perméable défensivement (sourire). Mais j’avais une équipe joueuse et je n’allais pas la ralentir.

Est-ce la première fois que vous vous dites qu’une épopée est possible ?

Nous n’avons pas marché sur l’eau. Ce fut un match extraordinaire par la magnifique efficacité et le résultat. Mais on ne se voyait pas mieux qu’on ne l’était, cela a seulement mis en valeur un peu plus la capacité de cette équipe à faire du spectacle à un très haut niveau.

Deschamps a été conquis par la personnalité de Fernando Morientes. Photo Maxppp.

Vous avez su faire accepter au groupe qu’il fallait gérer Giuly différemment…

Oui, je l’ai fait accepter. Il y avait une compréhension de la part du groupe et c’est tant mieux. Même si je me souviens avoir dit à Ludo : « Tout ira bien tant que tu es décisif ». Et il l’était presque à chaque fois. Ce n’étaient pas des privilèges, il n’était pas paresseux, mais il préférait souffler 48 heures après le début d’un match en raison de ses caractéristiques athlétiques, de sa vitesse, de son explosivité et de son volume de course. Il valait mieux le gérer en convalescence. Il y a eu une petite période où il a été moins décisif, cela pouvait faire grincer des dents, mais l’essentiel était que lui et le groupe étaient au courant. Ludo n’a pas été surpris par sa gestion.

« Morientes m’a dit : ‘Coach, c’est ici que je prends la douche ?’ “

Morientes était quelque chose…

Le footballeur était fabuleux. Ce n’était pas seulement un jeu de tête. C’était aussi sa capacité à garder la possession et à marquer des buts. Humainement, il était tellement attachant et charmant. Il avait tout pour lui. Je me souviens du centre de La Turbie de l’époque. Ce n’était pas celui d’aujourd’hui, nous avions des mobil-homes. Lors d’un de ses premiers entraînements, il a plu dans le vestiaire. Il venait du Real Madrid et j’ai parlé espagnol avec lui. Il m’a dit : « Coach, c’est ici que je prends ma douche ? (rire)”. Il s’est intégré au groupe tout en restant un leader.

Ce collectif aura toujours une place particulière dans votre cœur ?

Bien sûr. Je suis attaché à l’AS Monaco, même si la première saison a été très très difficile (15ème de L1 en 2001-02). Cela aurait pu s’arrêter là pour moi. Sachant que derrière ça, ça a mis en lumière moi et le club aussi.

Réel, c’est la touche Deschamps. Vous convainquez tout le monde que c’est possible…

Est-ce que j’avais déjà une jambe (rires) ? J’en ai plutôt deux (rires). A l’aller, on a très bien tenu mais on a explosé en vingt minutes. La foudre a frappé parce qu’il y avait tellement de qualité devant. La fin du match et ce score de 4-1 leur ont donné une garantie. Je me souviens que Beckham s’assurait de prendre une boîte pour qu’il soit suspendu au retour. Pour eux, c’était déjà fini. Mais le deuxième but de Nando (Morientes) nous a laissé une petite porte ouverte.

Ils vous méprisaient…

Et c’était psychologiquement important pour préparer le retour. Mais si je me mets à leur place, ce n’est pas un manque de respect. C’était humain. Ils arrivent à Monaco à 4-2, avec le contexte du public… Dans leur tête, ils étaient déjà qualifiés. Donc revenir dans le jeu et démarrer a été très difficile pour eux. Le fait qu’ils aient ouvert le score les a mis encore plus à l’aise.

Comment avez-vous inversé le jeu ?

Nous étions prêts. Un joueur m’a dit et je crois que c’était Cissé : “Putain, s’ils marquent, on est morts”. J’ai dit : “Au contraire, s’ils marquent, ils se croiront encore plus calmes.” Mais nous devons jouer le match parfait. Ils étaient moins bien mentalement et physiquement quand nous étions debout comme des coucous. Nous avons fait ce qu’il fallait. Nous avons failli être pénalisés en fin de match avec quelques erreurs, mais tout s’est bien passé. Cela fait longtemps que nous portons l’ambiance à Monaco, mais que ce soit l’avant-match dans les rues ou au stade, c’était vraiment une ambiance de Ligue des Champions.

À la mi-temps, vous avez pourtant demandé à y croire davantage…

Il y avait une certaine retenue ou du respect compte tenu des grands champions qui nous faisaient face. L’idée était de leur dire que aussi gros qu’ils soient, quand ils sont secoués et qu’on les frappe un jour où ils n’y sont pas préparés, on peut réussir l’exploit. Cela nous a permis de le faire sans oublier de jouer notre jeu.

Chelsea est l’autre exploit du parcours…

Sur le chemin, nous terminons à dix heures, Zikos est exclu. Claude (Makélélé, l’initiateur du rouge) était-il allé trop loin ? Non, c’est l’expérience que certains joueurs peuvent avoir. Mais on avait encore une fois vu la capacité de ce groupe à se sublimer et à y croire jusqu’au bout. Il y avait une force collective. Ranieri n’a pas commis d’erreur mais un choix en faisant appel à un attaquant (Hasselbaink). Cela aurait pu être payant mais cela nous a permis d’avoir plus d’espace.

Sur le chemin du retour, ça a basculé…

Je me souviens que nous sommes arrivés au stade 45 minutes avant le coup d’envoi. Nous n’avions aucune escorte dans les rues de Londres (l’ASM était coincée dans les embouteillages). L’hôtel n’était pas dans la lignée de Stamford Bridge (rires). L’atmosphère était différente. Tout avait été bousculé dans la préparation. Cela a également supprimé les calculs et la réflexion. Nous l’étions tout de suite.

En finale, on ne retrouve pas votre équipe…

Pouvons-nous y aller rapidement ? (sourire). C’était une finale et il y avait tellement d’excitation. Nous avons joué vendredi le dernier match de championnat à Bordeaux (la finale avait lieu cinq jours plus tard). C’était difficile à gérer et à protéger le groupe des sollicitations, nous sommes partis très tôt en Allemagne. Nous y avons certainement laissé un peu d’énergie. Il y avait une fatigue psychologique qui aurait pu affecter les aspects physiques et musculaires. Le contexte d’une finale n’a rien à voir avec les autres matches. Je le savais mais les joueurs y jouaient un peu avant. Même pour les garçons naturellement détendus. Ludo se blesse rapidement et l’impact a également été négatif sur le groupe.

« À l’époque, je pouvais faire voler quelques bouteilles d’eau. J’étais jeune et pétillant.

Des regrets sur ce match ?

On peut toujours en avoir, mais ça faisait longtemps que je n’avais pas rejoué les matchs. Restent surtout les regrets d’avoir raté quelque chose de fabuleux, avec la possibilité d’être champion d’Europe.

Quel match vous a rendu le plus fier en tant qu’entraîneur ?

C’est le retour contre le Real. Tout s’est passé comme je l’avais prévu et comme je l’ai présenté aux joueurs.

Comment le coach Deschamps a-t-il évolué depuis cette épopée ?

J’ai beaucoup plus d’expérience (rires). Je suis différent, moins impulsif. Je réagis moins vite même si je continue à dire ce que j’ai à dire. Je me souviens que je pouvais vraiment me lever dans les airs à la mi-temps ou en fin de match. Je pourrais faire voler quelques bouteilles d’eau (rires). J’étais jeune et pétillant. Non pas que je ne le sois plus aujourd’hui, j’ai laissé le doigt sur la table des vestiaires en finale de la Coupe du monde (2022), mais avec l’âge on se canalise tout en gardant la même ferveur.

Quelle histoire n’as-tu jamais racontée ?

Si je ne l’ai pas dit, c’est parce que je n’ai pas envie de le dire (rires).

C’est trop facile, Didier…

J’avais une superstition avec mon manteau en cuir, celui que je portais en finale.

Était-ce de mauvais goût ?

Non, ça se passait plutôt bien. Enfin, j’espère. Idem pour les coupes de cheveux. Tout a évolué. Mais au fil des années, les superstitions diminuent beaucoup et on leur accorde moins d’importance.

Les Monégasques ont éliminé Chelsea en demi-finale. Deschamps avait éprouvé une joie immense. Photo AFP.

C’est dit :

« Je tiens à remercier Jeannot Petit (son adjoint). Il n’est plus là mais c’était une personne tellement attachante. Nous avons passé tellement de bons moments entre les matchs, les greens, les dîners et les déjeuners. Il était à mes côtés avec sa connaissance du club et son expérience au quotidien. Au fur et à mesure que je construis ma carrière d’entraîneur, je lui serai toujours extrêmement reconnaissant.

« Gallardo (parti pendant l’été) ? Ah oui, c’était compliqué. Mais pas seulement avec lui. Lors de ma première saison, c’était aussi avec Simone et Panucci mais on s’est revu depuis et on a discuté. C’est arrivé. Ils sont devenus coachs et s’en rendent compte. Idem pour Gallardo même si je ne l’ai pas revu. Je ne dis pas que j’avais raison ou tort. Je me suis retrouvé avec l’héritage de Claude Puel qui avait eu des problèmes et j’ai eu les mêmes. Ce n’était pas lié à l’ego mais il y avait des incohérences par rapport à ce que j’attendais d’un groupe et de son attitude.

« Je n’avais pas peur contre le Lokomotiv mais c’était le match le plus difficile. Nous avons le devoir de nous qualifier, nous étions favoris, mais ce n’était pas une équipe très connue en Europe. Elle était en pause, nous n’avions aucune information. Elle avait blessé des joueurs deux semaines auparavant, mais ils sont sur le terrain et courent partout comme des lapins. cela a freiné l’insouciance que nous aurions pu avoir.

 
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