Exposition à Neuchâtel : « nommer les natures » est-il une forme de colonialisme ?

Exposition à Neuchâtel

« Nommer les natures » est-il donc une forme de colonialisme ?

Le Musée regarde avec les yeux de 2025 la personne de Von Tschudi, qui explora pour lui le Pérou entre 1838 et 1842.

Publié aujourd’hui à 13h59

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Il y a, comme ça, des sujets qui sont dans le « zeitgeist », pour reprendre le nom d’un parfum devenu classique de Nina Ricci. Les institutions suisses donnent ainsi beaucoup en ce moment au décolonialisme, à l’esclavage, au féminisme et à la provenance des œuvres d’art. Quant au premier, nous avions hier le MEG à Genève et aujourd’hui le Landesmuseum à Zurich. Ils nous ont sérieusement sermonné. Les musées ne sont plus aujourd’hui des lieux de plaisir et de divertissement. Ils sont devenus des lieux où les Suisses sont appelés à se flageller. Plus ça fait mal, mieux c’est. Les visiteurs deviennent ainsi conscients dans leur chair. Les intellectuels aiment la culpabilité et le pessimisme, c’est bien connu.

Le sort des petits oiseaux

Tout cela pour vous dire que le Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel est entré dans la danse avec « Nommer les natures », qui se veut une histoire naturelle vue à travers le prisme du patrimoine colonial. Donner un nom à une fleur n’est pas innocent, si cela ne se fait pas dans une langue vernaculaire émanant si possible d’un peuple source. C’est une forme d’appropriation culturelle. Et si vous cueillez ladite fleur, malheur à vous ! Vous devenez un prédateur dépouillant les indigènes de leur héritage matériel et spirituel. Il peut y avoir du caractère sacré même chez les petits oiseaux. L’exposition actuelle propose également un court métrage dans lequel un artiste chamane Asháninka du Pérou exige le rapatriement de tous les restes d’animaux dans son pays. Dont sans doute celui d’un oisillon bénéficiant, grâce à une artiste andine, Ivana de Vivanco, d’une exposition spectaculaire devant un triptyque peint. Et quand je pense que les Suisses jettent les ossements de leurs morts Dieu sait où, une fois les droits de concession funéraire expirés…

L’exposition ne tombe pas du ciel au Musée. En 1838, l’institution alors naissante chargea Johann Jakob von Tschudi (1818-1889) de rassembler des collections d’histoire naturelle au Pérou. Récemment docteur en sciences (ça allait plus vite à cette époque), le Glaronnais y a passé cinq ans. Pas tout à fait intentionnellement, je dois le souligner. Il se retrouve mêlé, mais de loin, au conflit entre le Pérou et le Chili, récemment indépendant. Il eut donc tout le loisir d’étudier les plantes, de tuer puis d’empailler les animaux et de dérober quelques objets archéologiques au passage. Ce pour quoi il est bien sûr critiqué aujourd’hui. J’ai noté à cet égard que l’exposition actuelle, réalisée par Tomás Barloletti et l’« artiste chercheuse » Denise Bertschi, malgré son contenu scientifique, était en train de devenir un chef-d’œuvre du « temps présent ». Chaque homme et chaque femme du passé aurait dû adopter les normes morales de 2025. Sinon, c’est du déchet ! Neuchâtel a déjà beaucoup donné dans le genre avec Louis Agassiz, grand savant coupable d’erreurs racistes, et surtout David de Pury, censé avoir fait fortune dans la traite des noirs.

Galerie d'art avec illustrations d'oiseaux encadrées sur un mur sombre et espace d'exposition bien éclairé en arrière-plan.

Johann Jakob von Tschudi devrait-il subir le même sort ? Oui et non, le visiteur le découvre en parcourant une scénographie remarquablement mise en scène par Elissa Bier, qui a fait des merveilles à partir d’une matière peu esthétique. L’homme a des connaissances avancées, mais il n’a pas su mettre en valeur les savoirs ancestraux des peuples autochtones. Il a conservé une vision occidentale de la science, avec ce que cela implique de condescendance à l’égard du reste du monde. Il s’agit donc aujourd’hui d’équilibrer les choses en prenant en compte non pas les Péruviens d’origine espagnole, qui sont certes méchants, mais les populations d’origine, forcément merveilleuses. Nous avons affaire ici, comme partout ces jours-ci, à une sorte de racisme inversé se rapprochant dangereusement des mythes du « bon sauvage ». Tschudi semblait trop sûr de lui et de sa supériorité. Ce n’est pas bon pour le « Suisse Alexander von Humboldt », qui prend soudain un petit côté aventureux. Préférerions-nous traiter avec lui dans notre Indiana Jones local ?

Cochon d'Inde taxidermisé exposé sous une vitrine en verre, entouré de documents historiques et d'illustrations botaniques.

Il y a beaucoup à lire dans l’exposition. Un peu à voir aussi, tout de même. A noter que les peluches, qui ont remarquablement bien résisté depuis les années 1840, sont présentées dans des vitrines recouvertes d’un rideau. Le visiteur a toujours le droit de le soulever. Il s’agit de ne pas froisser les peuples originaires, qui n’ont pas tous pu être consultés, par un contact trop brutal. Il y a aussi parfois des tables de travail disposées de manière artistique, comme si des chercheurs étudiaient ici. Sur l’une repose (sans rideau) un cobaye en peluche, cas ultime de nomination abusive. Ce n’est pas un cochon et il ne vient pas d’Inde. Est-ce vraiment si grave ? Les Péruviens ne s’en remettront-ils jamais ? Les animaux en question non plus ? Les Autrichiens ont toléré que les Suisses volent leur coucou !

Pratique

« Nommer les natures, Histoire naturelle et patrimoine colonial », Muséum d’histoire naturelle, 14, rue des Terreaux, Neuchâtel, jusqu’au 17 août. Tel. 032 718 37 00, site internet https://museum-neuchatel.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h

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Né en 1948, Etienne Dumont étudié à Genève qui lui furent de peu d’utilité. Latin, grec, droit. Avocat raté, il se tourne vers le journalisme. Le plus souvent dans les sections culturelles, il travaille de mars 1974 à mai 2013 à la Tribune de Genève, commençant par parler de cinéma. Viennent ensuite les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le constater, rien à signaler.Plus d’informations

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