Notre système d’accueil, qui est un modèle, a toujours bénéficié d’un bon soutien de la population, y compris au Québec. Mais le monde a changé. Les mouvements de population explosent partout sur la planète. Le système canadien est-il bien équipé pour faire face à ces pressions ?
Publié à 5h00
Comment le Canada se compare-t-il?
Le taux d’acceptation des demandes d’asile au Canada est très élevé par rapport aux autres pays : 78 % des dossiers ayant fait l’objet d’une décision ont obtenu une réponse favorable en 2023.
Consultez les statistiques de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada
Partout ailleurs, au sein du G7 ou dans les pays de l’Union européenne, les niveaux sont bien plus faibles.
À des fins de comparaison, La presse utilisé des données standardisées du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Selon eux, en France, le taux d’acceptation s’élève à 27 %.
En Allemagne, pays qui accepte le plus de demandeurs d’asile par rapport à sa population, le taux était de 41 %.
L’Espagne, également très demandée, n’en a accepté que 17 %.
En Italie, l’une des principales portes d’entrée en Europe pour les migrants arrivant de la Méditerranée, le taux d’acceptation est encore plus bas, à 12 %.
Plusieurs pays hors Union européenne ont des taux d’acceptation plus élevés, sans toutefois atteindre les taux canadiens : l’Australie, à 47 %, le Royaume-Uni, à 65 %, et les États-Unis, à 73 %. . Ces derniers ont un taux élevé, mais cela s’explique par le fait que le nombre de cas traités chaque année est très faible.
Critères de persécution
Bref, le Canada est véritablement un champion de l’hospitalité.
Qu’est-ce qui peut expliquer ces différences ?
Bien entendu, les comparaisons sont difficiles, entre autres parce que l’origine des demandeurs d’asile n’est pas la même d’un pays d’accueil à l’autre. Certains pays, pour des raisons géographiques ou historiques, reçoivent davantage de demandes, comme les États-Unis. Le Canada, entouré de trois océans, est moins soumis à ces pressions.
En principe, les pays se basent sur les critères de persécution définis par la Convention de Genève de 1951 : une personne peut obtenir le statut de réfugié si elle a une crainte fondée d’être persécutée dans son pays, en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance. dans un groupe particulier ou des opinions politiques.
Les différences de taux d’acceptation montrent que chaque pays interprète ces critères selon son propre cadre juridique, ses valeurs ou ses priorités.
«Notre système est considéré comme plus impartial que celui d’autres pays», affirme Adèle Garnier, professeure à l’Université Laval et membre de la Chaire sur les dynamiques migratoires mondiales.
Au Canada, il y a vraiment un effort de réflexion sur les recommandations faites par les Nations Unies sur la situation originale des pays.
Adèle Garnier, professeure à l’Université Laval et membre de la Chaire sur les dynamiques migratoires mondiales
En d’autres termes, le Canada est au premier rang de la classe. Le Canada – et cela vaut également pour le Québec – a toujours été un pays d’immigration et s’est traditionnellement considéré comme une terre d’accueil. C’est ce qu’exprimait le premier ministre Justin Trudeau sur Twitter en 2017 : « À ceux qui fuient les persécutions, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueillera… » Un message qui avait laissé des traces.
La question est de savoir si cette façon de voir les choses bénéficie du même soutien de la part des Canadiens et des Québécois aujourd’hui, alors que les demandes d’asile ne cessent d’augmenter.
«Ce phénomène est assez nouveau», observe François Audet, directeur de l’Observatoire canadien des crises et de l’action humanitaire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Notre appareil public est en ajustement par rapport au débat public, à notre capacité d’accueil, d’absorption, etc. On peut émettre l’hypothèse qu’il y aura un ajustement dans les années à venir, notamment avec une administration qui aurait une politique plus conservatrice.
François Audet, directeur de l’Observatoire canadien des crises et de l’action humanitaire à l’UQAM
Une liste de « pays sûrs »
Outre le taux d’acceptation, le Canada se démarque par des délais de traitement particulièrement longs et par l’absence de mécanismes permettant d’exclure les demandes provenant de pays où le risque de persécution est moindre.
Les demandes d’asile sont traitées sur une base individuelle par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). Les commissaires tiennent compte de la situation dans le pays d’origine du demandeur. Mais le Canada a abandonné l’utilisation d’une liste de « pays sûrs » en 2019, comme en Europe. On suppose que les ressortissants de ces pays n’ont généralement pas besoin de protection.
Il semble également exister des listes informelles de pays d’origine pour lesquels les pays d’accueil considèrent les demandes comme moins plausibles. « En France, cela dépend de la nationalité des candidats », explique Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique, spécialisé dans les questions de migrations internationales.
Par exemple, un Afghan aura 65 % de chances d’obtenir le statut de réfugié, mais un Africain, 10 %, quel que soit son profil. Il y a donc aussi des sélections tacites, qui se font en fonction des origines des gens.
Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique
En Espagne, une part importante des candidatures proviennent de pays d’Amérique latine, notamment du Venezuela, de la Colombie et du Honduras. Toutefois, les autorités espagnoles considèrent que les situations dans ces pays ne justifient pas automatiquement l’octroi de l’asile. Le taux d’acceptation des candidatures du Venezuela n’est que de 22 %, malgré la crise que traverse ce pays, contre 94 % au Canada. Pour la Colombie, c’est 5 %, contre 85 % ici.
“Tout le monde le sait”
On peut illustrer les effets de cette absence de politiques globales à l’égard de certains pays avec le cas du Bangladesh, qui était, en 2024, le deuxième pays d’origine des demandeurs d’asile au Canada.
En 2022, le Canada n’a reçu que 845 demandes de ce pays. Ils ont fortement augmenté en 2023, à 4 400, et ils ont explosé en 2024, avec 14 430 en seulement 9 mois.
Il est vrai que ce pays a connu une grave crise politique et économique. Mais fait-il de ses citoyens des victimes de persécution ? La plupart des pays pensent que non. En moyenne, l’Europe a donné une réponse positive à seulement 4 % des candidats bangladais, l’Allemagne 9 %, la France 5 %, le Royaume-Uni 27 %, les États-Unis 22 %. Et le Canada ? À 80%.
Tout le monde le sait, il est plus facile de venir au Canada si on veut avoir le statut de réfugié.
Michael Barutciski, avocat et professeur à l’Université York à Toronto
«Ça a toujours été un peu comme ça. Mais c’est devenu clair : nous arrivons ici et nous savons que dans les trois, quatre, cinq ans à venir, le gouvernement ne va pas nous expulser. Il n’y a donc aucun problème. Nous restons, quel que soit notre statut. Nous sommes là », déclare Michael Barutciski.
Tous les demandeurs d’asile n’obtiennent pas le statut de réfugié. Certains partent après avoir été rejetés, mais d’autres disparaissent dans l’ombre, restant au Canada sans statut, souvent oubliés par le système. Il n’existe pas de données précises sur le nombre d’immigrés sans papiers dans le pays. Les estimations varient généralement entre 100 000 et 500 000, bien que certaines sources avancent le chiffre jusqu’à un million.