Un nouveau type de graffiti est apparu récemment sur les murs des villes françaises : le portrait d’une femme aux cheveux auburn coupés au carré, debout. Il porte une paire de lunettes de soleil sombres comme une armure.
Changer votre point de vue sur le viol
Il s’agit de Gisèle Pelicot, 71 ans, au centre d’un procès pour viol qui a choqué et ému l’opinion publique, en France, mais aussi dans le monde. Son (maintenant ex) mari depuis cinquante ans a admis l’avoir droguée, violée et recruté 50 autres hommes pour faire de même, pendant plusieurs années.
“Je n’exprime ni ma colère ni ma haine, mais ma volonté et ma détermination pour que nous puissions changer cette société”
Malgré le traumatisme qu’elle a subi, Gisèle Pelicot, qui a fait sa dernière déclaration devant le tribunal fin novembre, est devenue une héroïne et une icône féministe depuis le début du procès en septembre. Il a rejeté l’anonymat et l’audition à huis clos offerts aux victimes présumées de viol en France. Au contraire, elle choisit d’ouvrir les portes du tribunal au public pour dénoncer les crimes commis par son mari – documentés par des vidéos sordides des viols qu’elle a subis – dans le but d’inciter d’autres femmes victimes à témoigner ouvertement.
« Ce n’est pas notre rôle d’avoir honte, c’est le leur », a-t-il déclaré au tribunal. “Je n’exprime ni ma colère ni ma haine, mais ma volonté et ma détermination de changer cette société.”
Gisèle Pelicot a déjà fait beaucoup : 85% des personnes interrogées en France par l’Ifop estiment que cette démarche devrait inciter chacun, notamment les hommes, à agir davantage pour lutter contre les violences sexuelles. La grande majorité des personnes interrogées ont également déclaré que l’affaire du viol de Mazan les avait amenées à reconsidérer le point de vue de la société et leur propre point de vue sur ce type de crime. La large médiatisation a permis de démanteler certains préjugés : le viol n’est généralement pas un crime commis par des inconnus, il peut survenir au sein d’un couple marié, et le temps mis par les victimes pour porter plainte n’est pas un signe de faiblesse dans leurs accusations.
La France est en retard sur le consensus
Le débat entre avocats et politiciens a également relancé sur la question de savoir si la France devrait réviser sa définition juridique du viol pour inclure le consentement explicite. Actuellement, cette notion n’est pas clairement mentionnée dans la loi française, ce qui peut compliquer les cas de viol lorsque les femmes sont paralysées ou ne parlent pas lors de l’agression, selon l’avocate Anne-Claire Le Jeune, qui représentait les victimes françaises dans l’affaire Jeffrey Epstein. “Notre volonté est de protéger les victimes autant que possible”, a-t-il déclaré.
“En France il y a eu de la résistance, certains avocats ne voyaient pas la nécessité de changer quoi que ce soit à la loi”
Une vague de lois consensuelles, que l’on peut résumer dans le slogan « seul un oui est un oui » [‘only yes means yes’, ndt]a balayé toute l’Europe, avec 20 pays – dont l’Espagne, l’Allemagne et la Suède – qui les ont adoptés depuis le début du mouvement #MeToo en 2017, selon un article d’universitaires suédois publié l’année dernière. En France, il y a eu des résistances, certains avocats ne considérant pas la nécessité de modifier quoi que ce soit à la loi, tandis que leurs opposants insistent sur le fait que cela transférerait la responsabilité de prouver le consentement de la victime à l’auteur du crime.
Le ministre français de la Justice s’est déclaré fin septembre favorable à une modification de la loi, mais il reste à voir si et quand cela se produira.
“Mon monde s’effondre”
Avant que la vie de Gisèle Pelicot ne soit bouleversée, elle vivait avec son mari Dominique dans le petit village de Mazan dans le sud de la France. Ils profitaient de leur retraite après leurs carrières respectives de responsable logistique et d’agent immobilier. Ils ont eu trois enfants adultes et plusieurs petits-enfants.
Tout a changé en 2020 lorsque Dominique a été arrêtée pour avoir filmé secrètement la jupe d’une femme dans un supermarché. La police a enquêté et a trouvé un ordinateur contenant de nombreuses vidéos de séances au cours desquelles il a endormi sa femme et l’a offerte à des inconnus dans leur chambre.
Lorsque la police a informé Gisèle Pelicot de la découverte, elle a déclaré ne se souvenir de rien. “Mon monde s’effondre, tout s’effondre pour moi, tout ce que j’ai construit pendant cinquante ans”, a-t-il déclaré au tribunal.
Une victime la tête haute
Elle a d’abord refusé de regarder les vidéos, mais n’a cédé que peu avant le procès, sur les conseils de ses avocats. “Franchement, ce sont des scènes d’horreur pour moi”, a-t-il déclaré. Mais elle a pris la peine de permettre à ses avocats de faire pression pour que les vidéos soient diffusées publiquement comme preuve. Le juge a d’abord refusé avant de changer d’avis.
Trente-cinq prévenus ont déclaré ne pas avoir violé Gisèle Pelicot, un nombre surprenant malgré des vidéos montrant qu’elle était clairement inconsciente, ronflant parfois même. Ces hommes, âgés de 26 à 74 ans, d’origines différentes et de niveaux d’éducation différents, constituent un échantillon représentatif de notre société. Parmi eux figurent un pompier, un journaliste et un militaire, ainsi que des retraités et des chômeurs. Certains se sont cachés sous des chapeaux et des foulards en entrant dans le palais de justice.
« Trente-cinq prévenus ont déclaré ne pas avoir violé Gisèle Pelicot. Ces hommes, âgés de 26 à 74 ans, d’origines différentes et de niveaux d’éducation différents, constituent un échantillon représentatif de notre société. »
Leurs avocats ont soutenu qu’ils n’étaient pas coupables car ils n’avaient pas l’intention de violer et qu’ils avaient supposé que Gisèle Pelicot avait accepté un « jeu libertin » mené par son mari. Pour l’accusé, l’approbation du mari constituait un consentement.
Pour soutenir Gisèle Pelicot, des groupes féministes ont organisé des manifestations à travers le pays, tandis que les femmes affluaient en nombre pour la soutenir au tribunal d’Avignon. Blandine Deverlanges, enseignante dans un lycée et fondatrice d’un groupe féministe local, fait partie de celles qui ont instauré des applaudissements systématiques à l’arrivée et au départ de Gisèle Pelicot du tribunal pour lui exprimer « son admiration, sa gratitude et son respect ».
“Je trouve qu’elle a de l’aplomb, de la dignité et qu’elle garde la tête haute”, a déclaré Blandine Deverlanges.
« Le procès de la lâcheté »
Gisèle Pelicot est restée très stoïque pendant le procès, mais lorsqu’elle s’est levée pour prendre la parole pour la dernière fois le 19 novembre, sa colère s’est exprimée. “C’est une preuve de lâcheté”, a-t-il déclaré. “Cette cicatrice ne se refermera jamais.”
Pourtant, lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle avait conservé le nom de famille de son ex-mari, la détermination a remplacé la colère. « J’ai des neveux qui s’appellent Pelicot. Je veux qu’ils soient fiers. »
Leila Abboud et Sarah White, FT
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