- en Italie | « Il vaut mieux mourir du cancer que de faim » – .

Au sud de la Sicile se trouve l’un des plus grands centres pétrochimiques d’Europe. Bien qu’en déclin, elle continue de fournir la majorité des emplois et de dévaster les terres, le ciel, la mer et les corps de ces terres sacrifiées, où la pollution est dévastatrice.


Publié à 1h01

Mis à jour à 6h00

Augustin Campos

Collaboration spéciale

(Augusta) Rosaria connaît trop bien le mal de sa patrie sicilienne, Augusta. Elle l’a rencontré à plusieurs reprises au cours de ses 66 années de vie. Le cancer a frappé sa mère, son mari Giuseppe et plusieurs cousins, tantes et oncles, dont certains n’ont pas survécu.

« Ici, aucune famille n’y échappe, on ne peut jamais être en paix, à moins de partir », témoigne Giuseppe, 73 ans. D’ailleurs, ses enfants sont partis. Loin de ce « quadrilatère de la mort » continuellement obscurci par un nuage de malheur et de pollution depuis plus de 70 ans. La faute en est aux 25 km de l’industrie chimique dans le plus grand centre pétrochimique d’Italie, où est raffiné près de 30 % du carburant consommé en Italie.

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PHOTO STEFANIE LUDWIG, COLLABORATION SPÉCIALE

Giuseppe, fidèle au sanctuaire, joueur de zampogna et ancien manutentionnaire de la raffinerie

Giuseppe y a travaillé pendant 40 ans comme manutentionnaire. Au sein de la raffinerie Enichem rachetée en 1996 par Sasol, une multinationale sud-africaine productrice de produits pétroliers.

« Avant, il y avait du travail pour tout le monde, mais on le payait cher », affirme celui dont la tumeur de la prostate a pu être soignée à temps. « J’ai découvert que j’avais un cancer lors d’un contrôle une fois à la retraite », raconte-t-il modestement.

Ce coin de Sicile, avec Augusta et ses 36 000 âmes au sommet – 6 000 de moins qu’il y a 30 ans – n’a également pas grand-chose à offrir, si ce n’est des postes bien rémunérés dans le pôle pétrochimique. Bien qu’en déclin, elle assure encore environ 10 000 emplois.

“Les compagnies pétrolières polluent, ruinent toute une région, ce qui aurait été fantastique s’il n’y avait pas eu une telle industrie [et qui abrite notamment un important site archéologique datant de l’âge de bronze]. Puis ils partent », résume Rosaria.

Elle cite Esso (filiale du géant américain ExxonMobil), qui a vendu en 2018 aux Algériens la Sonatrach, laissant en l’état les environ 1.800 hectares encore contaminés censés être décontaminés par les entreprises reconnues responsables des dégâts, dont elle fait partie. .

“Jusqu’aux années 1980, il n’y avait aucune forme de contrôle”

Diverses études scientifiques ont montré la forte incidence de tumeurs et de malformations dans ce coin de l’île. Dans le dernier rapport Sentieri – qui fait autorité en la matière – publié l’année dernière, les scientifiques constataient entre autres un excès de cancers du sein touchant aussi bien les hommes que les femmes, associés aux « usines pétrochimiques et aux décharges ».

Dans le rapport de 2019, ils font état « d’un excès de décès chez les jeunes adultes dus aux cancers du système lymphohématopoïétique et aux leucémies, bien qu’il s’agisse d’un excès de mortalité par rapport aux prévisions régionales », ainsi qu’un nombre anormalement élevé de malformations du système nerveux. et le pénis.

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PHOTO STEFANIE LUDWIG, COLLABORATION SPÉCIALE

La zone industrielle Augusta-Melilli-Priolo Gargallo

Pendant longtemps, « le miracle industriel » a triomphé. “Jusqu’aux années 1980, il n’y avait aucune forme de contrôle des pratiques de raffinage, c’était sauvage”, raconte le géographe Alfonso Pinto, qui a passé trois ans dans la région dans le cadre de son documentaire d’investigation. Toxicitéà venir.

Au fil du temps, plusieurs scandales aux conséquences sanitaires dévastatrices ont été découverts. La dernière en date est retentissante : la saisie en juin 2022 de l’usine de traitement des eaux industrielles du centre pétrochimique, qui, s’est révélée, n’a plus fonctionné correctement depuis 1984 !

Il n’est toujours pas opérationnel aujourd’hui, mais le centre pétrochimique continue de fonctionner. Car il a été classé début 2023 « d’intérêt stratégique national » par la présidente du Conseil, Giorgia Meloni (extrême droite), afin d’éviter sa fermeture.

Peu importe qu’aux alentours des raffineries, la terre, la mer et l’air soient contaminés. L’air, par endroits irrespirable, est chargé d’hydrogène sulfuré et de dioxyde de soufre, un gaz très toxique qui affecte le système respiratoire. Le benzène – un hydrocarbure cancérigène – et l’arsenic ont pénétré dans la terre. Quant aux eaux du port, on estime que 750 tonnes de mercure y ont été déversées en 70 ans !

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PHOTO STEFANIE LUDWIG, COLLABORATION SPÉCIALE

Enzo Parisi, militant écologiste d’Augusta

Quelque 18 millions de mètres cubes de boues toxiques gisent dans le lit du port. Il est aussi théoriquement interdit de pêcher dans le port d’Augusta, mais certains ignorent la réglementation. « Ces boues sont toujours là, et les poissons que nous continuons à manger aussi », dénonce Enzo Parisi, militant au sein de l’association écologiste Legambiente. La chaîne alimentaire est ainsi affectée.

Une mentalité d’omerta

“Les quelques emplois qu’il y a ici sont mal payés”, assure Carmelo, un jeune agent portuaire de 27 ans qui habite en face de la zone industrielle, seulement séparé d’elle par le port. Alors oui, beaucoup d’entre nous sont conscients qu’il est dangereux de travailler et d’habiter à proximité des raffineries, mais en réalité, sans le port et la zone pétrochimique, il n’y aurait pas grand chose ici. »

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Carmelo Ciacchella, agent portuaire et résident d’Augusta, face à la zone industrielle

Et face au désastre, le silence est d’or. « Les gens ont trop peur pour parler », rapporte le géographe sicilien Alfonso Pinto. Le chantage au travail a des conséquences néfastes. Souvent, les langues ne se délient qu’après la retraite, et même alors, si le fils ou la fille ne s’est pas vu promettre un emploi. Et quand le silence est brisé, c’est surtout pour répéter machinalement le dicton local : « il vaut mieux mourir du cancer que de faim ».

Contre le règne du silence, le prêtre Palmiro Prisutto documente et dénonce avec force cette « tragédie de l’énergie chimique ».

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Prêtre Palmiro Prisutto

Dans la vaste église du centre-ville dont il a été évincé en 2021, Palmiro Prisutto a érigé la « place des martyrs du cancer » : un panneau de bois où sont collées des feuilles de papier A4 recouvertes des noms d’habitants morts du cancer, dont le des proches sont venus parler au curé. Aujourd’hui, il existe un peu plus de 1 400 noms. Et la liste n’est pas exhaustive, sur cette terre sacrifiée.

 
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