«Pourquoi maman mange ce qui reste dans l’assiette», cinq ans après, les plaintes des Gilets jaunes sont plus que jamais d’actualité

«Pourquoi maman mange ce qui reste dans l’assiette», cinq ans après, les plaintes des Gilets jaunes sont plus que jamais d’actualité
«Pourquoi maman mange ce qui reste dans l’assiette», cinq ans après, les plaintes des Gilets jaunes sont plus que jamais d’actualité

Il y a cinq ans, des milliers de Français portaient un Gilet Jaune, en signe de détresse. Dans plus de 300 cahiers, en Gironde, ils ont exprimé leur quotidien et leurs doléances. Entre emblème d’une époque et base de travail, un sociologue étudie depuis deux ans les demandes de ces Girondins et analyse les parallèles avec la société actuelle.

Ils sont manuscrits, tapés à l’ordinateur, dans un tableau ou sous forme de lettre. Ces doléances, souvent anonymes, ont été rédigées par des milliers de « Gilets jaunes » entre novembre 2018 et février 2019, en préparation du Grand Débat national, prévu en janvier 2019. Celui-ci n’a finalement pas eu lieu.

Ces témoignages ont été soigneusement scellés dans les archives départementales. Un trésor de vie dans lequel Samuel Noguera a décidé de se plonger il y a deux ans, soutenu par le Département de la Gironde. « Récemment, j’ai vu une lettre au Père Noël adressée au Président de la République. Il a été rédigé en décembre 2018. Il dit entre autres : « en ces temps-là, il est bon de croire au Père Noël. Les enfants demandent des cadeaux, moi, en tant que citoyen, je lui écris mes doléances”pose en exemple le doctorant en sciences politiques.

Au total, plus de 5 000 doléances ont été enregistrées dans les 375 cahiers girondins. Depuis près de deux ans, Samuel Noguera les retranscrit minutieusement dans un gigantesque dossier. « À l’aide d’outils informatiques, je les analyse et les compare pour connaître, entre autres, les profils des auteurs ou la récurrence des thématiques abordées »explique Samuel Noguera.

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Pouvoir d’achat et inégalités territoriales au cœur des doléances des Gilets jaunes

© Archives départementales de la Gironde

Au cœur de ces écrits règne la notion d’inégalités territoriales. « Beaucoup dénoncent la fracture entre les villes du département et Bordeaux, qui concentrerait toutes les ressources au détriment des ruraux, notamment en Nord-Gironde et Sud-Gironde », explique le doctorant.
Symbole de ce désengagement pour ces Gilets jaunes : les transports, comme à Libourne. « Demande : améliorer les correspondances, mettre plus de TER en gare de Libourne »indique un auteur anonyme. “Ils évoquent également le désinvestissement de l’Etat dans les services de proximité, et notamment de santé, ou encore les services culturels”, précise Samuel Noguera.

Disponibles dans les mairies rurales, écrites sur les ronds-points ou envoyées par courrier, ces doléances portent pour cela l’espoir d’un changement, notamment économique. « classe moyenne pauvre », autant de Gilets Jaunes se définissent. “M. Président, j’aimerais que vous expliquiez à ma fille de 5 ans pourquoi maman n’allume pas le chauffage partout dans la maison ? Pourquoi le soir maman mange-t-elle ce qui reste dans son assiette ou une tasse de café ? témoigne une mère.

Pourquoi maman dit-elle qu’elle s’est cognée l’orteil lorsqu’elle pleure au lit la nuit en vérifiant le solde de son compte ?

Fin de la CSG, baisse des impôts, gratuité des transports, les propositions s’accumulent avec les doléances. « Outre le pouvoir d’achat, les minima sociaux et la meilleure répartition des impôts reviennent régulièrement. Souvent, les revendications ne portent pas sur une baisse des impôts, mais sur une meilleure répartition des impôts.»souligne le doctorant en sciences politiques.

Autre axe majeur de ces cahiers : la représentation politique et la méfiance qui s’installe. « Nous voyons de nombreux citoyens attendre une refonte du système et demander une participation plus directe. » analyse Samuel Noguera.

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Dans cette lettre, une maman parle de son quotidien et de ses difficultés financières.

© Archives départementales de la Gironde

Loin de l’image des ronds-points d’Epinal, selon les carnets, les Gilets jaunes se révèlent de multiples façons. Sur une page, le témoignage d’un retraité de 70 ans précède les doléances d’une écolière de 16 ans. « Pourquoi interdire le travail dès 16 ans ? Je dois travailler pour étudier et devenir avocat. »elle demande.

Dans ses lectures, le sociologue a pu distinguer trois types de cahiers de doléances. « Les cahiers déposés à la mairie sont souvent le moyen de parole des personnes âgées en milieu rural. Celles mises à disposition en métropole révèlent des classes plus aisées, qui auront un discours plus politisé, plus précis. Enfin, les doléances envoyées par courrier sont celles d’une classe moyenne en difficulté, comme des personnes handicapées, des mères célibataires ou des personnes ayant subi un déclassement social. analyse Samuel Noguera.

>Dans les registres de doléances, les profils sont multiples, les âges aussi.
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Dans les registres de doléances, les profils sont multiples, les âges aussi.

© Archives départementales de la Gironde

Même si beaucoup ne sont pas signés, de nombreux auteurs ont été retrouvés par le sociologue. Cinq ans plus tard, il souhaite les rencontrer. « J’entame maintenant la phase d’entretiens, pour avoir leur retour sur ces cinq années, sur leur vision de la société aujourd’hui »explique le doctorant.

Une de mes questions sera : si vous deviez réécrire vos doléances aujourd’hui, diriez-vous la même chose ?

Samuel Noguera

Doctorant en sciences politiques au Centre Emile Durkheim – Bordeaux –

Le mouvement des Gilets jaunes a débuté en 2018 pour protester, dans un premier temps, contre le prix de l’essence, qui s’élevait alors à 1,45 euro. Cinq ans plus tard, ce dernier frôle régulièrement les 2 euros. « La pandémie est passée, l’inflation est extrêmement élevée et les griefs de 2018 semblent finalement presque insignifiants au vu de la situation actuelle. » explique Samuel Noguera.

Comme l’inflation, la question des retraites, bien que centrale dans la liste des doléances, a également été résolue depuis. « Les retraités comme les actifs l’augmentent en demandant une baisse de la CSG, le maintien ou le relèvement de l’âge de la retraite. La réforme adoptée va à l’encontre de ces demandes. Liste de Samuel Noguera.

La Gironde est l’un des seuls départements de France à avoir employé pendant trois ans un chercheur pour faire parler ces cahiers. « Quand nous avons rencontré les collectifs des Gilets jaunes, après le mouvement, pour trouver de nouveaux formats de politiques publiques, ils nous ont rappelé qu’il y avait déjà de la matière »explique Céline Goeury, cconseiller départemental chargé de la citoyenneté et de la laïcité.

Même si tous les griefs ne seront pas accessibles au grand public, le Ministère souhaite en faire une base de travail. « C’est l’occasion de croiser ces doléances avec les politiques menées, à accélérer ou à ralentir selon les réalités. Nous avons ici d’autres mots que ceux qui ont l’habitude de s’exprimer », envisage le directeur à l’initiative du financement de la thèse de Samuel Noguera.

>Au terme de cette thèse, le Département espère initier des politiques plus participatives.
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Au terme de cette thèse, le Département espère initier des politiques plus participatives.

© Archives départementales de la Gironde

L’objectif est d’accroître la participation citoyenne. « Nous avions lancé notamment le droit d’interrogation, inspiré du RIC (Référendum d’initiative citoyenne, NDLR), mais il a été rejeté par la préfecture, car il ne rentrait pas dans la constitution. Aujourd’hui, on reprend au plus vite la parole des Girondins sur des thématiques comme le logement ou le handicap. dit Céline Goeury.

Au terme de trois années de travaux, les cahiers de doléances resteront aux archives départementales de la Gironde. « Si l’on est à nouveau dans une centralisation des documents, mon travail sera présenté dans les instances départementales et sur Internet où chacun pourra le consulter », précise Samuel Noguera. Plusieurs fois dans ces plaintes, la révolution de 1789 est évoquée, comparée à 2018. “Peut-être que dans 250 ans nous verrons ce moment de l’histoire comme nous le voyons aujourd’hui en 1789”, dit le sociologue.

 
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