À quand remonte la dernière fois que vous avez regardé une partie d’échecs ? Pas dans la série télévisée Le Gambit de la Damelà. Un véritable match, entre deux grands maîtres.
Eh bien, voilà.
C’est pourquoi plusieurs des meilleurs joueurs du monde s’associent à la légende norvégienne Magnus Carlsen pour révolutionner le jeu. En quatre mots : à bas les conventions ! Ils proposent même de changer la position de départ des pièces sur l’échiquier. Toute la dernière rangée, d’une tour à l’autre, sera laissée au hasard.
“Avoir une disposition différente pour chaque pièce est vraiment excitant”, a déclaré Carlsen lors du Temps Financier. Bonjour, la créativité. Ciao, j’apprends par cœur toutes les ouvertures répertoriées à ce jour.
Les joueurs sont également prêts à passer au confessionnal. C’est quoi ? Un concept emprunté aux émissions de télé-réalité. Le participant, isolé dans un studio de télévision, exprime ses sentiments directement devant la caméra. Cette formule a été utilisée par Netflix dans sa série sur le tennis et la Formule 1. Une bonne idée – sur le papier. Après, les athlètes doivent collaborer. Il ne suffit pas d’isoler Andreï Markov ou Shea Weber dans une chambre noire pour en faire des Cicéron.
Enfin, les joueurs porteront des moniteurs cardiaques, qui permettront aux spectateurs de suivre leur niveau de stress tout au long du match. Une proposition audacieuse qui mérite l’attention de tous les sportifs, tous sports confondus.
L’idée n’est pas nouvelle. Il a déjà été testé à plusieurs reprises en golf, en cyclisme et en course automobile, ainsi qu’aux Jeux de Tokyo 2021 en tir à l’arc. Aux Jeux de Paris l’été dernier, NBC a poussé le concept plus loin, en installant des capteurs sur les parents des athlètes américains. Nous avons pu voir la fréquence cardiaque du père d’une gymnaste atteindre 181 battements par minute (bpm) lors du programme de sa fille.
Pour les téléspectateurs, ces données représentent une valeur ajoutée fascinante. D’autant plus dans un contexte de duel, comme aux échecs, où deux adversaires s’engagent dans une lutte psychologique. Imaginez toutes les autres applications.
J’aurais sauté quelques cotisations au REEE de mes enfants pour connaître le niveau de stress des joueurs et gardiens d’Argentine et de France lors des tirs au but de la finale de la Coupe du monde de football 2022. J’aurais donné mon code PIN à un brouteur pour voir les bpm par minute de Shohei Ohtani et Mike Trout lors de leur match de la World Baseball Classic. J’aurais même vendu ma carte de recrue dédicacée à Nail Yakupov pour suivre la fréquence cardiaque de Roger Federer et de Rafael Nadal lors du cinquième set d’une finale du Grand Chelem.
L’émotion est l’essence même du sport, et ici on nous offre un accès direct à la pompe. Super, non ?
Pour nous, trois fois oui. Mais pour les sportifs ? C’est discutable.
La gardienne de Montréal Victoire Ann-Renée Desbiens a disputé un match dimanche dernier à Québec, près de là où elle a grandi, à Charlevoix. Les cérémonies entourant le match l’ont émue. « Disons simplement que ma fréquence cardiaque ne devrait pas être publique à ce stade ! » », a-t-elle plaisanté. Un clin d’œil à une conversation que nous avons eue cinq jours plus tôt, à propos des moniteurs, en fait. Je lui ai demandé si elle était favorable à ce que sa fréquence cardiaque soit transmise aux téléspectateurs lors d’une fusillade.
« Si mes coéquipiers voient mon rythme, cela ne me dérangerait pas. D’autant que le mien est assez faible dans ces situations. Mais les téléspectateurs ? Non, je préfère garder ces données scientifiques pour notre équipe et moi. Il y a tellement de données partagées qu’aujourd’hui je préfère garder ma fréquence cardiaque privée. »
«En exposant des données comme celles-là, cela donne au public une raison de plus de nous attaquer», renchérit Jonathan Sirois, du CF Montréal. Un point pertinent.
J’imagine très bien des fans déçus s’en prendre à un joueur incapable de contrôler son niveau de stress dans une situation cruciale, comme une fusillade lors d’une finale de tournoi. Dans un cas extrême, cela pourrait même nuire à la valeur marchande d’un athlète.
-« C’est toujours délicat de rendre publiques des données, poursuit Sirois. Mais en théorie, ce serait bien que tout le monde voie ça. À long terme, je ne sais pas si c’est quelque chose que j’aimerais voir mis en œuvre, mais c’est une idée très intéressante. »
Au-delà des tirs au but, il suggère une autre situation de match dans laquelle cela serait pertinent. Dans les derniers instants d’un match, « pour toute une équipe, quand il faut protéger une avance et qu’on souffre beaucoup. Ce serait intéressant de voir ça.
L’idée intrigue également David Côté, botteur des Alouettes de Montréal. « J’y serais favorable si cela n’interfère pas avec la performance de l’athlète. Cela dépend de la manière dont l’appareil sera placé. Il existe déjà des capteurs qui mesurent la vitesse à laquelle vous courez et qui sont intégrés aux épaulettes des joueurs. Si ça ne dérange pas, je pense que ça pourrait être bien, surtout pour les fans. »
Côté m’a raconté que le footballeur Cristiano Ronaldo avait porté un capteur lors de son dernier Euro. Étonnamment, c’est juste avant de participer aux tirs au but d’un match contre la Slovénie que la fréquence cardiaque de l’attaquant portugais a atteint son niveau le plus bas, autour de 100 bpm. En revanche, lorsque Bernardo Silva est apparu au point de penalty, le rythme de Ronaldo est passé à 170 bpm.
Côté soutient que la diffusion de données cardiaques « pourrait être une bonne idée pour le téléspectateur, mais aussi pour l’athlète. “Il peut voir quand sa fréquence est la plus élevée, puis s’efforcer de la réduire dans certaines situations.”
C’est une nouvelle frontière qui mérite d’être explorée – avec compétence. Parce que les enjeux éthiques sont réels. J’aime l’approche proposée aux archers aux JO de Tokyo. Les athlètes étaient libres de participer ou non au projet. Le taux de participation m’a surpris : 122 des 128 inscrits ont accepté que leur fréquence cardiaque soit diffusée à un moment clé de leur carrière.
Comme tout joueur d’échecs le sait, il y a des sacrifices qui valent la peine d’être faits.
Le nouveau format
Le projet promu par le meilleur joueur actif, Magnus Carlsen, s’appelle Freestyle Chess. Cinq tournois sont prévus en 2025. D’abord en Allemagne, du 7 au 14 février, puis à Paris, New York, Delhi et Le Cap. Outre Carlsen, on retrouvera plusieurs stars du jeu, dont le nouveau champion du monde, l’Indien Gukesh Dommaraju, âgé de seulement 18 ans.