Le trafic de cocaïne bat des records au Havre : 14,3 tonnes saisies au port en 2024 contre seulement 5,5 en 2023 et 10 tonnes en 2022. Un trafic rendu possible avec la complicité de certains, notamment des dockers qui travaillent sur le port, mais le sujet est tabou, la loi du silence règne. Franceinfo s’est entretenu avec un docker impliqué dans un trafic de cocaïne.
Cet homme, qui souhaite rester anonyme, souhaite raconter l’histoire. Pendant des mois, il a été approché et menacé directement sur son téléphone, jusqu’au jour où des trafiquants se sont présentés un matin devant chez lui : « Cinq hommes cagoulés sont venus me chercher, ils m’ont emmené, m’ont séquestré, me montrant des photos de mes enfants prises devant leur école primaire, ou de ma femme devant son travail. Ils m’ont dit : ‘Si demain tu ne décharges pas la coke, nous les poursuivrons.’
Le docker a finalement accepté. Encore très marqué par cet épisode, il assure qu’il n’avait pas besoin d’argent mais que la pression était trop forte. Il empoche les 80 000 euros pour faire le sale boulot. Dans la foulée, il a été arrêté, condamné et interdit de travailler au port.
Depuis 2017, une quinzaine de dockers ont été enlevés au Havre selon la police judiciaire. Une triste réalité pour Guillaume Routel, avocat qui défend de nombreux dockers : « Ce qui était, il y a dix ans, remis en question par les magistrats eux-mêmes qui pensaient que c’était un faux alibi que de dire : ‘Je suis menacé’, on sait aujourd’hui que c’est vrai. Il y a des menaces, il y a des intimidations. Ceux qui sont cavaliers, c’est-à-dire qui manipulent des conteneurs, sont évidemment particulièrement visés car ce sont des acteurs clés de l’organisation.
« Il y a aussi, il faut le reconnaître, de l’argent. Mais l’argent est parfois de l’argent qu’on leur a promis, sans même qu’ils en voient la couleur.»
-Guillaume Routel, avocat de plusieurs dockerssur franceinfo
Même la CGT Dockers, qui détient le monopole, tourne le dos sur ce dossier. Après beaucoup d’insistance, voici ce que Johann Fortier, leur secrétaire général, a répondu : « On ne veut pas en parler parce que c’est un tel fléau, ça nous gâche la vie. Evidemment, on envoie des messages tous les jours pour dire qu’il faut résister mais c’est évident de le dire, c’est moins évident de le faire. Je n’ai pas le mandat de parler au nom des dockers, je suis simplement leur représentant. La police judiciaire a mis en place une ligne spécifique pour que les dockers puissent appeler à l’aide mais selon nos informations, ils n’ont reçu aucun appel.
En réalité, depuis le meurtre il y a quatre ans d’un docker, Allan Affagard, 40 ans, père de quatre enfants, séquestré, séquestré et battu à mort, personne n’ose parler. L’homme avait contacté la police pour dénoncer les pressions. Myria Le Petit est l’avocate de la famille Affagard : « Il a même porté plainte et puis quelques mois plus tard, on connaît la fin de l’histoire, malheureusement terrible. Il y a un avant et un après. Cette affaire a été une explosion pour le monde des dockers, pour les confrères. Et pour sa famille, je n’en parle même pas. Je dis qu’il y a eu un avant et un après, mais par contre, pour le trafic, ça n’a rien arrêté.
Et selon une autre avocate des dockers, Valérie Giard, la pression perdure même pendant les procès, jusque dans les prétoires : “On vient écouter ce que vous dites, on vient écouter si vous swinguez, si vous donnez des informations sur des personnes qui ne sont pas au dossier.” Des proches de trafiquants de drogue viennent intimider physiquement les dockers pour qu’ils gardent le silence devant les juges.