Culture Web | Souffrez-vous de pourriture cérébrale ? – .

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Rot du cerveau ? Ce terme d’argot numérique fait référence aux contenus creux et insignifiants que l’on avale pendant des heures sur internet. Cette consommation médiatique boulimique entraînerait une forme de dégénérescence cérébrale, la « pourriture cérébrale ».


Publié à 1h50

Mis à jour à 16h00

Bien que les médias et les centres de traitement de santé mentale énumèrent les symptômes de cette « maladie », il ne s’agit pas d’un problème médical reconnu, du moins selon le Newport Institute, un centre de réadaptation en santé mentale. Mais le phénomène existe. La « pourriture cérébrale » entraîne une perte d’intelligence, de créativité, d’originalité et d’esprit critique. La personne concernée ne peut plus penser par elle-même, elle est déconnectée de la vie réelle, léthargique, distraite ou confuse.

Ce discours explique une peur phobique des nouveaux médias et de leurs effets sur nos facultés. Mais il ne dit rien de nouveau. Tout au long de l’histoire, notre consommation médiatique n’a cessé de susciter des inquiétudes, quel que soit le média concerné. Par exemple, nous craignions l’impact des livres, de la radio, de la télévision et même de la photographie sur nos capacités cognitives. Dans son PhèdrePlaton fait ainsi dire à Socrate que l’écriture « ne peut produire dans les âmes […] que l’oubli de ce qu’ils savent en leur faisant négliger la mémoire », alors qu’au XIXèmee siècle, l’écrivain Charles Baudelaire décrit les passionnés de photographie comme des êtres atteints de folie. A ses yeux, l’engouement pour la photographie porte « le caractère d’aveuglement et d’imbécillité », en plus de contribuer à « l’appauvrissement du génie artistique ».

Remède et poison

Au Québec, la question des risques associés à notre consommation médiatique semble particulièrement brûlante lorsqu’on parle des enfants. On apprenait récemment que la Commission émergente de la CAQ souhaitait interdire les réseaux sociaux aux Québécois de moins de 16 ans. Cependant, aucune étude à ce jour n’a déterminé avec précision les effets des réseaux sociaux sur les adolescents, car ils sont contextuels.

Notre hyperconnectivité n’est ni fondamentalement bonne ni fondamentalement mauvaise pour la santé. Son effet sur nous fait plutôt écho à d’autres formes de sociabilité et varie en fonction d’une multiplicité de facteurs.

Comme le pharmacie En grec, les médias sociaux peuvent tour à tour être un médicament et un poison.

Pour certains, le pourriture du cerveau n’empoisonne pas le cerveau, mais contamine plutôt la langue. « Hors ligne, nous détectons le pourriture du cerveau dans des conversations trop embourbées par la boue d’Internet pour trouver un sens ailleurs », déclare la chroniqueuse culturelle Michelle Santiago Cortés dans Saleté, une newsletter sur la culture web. Ainsi, s’exprimer dans un charabia d’expressions numériques, de mèmes et de références spécifiques trahirait la pourriture du cerveau. Skibidi, rizz, sauce foufou grains, sigma, Normand Marineau, gyats, dîner entre filles… ça vous dit quelque chose ? Si vous avez déjà entendu certaines de ces expressions et qu’elles vous ont bouleversé, c’est parce qu’elles expliquent un nouveau rapport à la perte, plutôt qu’à la dégénérescence cérébrale. En fait, le pourriture du cerveau souligne l’obsolescence programmée de la langue.

Langage numérique spécialisé

En tant qu’auteur, j’ai plus que jamais l’impression de rendre compte de réalités qui seront bientôt inintelligibles. Et si un jour j’ai des enfants, pourront-ils comprendre mes livres ? Dans son roman Vie littéraire, l’écrivain québécois Mathieu Arsenault traduit mon sentiment en parlant d’une littérature qui serait « écrite avec des cendres ». Déchiré par l’impermanence de ses références, son personnage se demande « comment [on peut] racontez votre vie quand vous parlez une langue de geekette, un latin de l’internet éphémère voué d’avance à l’oubli.

Et si nos références se perdent aussi vite qu’elles sont apparues, elles évoluent aussi avec l’évolution des technologies médiatiques.

Les hyperliens se brisent, mais la configuration de nos espaces physiques aussi. Par exemple, nous avons annoncé la démolition progressive du centre commercial Place Versailles à Montréal, en partie parce que l’avènement du commerce en ligne a bousculé nos habitudes de consommation.

Ce sentiment de perte se reflète dans les nouveaux termes que les internautes utilisent pour décrire leur réalité. Beaucoup de ces expressions sont teintées d’un certain pessimisme et empruntent au champ sémantique de la putréfaction, comme pourriture du cerveaumais aussi le pourriture du lit (pourrir dans son lit) ou encore le défilement catastrophique, ce défilement morbide qui consiste à faire défiler compulsivement votre fil d’actualité. Cependant, il n’est pas nécessaire d’être pessimiste pour accepter l’éphémère. C’est un exercice d’humilité que de craindre sa mort.

Que le pourriture du cerveau laisse présager réellement, c’est peut-être une nouvelle ère linguistique qui favorisera un savoir-faire bien spécifique : celui de savoir décoder une langue évanescente. Comme le souligne le chroniqueur Web Kyle Raymond Fitzpatrick dans sa newsletter Le rapport sur les tendancesplus le langage numérique devient particulier, plus ceux qui savent le parler doivent nous servir de guides.

 
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