Rencontre avec Jean-Christophe Babin – .

Rencontre avec Jean-Christophe Babin – .
Rencontre avec Jean-Christophe Babin – .

Le Président-directeur général de Bulgari depuis 2013 évoque sa passion pour la ville éternelle et son ambition pour la maison.

En 2011, LVMH a racheté Bulgari. Quelle est donc l’ambition du groupe pour le développement de la joaillerie et de l’horlogerie ?

La division joaillerie de LVMH est encore en développement, mais l’observation des grands noms du secteur prouve que la catégorie connaît une croissance très forte, au moins aussi importante que celle de la mode, de l’ordre de 8 % par an. Bulgari se concentre alors sur l’Italie et les destinations de vacances des Italiens, que ce soit la montagne, avec Saint-Moritz, ou la mer, avec Portofino. Il existe donc un très fort potentiel d’internationalisation. Les icônes de la Maison étaient jeunes : la bague B.zéro1 Née à la fin des années 1990, Octo, la montre de tous les records, date de 2012… Ce qui augurait d’un potentiel de croissance énorme. La Maison était donc, paradoxalement, très récente en termes de statut, malgré sa longue histoire.

Quels sont vos objectifs lorsque vous deviendrez président-directeur général en 2013 ?

Je dirais qu’ils étaient qualitatifs, psychologiques. Quand le luxe fait quelque chose de beau, d’exceptionnel, de pertinent, de différenciant, j’aurais tendance à dire que les ventes suivent. Un objectif de chiffre d’affaires ne mène à rien s’il n’est pas aligné avec la désirabilité de la marque. En rachetant l’une des plus belles Maisons de joaillerie au monde, Bernard Arnault a souhaité renforcer cette désirabilité et que Bulgari soit considéré dans le monde entier, clairement et spontanément comme incontournable, dans le domaine de la haute joaillerie notamment. Comme toujours chez LVMH, les objectifs de croissance, de chiffre d’affaires et de rentabilité sont fixés par le management de chaque Maison en comité exécutif, avec les équipes et les marchés des différents pays –sous réserve bien sûr du Groupe–, car Bernard Arnault souhaite que chaque président se comporte comme un véritable entrepreneur. C’est la force de ce Groupe, car qui mieux qu’un entrepreneur peut avoir la connaissance de sa marque, de ses équipes, de son environnement concurrentiel, de sa clientèle, de ses produits et services pour ensuite proposer une vision et la mettre en œuvre au quotidien en alignant tous les collaborateurs ? C’est la raison pour laquelle mes objectifs, en arrivant à la tête de Bulgari, étaient autant qualitatifs que quantitatifs. D’ailleurs, si l’on regarde l’évolution de Bulgari dix ans plus tard, on constate que nous nous sommes éloignés du business plan initial d’acquisition tout en livrant des résultats bien meilleurs que prévu.

Ramener Rome au cœur de la Maison de manière totalement explicite a été l’une de mes premières décisions à mon arrivée chez Bulgar.

Jean Christophe Babin – Président-directeur général de Bulgari

Quelle image aviez-vous de la Maison et comment l’avez-vous changée ?

À mes yeux, c’était avant tout une maison de joaillerie à la sensibilité méditerranéenne qui la rendait très différente et intéressante par rapport aux autres marques parisiennes ou new-yorkaises. Elle avait connu un rythme de croissance très soutenu dans les années 1990, mais c’était surtout grâce à une diversification excessive et elle s’était éloignée des codes génétiques majeurs de la marque, qu’il s’agisse de ceux des symboles joailliers comme B.zero1 ou Serpenti ou ceux liés à la romanité. , avec une dimension transversale et culturelle. Mais nous sommes une entreprise italienne : entrer dans une boutique Bulgari à Hong Kong, c’est comme être en vacances en Italie ! Tout doit résonner en italien. C’est pourquoi il est important pour moi de préciser que nombre et désirabilité doivent cohabiter.

Plus encore que l’Italie, c’est Rome que vous avez remis à l’honneur…

Ramener Rome au cœur de la maison de manière totalement explicite a été l’une de mes premières décisions en arrivant chez Bulgari. Il y a deux mille sept cents ans d’architecture dans cette ville, et pourtant l’ensemble reste très homogène car tout a été construit de façon grandiose, quelle que soit la période. Malgré les styles différents, ce gigantisme a créé un équilibre esthétique, de manière assez paradoxale car il aurait pu créer une impression de chaos. Les bijoux Bulgari, c’est un peu la ville : les grosses pierres colorées, les inspirations variées. Quand naissent les grandes maisons de joaillerie, au XIXème siècle ème siècle, il n’y avait bien sûr ni télévision, ni Internet, les journaux restaient très locaux, chaque ville devenait le creuset esthétique d’inspirations spécifiques : Paris, monochrome avec sa pierre de taille et son architecture haussmannienne rigoureuse, inspira naturellement une joaillerie très différente de la nôtre. Bulgari, miroir de Rome, est née de ce contexte architectural et artistique qui l’a fortement influencé ; le patrimoine de la maison a ainsi été créé. Bien sûr, la sagesse est de le faire évoluer sans le changer. La romanité de Bulgari s’exprime également dans la richesse des inspirations. L’Empire romain est un formidable mélange de cultures à la fois grecque, égyptienne, phénicienne, étrusque, carthaginoise. Il a construit sa force et sa puissance en intégrant à la fois ce qui l’a précédé et ce qu’il a conquis. Entre Auguste et Constantin, il y eut environ 80 empereurs, dont plus d’un tiers étaient d’origine étrangère.

Les racines romaines de Bulgari sont une source de fierté

Jean Christophe Babin

Votre présidence est donc marquée par le recentrage sur le métier historique et les fondamentaux de Bulgari. Ces deux éléments suffisent-ils à eux seuls à expliquer le succès de la Maison ?

Oui, mais il y a un troisième élément qu’il ne faut pas sous-estimer : à la fin des années 2000, Bulgari avait atteint un point de rupture, le chiffre d’affaires stagnait malgré plusieurs couches de diversification. La famille était même persuadée que l’entreprise avait enfin atteint son plein potentiel, une sorte de plateau, et qu’elle pouvait être vendue. Heureusement, le constat était faux. Bulgari était une entreprise familiale qui avait connu une croissance remarquable, mais qui n’avait pas encore atteint son plein potentiel. Elle avait déjà prouvé qu’elle était une Maison audacieuse et avait déjà réussi à affirmer sa propre identité. Cependant, elle pouvait aller encore plus loin pour rivaliser avec les grands noms de la haute joaillerie. Dès le départ, j’ai voulu élever le niveau d’ambition.
A mon avis, n’étant pas d’origine romaine, cet ancrage de la Maison doit être une source de fierté : Rome a inventé le monde occidental, défini son art et son architecture, façonné les lois qui sont toujours en vigueur dans la plupart des pays… Le peuple romain est l’un des peuples fondateurs de l’humanité moderne et reste aujourd’hui le dépositaire, l’héritier d’une culture unique. Cette prise de conscience fut un électrochoc pour les collaborateurs, qui comprirent ainsi, sans arrogance, que la Maison n’avait rien à envier aux leaders du marché de la joaillerie.

Montre à secret Octo Roma Haute Horlogerie en platine sertie d’un camée et de diamants avec bracelet en alligator. Collection Méditerranée (2023).
Bvlgari

Quelles ont été les grandes étapes du développement de Bulgari ?

Une fois ces fondamentaux posés, et surtout partagés – l’important dans une entreprise, c’est l’adhésion des collaborateurs à la stratégie – tout s’est déroulé sans problème. Un rapide coup d’œil à la marque a montré les nombreuses choses à faire pour accélérer la confiance et la croissance. C’était tactique mais relativement simple car le cadre était posé. Quelques exemples : les comptoirs n’étaient pas très bien approvisionnés, alors que nous avions un stock important. Nous ne proposions pas encore de montres en or et en acier. L’or jaune n’était pas assez souvent proposé parmi nos best-sellers, alors que c’est la couleur la plus prisée, notamment aux Etats-Unis. Pourtant, la recherche d’authenticité du client l’exigeait – surtout depuis la période du Covid-19. Il suffit d’aller dans n’importe quel musée archéologique pour se rendre compte qu’un masque funéraire de pharaon est en or jaune, pas en or rose ! L’authenticité dépend de la couleur d’origine de la matière. La collection Divas’ Dream est une belle réussite, elle a permis d’insuffler plus de féminité à la marque, de douceur aussi, et de romantisme. Il s’agit d’un motif inspiré des mosaïques des Thermes de Caracalla, si typiquement romaines, permettant de développer le récit de la Maison – ce qui est un point obsessionnel pour moi –, mais qui rappelle en même temps la feuille de ginkgo, sacrée en Chine et au Japon.

Quelles seront les prochaines étapes ?

Bulgari s’est recentré sur ses métiers de base, en donnant à chacun des rôles clairs. Le cœur restera bien sûr la haute joaillerie et la joaillerie. L’horlogerie marche sur ses deux jambes : d’un côté, les montres joaillières comme Serpenti, Divas’ Dream ou Lucea – très liées à l’artisanat d’origine mais aussi à la nature romaine de la Maison –, de l’autre, les montres contemporaines comme Octo qui multiplient les records du monde. Les parfums et la maroquinerie attirent une clientèle jeune. Aujourd’hui, la plupart de nos sacs sont issus de la ligne Serpenti. Les parfums commencent à converger vers l’ADN global de la marque, même si c’est une catégorie qui évolue plus lentement, puisque la distribution dépend aussi de partenaires. Nous avons créé la collection LE GEMME, inspirée de la Gems Road, un voyage qui raconte l’histoire des gemmes précieuses que la nature offre, et qui sont l’essence même de ces parfums aux multiples facettes. Ce sont des parfums d’exception tant par leur contenu (les senteurs, la composition, leur sophistication) que grâce aux flacons en forme d’obélisque qui ancrent la collection dans l’imaginaire de l’Antiquité et en font de véritables parfums joailliers. Les hôtels nourrissent la Maison d’en haut en proposant une expérience d’exception. L’avenir de Bulgari sera la continuation et l’intensification de cette focalisation obsessionnelle sur la joaillerie et l’horlogerie avec une matrice qu’est Rome. Plus que tout, il s’agit de garder à la fois cette singularité, cette exclusivité et un récit unique au monde, puisque porter du Bulgari, quelle que soit la catégorie de produit, c’est d’une certaine manière être le dépositaire de vingt-sept siècles d’histoire de l’art et de l’architecture. Que ce soit conceptuellement, par une inspiration claire, ou concrètement, grâce aux fameux colliers Monete par exemple, sertis de pièces impériales. En termes de développement géographique, il n’y a pas de pays ou de lieux majeurs où Bulgari ne soit pas présent aujourd’hui.

Aujourd’hui, diriez-vous que vous vous sentez romain ?

Oui, complètement ! Je suis fier d’être italien dans l’âme. Il ne s’agit pas seulement de Rome. J’ai vécu dix ans à Milan, mes enfants sont italo-franco-suisse, et je vais souvent à Nice et sur la Côte d’Azur, qui sont, pourrait-on dire, la partie italienne de la France ! Je considère l’Italie comme mon premier pays.

 
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