Dans Géopolis on traque l’origine de la vie

Dans les entrailles de Geopolis, on traque l’origine de la vie

Publié aujourd’hui à 11h01

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Si un jour nous parvenons à percer les mystères des origines de tout ce qui nous entoure – de la formation des roches à l’apparition de la vie sur Terre – il y a de fortes chances que cela nous vienne des dédales du bâtiment Géopolis, l’Université de Lausanne.

Depuis près de douze ans, des chercheurs travaillent en toute discrétion autour des appareils du Center for Advanced Surface Analysis (CASA), un consortium de laboratoires de l’UNIL et de l’EPFL. Et notamment la sonde SwissSIMS. Un incroyable enchevêtrement de tubes à vide, reliés par une armée de câbles et de détecteurs. Un dispositif de plusieurs millions de francs, partagé par l’EPFZ et les universités de Lausanne, Genève et Berne. « Des machines de ce genre, capables d’une telle précision, il en existe peut-être une vingtaine dans le monde. Et encore», souffle Johanna Marin-Carbonne.

Des progrès précieux

Ces dernières années, SwissSIMS a déjà réalisé des progrès significatifs. Pas nécessairement en répondant aux questions de M. ou M.moi Tout le monde, mais de véritables avancées pour les chercheurs intéressés par l’origine de la matière. En 2021, un trio de spécialistes est parvenu à expliquer les températures élevées – de 50 à 70 degrés – qui se cachent derrière la formation des premières roches marines. Ils seraient le résultat de courants ou de sources, et ne seraient pas nécessairement la preuve que la mer primitive était une fournaise.

«Nous avons réussi à mesurer l’âge des météorites», raconte Johanna Marin-Carbonne. On en sait davantage sur la formation des Alpes : sur les pressions exercées en profondeur sur les roches qui ont donné naissance au massif du Mont Rose, par exemple. C’est le grand avantage de SwissSIMS, nous avons la chance de pouvoir analyser des échantillons exceptionnels.»

Des endroits chers

Le jour de notre visite, le professeur ne quitte pas des yeux l’armada d’écrans qui permettent de suivre le fonctionnement des instruments en temps réel, bien abrités derrière les fenêtres d’une salle pressurisée. Les échantillons de matériaux, disposés sur de minuscules rondelles, sont placés dans une petite chambre alimentée en 10 000 volts. En un clic, c’est parti. Un faisceau d’ions est projeté sur l’échantillon, laissant un trou qui ne mesure qu’un dixième de cheveu. Le matériau est projeté dans le spectromètre de masse, accéléré, passé à travers un champ magnétique et enfin analysé dans une série de détecteurs.

Ce jour-là, ce sont les échantillons d’un doctorant qui sont passés dans la machine. Nous devons agir rapidement. Le chercheur dépose sa thèse dans quelques semaines et c’est son dernier créneau : le planning est complet jusqu’à fin août. Nous commençons par un échantillon de référence, destiné à vérifier la stabilité de l’énorme appareil.

Les données isotopiques de l’oxygène extraites des détecteurs sont clairement affichées sur un tableau. Les rapports bruts, le nombre de coups par seconde, les erreurs… Des colonnes de chiffres qui permettront peut-être de remonter aux fluides qui ont formé ce granit primitif. Mais rien ne fonctionne. Les écarts sont trop importants par rapport aux valeurs de référence. Une première puis une deuxième « crêpe ».

Petit problème

Dans le jargon, c’est le premier échec inévitable, comme en cuisine. Pas très grave, tant qu’il ne s’agit pas d’une partie des échantillons vieux de plusieurs millions d’années qui passent dans l’optique du spectromètre de masse. « Mais il reste encore un problème », soupire Anne-Sophie Bouvier, la responsable du laboratoire. Quelque chose ne va pas.

Il faut dire que les mesures sont si précises – le courant principal est d’un milliardième d’ampère… – que le moindre souffle d’air dans la salle d’analyse peut changer la donne. Les réglages continuent. Les analyses démarrent quand même.

A la recherche des origines

Les chercheurs qui gravitent autour de l’outil s’intéressent actuellement à des micro-échantillons de Ryugu, de la poussière de l’astéroïde, l’un des plus anciens du système solaire, sur lequel la sonde japonaise Hayabusa 2 a réussi à se poser en 2019. Une prouesse rarissime, qui a ramené sur Terre une matière inaltérée, comme une météorite qui a traversé l’atmosphère et est restée des siècles dans un désert. Une opportunité incroyable. Les Lausannois espèrent déterminer l’origine du soufre contenu dans Ryugu, entre celui primordial du système solaire, ou celui tardif des fluides d’altération dans l’espace.

Mais ce qui occupe beaucoup Johanna Marin-Carbonne, ce sont les stromatolites. Sortes de petites roches, constituées de fines couches laissées par des bactéries. On les retrouve dans certains lacs. Mais les plus anciennes remontent à plus de 3,5 milliards d’années. Au début du Précambrien, ces fossiles primitifs portent les traces laissées par les plus anciennes formes de vie connues sur Terre.

Elle ouvre un petit placard conditionné et verrouillé. « Il y a ici un stromatolite vieux de 2,5 milliards d’années et provenant d’Afrique du Sud. Il a été daté par l’analyse des isotopes de l’uranium, du plomb dans les zircons et des cendres volcaniques qui y sont associées. Piégé dans le zircon, un minéral très résistant, l’uranium diminue avec le temps. Ce qui constitue en fait une sorte de chronomètre. Sachant que ce n’est pas la plus ancienne, il y en a une ici de 3,5 milliards d’années. Il vient d’Australie et nous n’avons toujours pas osé le toucher.

« Après, reste à savoir si des bactéries sont ou non à l’origine de ces roches, et lesquelles », note Johanna Marin-Carbonne. Ce que nous allons faire, c’est essayer de retrouver leur signature à travers le sulfure que consomment certaines bactéries. Sur les grandes lignes.

Du laboratoire aux lacs de montagne

Pour mieux identifier les différentes familles de bactéries, plusieurs projets sont en cours, avec des microbiologistes, qui tentent de savoir quel sulfure produisent ces bactéries et dans quelles conditions. Quand ils sont seuls et quand ils sont ensemble. Le travail se déroule en laboratoire, dans un environnement contrôlé, mais aussi en montagne, dans les lacs de Saint-Moritz et de Zermatt. Reste ensuite à voir ce qui a fonctionné et à comparer les résultats.

Dans chaque cas, des progrès potentiellement importants. «Nous espérons dans quelques années mieux comprendre le cycle du soufre dans le passé», conclut le chercheur. Ces projets interdisciplinaires peuvent avoir de grandes implications pour notre compréhension de la formation de la Terre.

Erwan Le Bec écrit pour le quotidien 24heure depuis 2010. Il couvre entre autres l’actualité vaudoise.Plus d’informations @ErwanLeBec

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