Le second tour, qui opposera ce dimanche Mme Sandu au candidat pro-russe Alexandru Stoianoglo (26% au premier tour), a donc peu de chances d’échapper aux tentatives de manipulation. Retour sur l’ampleur du phénomène avec Andrei Curararu, fondateur de l’organisation moldave WatchDog, créée en 2016 pour lutter contre l’interventionnisme et la désinformation dans le pays.
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Selon vous, la Russie a dépensé plus de cent millions de dollars pour influencer le premier tour de l’élection présidentielle. D’où vient ce chiffre ?
Nous avons mutualisé trois types d’informations, toutes publiques : les montants révélés par la police après des perquisitions effectuées dans des bureaux et organismes soupçonnés de collaborer avec Moscou, les fiches de paie de certains fonctionnaires corrompus qui ont fuité sur internet, et enfin, les investissements technologiques destinés à pour soutenir le candidat pro-Kremlin ou amplifier la désinformation, sur Google et Facebook notamment. Rien que pour cela, Moscou a dépensé plus de 300 000 euros en quelques mois. Quand on additionne le tout, on arrive à plus de 100 millions de dollars. Et cela ne prend en compte que ce qui a été rendu public, donc le montant réel est sans doute bien plus élevé. La justice moldave estime qu’au total, près de 330 000 personnes sont susceptibles d’avoir été achetées à tous les niveaux de la société.
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Dans quelle mesure cet interventionnisme est-il ancré et diversifié ?
Permettez-moi de citer comme exemple l’ONG Evrazia de l’oligarque moldave Ilan Shor, qui fait désormais l’objet de sanctions européennes et américaines. L’organisation s’est infiltrée à tellement de niveaux de la société moldave qu’elle est devenue un problème d’État. Evrazia a commencé par cibler les jeunes et envoyer des groupes de mineurs dans des camps d’été en Russie d’où ils revenaient chargés de récits pro-russes. On leur a réappris l’histoire, ils ont appris que l’économie moldave est exclusivement liée au marché russe, etc… Au total, plus de 300 000 jeunes ont été envoyés à Moscou ou en Crimée en quelques années, et une centaine d’entre eux ont même accepté de partir. vers des camps en Serbie où ils ont été entraînés au maniement des armes et des explosifs par des membres du groupe Wagner (ancienne milice paramilitaire de feu Evgueni Prigojine, NDLR) avec la possibilité de les rejoindre sur le champ de bataille. Evrazia s’intéresse alors aux enseignants, en utilisant les mêmes méthodes. Et quand cela a fonctionné ici aussi, ils sont passés aux prêtres. Des fuites de données ont identifié au moins deux cents prêtres orthodoxes moldaves qui se rendaient à Moscou et recevaient depuis leur retour des primes de 1 000 euros par mois pour introduire des éléments anti-européens sans leurs sermons.
Quelles couches de la population ont tendance à être les plus favorables à Moscou ?
Les minorités, comme la minorité ukrainienne par exemple, sont essentiellement russophones et craignent de ne plus pouvoir pratiquer leur langue. A côté de cela, il y a les intellectuels nostalgiques de l’URSS, la diaspora revenant de Russie pour s’installer en Moldavie, et bien sûr tous les opportunistes qui suivent Moscou pour l’argent.
Comment l’invasion russe de l’Ukraine est-elle perçue aujourd’hui ?
Au début, tout le monde avait peur, soutenir la Russie était tabou. Mais après deux ans et demi de propagande, on voit de plus en plus de voix s’élever pour appeler l’Ukraine à déposer les armes et à céder une partie de son territoire. Beaucoup de nos hommes politiques sont liés aux oligarques et refusent catégoriquement de qualifier la Russie d’envahisseur.
En Moldavie, « les considérations politiques sont très lointaines. Le vote est un café-débat.»
Qu’attendre de la Russie pour le second tour de l’élection présidentielle de dimanche ?
Nous ressentons une réelle frustration dans le camp pro-russe de ne pas avoir réussi à obtenir un « non » lors du référendum sur l’adhésion à l’UE il y a deux semaines. Ils ont dépensé beaucoup d’argent pour acheter le résultat et n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient. Il ne reste plus qu’à tenter d’influencer le second tour de l’élection présidentielle. Tout dépend désormais de la capacité de la police et de la justice à extraire du système les personnes corrompues. Si les choses se répètent, la propagande sera bien plus importante qu’au premier tour. Traditionnellement, le second tour de l’élection présidentielle est précédé d’une explosion de fdes nouvelles. En 2016, Maia Sandu était candidate, et la fausse nouvelle selon laquelle elle envisageait de laisser rentrer 30 000 réfugiés syriens se répandait partout. Un autre lui a prêté un amant aux Etats-Unis. Si plus de 300 000 personnes ont effectivement été achetées d’une manière ou d’une autre, aucun sondage ne permet de prédire ce qui se passera dimanche. Notre seul espoir est que le résultat mitigé du référendum provoque également un choc parmi les pro-européens, et qu’ils se rendent massivement aux urnes pour voter pour Sandu.