Le 26 novembre 1974, Simone Veil, alors ministre de la Santé, monte à la tribune de l’Assemblée nationale pour défendre la loi légalisant l’avortement. Elle affrontera des adversaires déchaînés, dans un climat d’une incroyable brutalité.
“Je n’imaginais pas la haine que j’allais suscitera confié l’ancien ministre de Valéry Giscard d’Estaing dans un livre interview au journaliste de Monde Annick Cojean (Les hommes s’en souviennent aussi2004). Il y avait tellement d’hypocrisie dans cette salle remplie principalement d’hommes, dont certains cherchaient secrètement des adresses pour faire avorter leur maîtresse ou un de leurs proches. »
Devant une assemblée qui ne comptait que neuf femmes pour 481 hommes, le ministre a déclaré : « Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les 300 000 avortements qui mutilent chaque année les femmes de ce pays, bafouent nos lois et humilient ou traumatisent celles qui les pratiquent. » « Aucune femme ne recourt volontairement à l’avortement. Écoutez-les simplement. C’est toujours une tragédie »assure-t-elle, affirmant que « L’avortement doit rester l’exception, le dernier recours dans les situations sans issue ». Son discours d’une heure a été chaleureusement applaudi par la gauche. La droite reste silencieuse.
S’ensuivent plus de vingt-cinq heures de débat, durant lesquelles Simone Veil fait face à des insultes et des propos de «soudards»» dira-t-elle, tandis qu’à l’extérieur, des militants anti-avortement récitent leur chapelet. Trois jours et deux nuits de combat contre les partisans de sa propre majorité.
Michel Debré, ancien premier ministre du général de Gaulle, voit dans ce texte « une monstrueuse erreur historique ». Les députés de droite René Feït et Emmanuel Hamel diffusent à tour de rôle dans l’hémicycle les battements d’un cœur fœtal. La première précise que si le projet était adopté, “elle ferait chaque année deux fois plus de victimes que la bombe d’Hiroshima”. Jean Foyer, ancien garde des Sceaux du général de Gaulle, déclare : « Le temps n’est pas loin où l’on connaîtra en France ces avortements, ces abattoirs où s’entassent les cadavres de petits hommes. »
-Pire, Hector Rolland accuse Simone Veil, rescapée des camps de la mort, « le choix du génocide ». Jean-Marie Daillet parle des embryons “jeté au crématorium”. Jacques Médecin talks about « une barbarie organisée et couverte par la loi comme elle l’était par les nazis ». Après le passage de 74 intervenants, Simone Veil prend à nouveau la parole, déplorant les analogies avec le racisme des nazis. Elle dira plus tard qu’elle se sentait “un immense mépris”.
Le 29 novembre 1974, la loi est votée par 284 voix contre 189. Les deux tiers des députés de la majorité votent contre le texte, adopté essentiellement grâce aux voix de la gauche et du centre. Le 17 janvier 1975, la « loi Veil », qui dépénalise l’interruption volontaire de grossesse pour une durée de cinq ans, est promulguée.
Vous pouvez écouter ici l’intégralité du discours historique de Simone Veil, dont l’Institut national de l’audiovisuel (INA) publie également de larges extraits. Vous pouvez également le retrouver en intégralité aux éditions Points ou Eyrolles.