comment un monde virtuel a conquis la planète

comment un monde virtuel a conquis la planète
comment un monde virtuel a conquis la planète

Rien d’étonnant après l’engouement suscité par les récentes adaptations des jeux vidéo à l’écran – Le dernier d’entre nous, Mario et ainsi de suite Minecraft. Si aucune date de sortie n’a pour l’instant été évoquée, les ambitions sont claires : “un impact similaire à celui du film Barbie», a confié au magazine Variété Kate Gorman, directrice d’Electronic , l’éditeur du jeu.

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Nouvel âge d’or

De quoi attiser la nostalgie d’une génération qui a grandi avec LE Sims. Et qui n’a pas oublié le vrombissement de l’ordinateur familial lorsque, après des heures passées devant le clavier, le CD-ROM se mettait à chauffer. Car rappelons-le, c’est un autre monde qui a vu naître Les Sims avec les premières lueurs du millénaire. Celle du Nokia 3310, d’Eminem et Lorie, du Concorde et du pantalon taille basse motif camouflage.

Alors que la PlayStation 2 s’apprête à éclipser la Gameboy, le jeu vidéo connaît un nouvel âge d’or. Nous aimons les jeux d’action, les jeux de combat ou les aventures de Zeldades adolescents traquant leurs ennemis dans des mondes fantastiques ou médiévaux. On est loin du quotidien d’un foyer de banlieue. De plus, lorsque Will Wright, le concepteur de Simsprésente son idée, elle est loin d’impressionner la galerie…

Post-it et baiser lesbien

L’idée de Sims est avant tout celle d’une ville. En 1989, Will Wright, qui a étudié l’informatique mais aussi l’architecture, lance SimCity : un jeu dans lequel vous fondez et développez votre propre ville – des routes au traitement des déchets. Avec sa société Maxis, Will Wright déclinera la série, de SimTerre (axé sur le développement d’une planète) à SimAnt (centré sur la vie d’une colonie de fourmis). Une expérience très personnelle alimentera la suite : en 1991, d’énormes incendies ravagent Oakland, et sa maison avec eux – il doit tout reconstruire. L’idée est alors née de passer du grand au petit, de la métropole au quartier – et à ceux qui y vivent. La vie domestique comme prolongement du projet architectural.

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« Dans les années 1990, on était sur quelque chose de tout autre, d’assez machiste. La princesse Peach sauvée par Mario, Lara Croft et ses seins triangulaires, les « caméras » placées derrière ses fesses, énumère Héloïse Linossier, journaliste au média spécialisé Origami. Lorsque Will Wright arrive avec son projet, on lui dit grossièrement : « Quoi, tu veux faire une maison de poupée ?

Electronic Arts (EA), qui a racheté Maxis en 1997, n’est pas confiant malgré les précédents succès de Wright. Tout s’est passé en 1999 lors de l’E3, la grand-messe du jeu vidéo à Los Angeles où les développeurs dévoilaient leurs projets en cours. « EA lance un ultimatum à Maxis : l’aventure continue s’ils obtiennent suffisamment de retours positifs », poursuit Héloïse Linossier. Pour introduire le jeu, Wright et son équipe préparent un scénario mettant en scène un mariage entre Sims. « La légende raconte qu’un post-it a été laissé sur le bureau des développeurs, exigeant qu’ils rendent impossibles les relations homosexuelles dans leur code. Mais le post-it s’est perdu, plus ou moins volontairement. Le grand jour, en arrière-plan du mariage, nous verrons deux Sims, deux femmes, s’embrasser. La séquence a fait sensation auprès des journalistes, majoritairement des hommes. On pourrait dire que c’est un baiser lesbien qui a sauvé Les Sims

La vie sur la carte

A peine nés, les petits personnages volent tout sur leur passage. En deux ans, 6 millions d’exemplaires ont été vendus, attirant un public très large – y compris des femmes pour qui Les Sims représente souvent une porte d’entrée dans le monde du jeu vidéo. Accessible – pas besoin de console ni d’ordinateur trop puissant – Les Sims offre une prise en main simple et intuitive. Et sans pression. “Dans Les Simson ne peut pas perdre, ce n’est pas une performance, plutôt un passe-temps comme Minecraft, qui arrivera des années plus tard, note Yannick Rochat, professeur assistant en études du jeu vidéo à l’Université de Lausanne. De quoi contraster avec une vie d’adulte rythmée par des objectifs.»

Des jeux dits « sandbox », autrement dit sans début ni fin et laissant libre cours à la créativité du joueur. «C’est un microcosme où nous pouvons contrôler tous les aspects», souligne Loeva La Ragione, collaboratrice du GameLab Unil et spécialiste des mondes virtuels. Vêtements, apparences, décoration… même relations sociales, puisque vous pouvez choisir vos voisins ! C’est un peu la vie à la carte, où on joue le rôle du dieu omniscient.

Ou le héros. Car si le concept d’avatar personnalisable existe déjà, Les Sims pousse le concept à l’extrême : en affinant le nez, en ajoutant des lunettes ou quelques kilos à votre personnage, vous pourrez vous incarner ainsi que vos proches. De quoi alimenter la fascination de l’époque pour une forme de vie virtuelle. Quelques années après le phénomène des Tamagotchi, ces animaux de poche à chouchouter, LE Sims vous permet de vivre des vies autres que la vôtre. « Et faire faire à ses avatars des choses atroces, sans conséquences ! sourit Loeva La Ragione.

Alors que la plupart des joueurs tentent de faire prospérer leur foyer, chacun a un jour semé le chaos, d’un clic de souris diabolique (et cathartique). Parmi les tortures les plus populaires ? Laissez un incendie détruire la cuisine ou retirez l’échelle de la piscine pour regarder votre Sim nager désespérément jusqu’à se noyer. La Faucheuse lui rend alors visite, avant qu’une urne n’apparaisse confirmant l’issue fatale.

Papier peint et célébrité

Mais s’il est question de vie ou de mort, c’est sur un ton léger : design coloré, musique joyeuse. « Il fallait que le jeu colle à la réalité mais aussi négocier la variable ludique, et le rythme : on n’allait pas attendre neuf mois pour qu’un bébé arrive », s’amuse Yannick Rochat. Les avatars font des gestes ridicules lorsqu’ils veulent aller aux toilettes et bavardent en « Simlish », un langage composé d’onomatopées inestimables. «Sul sul! Cummuns nala », disent-ils pour saluer leurs semblables.

Il y en a pour tous les goûts : certains passent des heures à concevoir la maison idéale, du papier peint au manteau de cheminée. D’autres font prospérer des générations d’avatars, ou se lancent des défis personnels. Le business est lucratif : vous devez acheter plus de CD-ROM si vous souhaitez proposer de nouvelles expériences à vos Sims – partir en vacances, adopter un animal, devenir célèbre ou se faire enlever par des extraterrestres. La première partie à elle seule comportera sept extensions payantes.

Laboratoire d’inclusion

Du premier au quatrième et dernier volet, sorti en 2014, le concept du jeu change peu. Comment alors, dans le paysage changeant et compétitif du jeu vidéo, pouvons-nous entretenir la flamme ? En comptant sur une communauté forte, nos spécialistes sont d’accord.

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L’éditeur s’est rapidement mis à écouter les fans. En leur fournissant des codes de triche, qui reconstituent leurs caisses virtuelles en un clin d’œil, mais aussi en s’adressant aux « moders » : des amateurs éclairés qui créent du contenu supplémentaire à télécharger, en dehors des mises à jour officielles. « De nouvelles coiffures, de nouveaux vêtements, de nouvelles expériences comme réaliser des échographies pendant la grossesse », note Héloïse Linossier. Tout un marché a été créé, réglementé par EA, de sorte que de nombreuses personnes vivent dans Simsplus que n’importe quel autre jeu. »

Les internautes réclament également plus de représentation, en introduisant de nouvelles teintes de peau, des looks neutres, des cheveux crépus et même des appareils auditifs. Des années après la fameuse étreinte homosexuelle, loin d’adhérer à un modèle familial traditionnel, «Les Sims contribue à normaliser les relations de toutes sortes, souligne Loeva La Ragione. Avec par exemple les cicatrices de modifications corporelles facultatives pour les personnes trans et le fait que les hommes peuvent tomber « enceintes ». En termes d’inclusion, c’est une petite révolution.

De quoi refléter toujours plus fidèlement la réalité et garantir une immersion totale. Ce dont le monde sera particulièrement friand en 2020, alors que la pandémie nous maintient tous dans le salon, en quête d’évasion mais aussi de normalité. En remplacement de la « vie d’avant », LE Sims connaît un regain de popularité. L’éditeur, qui a du flair, surfe sur la vague et casse les prix.

Fin d’un monopole ?

Pour beaucoup, LE Sims continue de représenter une bulle, voire un bouclier contre l’anxiété sociale. « Dans une industrie qui valorise le multijoueur en ligne, le jeu en solo, où l’on s’assoit seul devant son ordinateur sans stress ni compétition, ça fait du bien », note Loeva La Ragione. Thérapeutique, LE Sims? De nombreux chercheurs se pencheront au fil des années sur les bénéfices pédagogiques du jeu – notamment l’apprentissage des comportements sociaux chez les enfants en difficulté. Et pourquoi pas le féminisme, “les petites filles peuvent facilement s’imaginer organisatrices du foyer”, estime Héloïse Linossier. De quoi horrifier ceux qui ne voient dans la franchise qu’une vitrine de la société matérialiste américaine…

Comme pour leur prouver le contraire, le modèle économique évolue en 2022 : le jeu de base devient gratuit, on ne paie que les extensions disponibles. Mais l’éditeur ne manque pas de mettre du beurre dans ses avatars en collaborant avec des marques, du maquillage MAC aux vêtements Moschino. L’intérêt commercial reste cardinal, souligne Yannick Rochat. « Il ne faut pas oublier qu’EA, qui possède notamment FIFAest connu pour extraire autant d’argent que possible de ses joueurs. Les Sims représente encore une de ses poules aux œufs d’or, sinon il l’aurait déjà retirée de son catalogue.

Jusqu’à présent, LE Sims bénéficiait d’un quasi-monopole, « les simulateurs de vie étant très complexes à développer », explique Héloïse Linossier. Le célèbre Deuxième vie et son métaverse n’a pas connu le succès espéré et La vie par toiun projet d’un acteur majeur du jeu vidéo, ne verra tout simplement jamais le jour. Mais les choses pourraient bien changer avec l’arrivée cette année de deux concurrents de taille, les jeux sud-coréens Dans ZOI et canadien Paravives.

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Avec ses graphismes un peu bruts, Les Sims sera-t-il encore capable de concourir ? Yannick Rochat ne croit pas à une mort annoncée. « Nous avons atteint le photoréalisme dont nous rêvions depuis trente ans et avec lui, une forme de saturation. Aux côtés des grandes œuvres cinématographiques, l’un des jeux les plus joués en 2024 est un jeu de cartes basique et pixelisé. Cependant, EA contre-attaque déjà, promettant un Sims en mode multijoueur pour célébrer le 25e anniversaire de la franchise. À qui il ne reste plus qu’à souhaiter un joyeux anniversaire… simple: «Ooboo Vroose Baa Dooo!»

 
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