C’est une histoire peu connue de victoires contre les barrages, les entrepôts et les décharges. Des histoires de femmes et d’hommes qui s’unissent pour lutter contre un projet qui détruit la vie et qui triomphent contre les intérêts des grandes entreprises. Entre 1971 et 2024, près de 250 victoires pour l’écologie ont été remportées. Ce chiffre est le résultat d’une étude menée par un groupe de jeunes chercheurs du centre de formation environnement et société de l’École normale supérieure. Il a analysé tous les projets abandonnés depuis plus de cinquante ans.
Un premier rapport de cette recherche a été publié dans la revue Silence en octobre 2022 (la carte en version papier est disponible ici).
- publie aujourd’hui une version interactive et mise à jour.
Leur travail minutieux a débuté en 2021 dans les archives de la revue Silencequi existe depuis 1982. « La liste initiale a été réalisée de mémoire militante ou en interrogeant des associations comme France Nature Environnement ou Frapna. »explique Juliette Piketty-Moine, doctorante au Centre d’économie et de sociologie appliquées à l’agriculture et aux territoires ruraux de Dijon. Le collectif a également épluché les archives de la Fondation pour l’écologie politique ainsi que celles de la revue Écologie sur une période allant de 1974 à 1981. Cet ouvrage inédit a permis de mettre en lumière une histoire de luttes méconnue. « Ils n’ont pas l’équivalent de CGT. La transmission de cette histoire se fait uniquement par des médias indépendants »» raconte Gabrielle Rey, doctorante en sociologie à l’Université de Nantes qui a participé à l’étude.
Pour donner écho à ces victoires, l’association Terres de luttes s’est appuyée sur cette base de données pour mener des entretiens avec 42 collectifs écologistes vainqueurs. Dans leur rapport intitulé « Quand le combat gagne », ont-ils analysé les victoires des dix dernières années. Résultat : 14 000 hectares de terres agricoles ou naturelles ont été sauvés et 15 milliards d’euros d’investissements publics et privés ont été économisés.
« La première leçon est que nous pouvons gagner »
« La première leçon de cette étude est que nous pouvons gagner, même si les porteurs de projets disposent d’énormes ressources financières et d’un solide réseau de soutien, mais cela prend du -. »souligne le chercheur Gaëtan Renaud, auteur de l’étude Terres de luttes rejointe par -. En moyenne, les groupes étudiés ont obtenu gain de cause au bout de sept ans, contre des projets pesant en moyenne 540 millions d’euros d’investissements.
Gagnant, mode d’emploi
Ce recensement est crucial pour connaître, archiver et potentiellement transmettre l’histoire du mouvement environnemental. Il permet d’esquisser les instructions pour gagner ces batailles David contre Goliath : voici quatre options, qui peuvent être combinées, pour détruire un projet écocide.
Première option : les mobilisations localesqu’il s’agisse de contre-expertises, de réunions publiques d’information, de soutien d’instituts scientifiques ou de démonstrations. Notez que les occupations de terres et les actions de sabotage sont l’exception plutôt que la norme. Selon les chiffres de Terres de luttes, sur les dix dernières années, seuls quatre collectifs étudiés ont installé une zad. Dix autres ont indiqué que si le combat n’avait pas été abandonné auparavant, l’option zad était envisagée. Par ailleurs, un tiers des collectifs ont bloqué les travaux face à l’avancée des bulldozers.
Deuxième option : les tribunaux. 80 % des collectifs étudiés par Terres de luttes ont lancé un recours contre le projet. Un procédé coûteux estimé entre 3 000 et 5 000 euros. Pour récolter cet argent, les collectifs organisent des tracts et des manifestations à partir des arguments qu’ils ont construits grâce à leur expertise.
Certaines luttes permettent aussi de faire évoluer la législation : la lutte contre les boues rouges en Corse dans les années 1970 a ainsi donné lieu à des dégâts écologiques. « Cette affaire a aidé d’autres luttes, comme au Havre où des entreprises déversaient des produits toxiques dans la Seine. Le collectif s’appuie sur la documentation laissée par la lutte contre les boues rouges en Corse »explique Gabrielle Rey.
Troisième option : les alliances. Dans l’affaire des boues rouges, les associations environnementales s’étaient alliées à de multiples acteurs, des politiques aux autorités religieuses en passant par les pêcheurs. Un cocktail efficace pour « construire un équilibre des pouvoirs »selon Gabrielle Rey.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, tous les opposants ne sont pas des écologistes aguerris. « Nous avons un groupe de personnes qui ont des intérêts extrêmement différents. Il pourrait s’agir d’agriculteurs qui, un jour, mèneront une lutte contre la construction d’un barrage et qui utiliseront alors des pesticides. »résume Gabrielle Rey.
« Il s’agit souvent de mobilisations rurales, dans des endroits où il n’est pas facile de se qualifier d’écologiste. Ce sont des gens qui veulent défendre leur environnement immédiat contre les injustices d’un Etat central qui impose des projets. »adds Juliette Piketty-Moine.
Quatrième outil : convaincre les politiques. Au niveau local, certaines luttes deviennent même des enjeux de campagne. Des groupes citoyens peuvent alors présenter des candidats aux élections comme à Saillans dans la Drôme. Un groupe d’habitants s’est battu contre la construction d’un supermarché qui risquait de compromettre la vie commerciale du village. En 2014, sa liste citoyenne bat le maire sortant et enterre le projet après les élections.
Au niveau national, les candidats de gauche incluent souvent l’abandon de certains grands projets dans leur programme et l’appliquent une fois arrivés au pouvoir. On pense à l’abandon du projet d’extension d’un camp militaire au Larzac et d’une centrale nucléaire à Plogoff en 1981 avec François Mitterrand, puis du réacteur nucléaire Superphénix en 1997, avec Lionel Jospin à Matignon. La droite a également annulé certains projets comme l’aéroport Notre-Dame-des-Landes, abandonné en 2018 par Édouard Philippe, le Premier ministre d’Emmanuel Macron.
Des victoires… incomplètes
Une fois la victoire remportée, les militants ont souvent du mal à se réjouir. « La victoire est une notion risquée car les projets écocides ne s’arrêtent pas et la transformation sociale se fait attendre. »explique Gaëlle Ronsin, maître de conférences en sociologie et anthropologie à l’Université Bourgogne Franche-Comté, qui a supervisé ce travail de recherche. L’exemple de Notre-Dame-des-Landes est éloquent. « Certains militants affirment qu’ils ont arrêté un aéroport, mais ils n’ont pas arrêté certaines formes d’autoritarisme d’État. Il peut y avoir un sentiment d’échec parce qu’il y a eu des divisions sur les questions de régularisation foncière individuelle ou collective. Certains groupes n’étaient pas forcément satisfaits de la victoire »ajoute Gabrielle Rey.
Malgré tout, les militants parviennent à nouer des liens forts et durables. 70 % de collectifs ou d’associations continuent d’exister après la victoire et entretiennent une forme de surveillance, de peur que tel projet ou un autre revoie le jour, ici ou ailleurs. De quoi transmettre une mémoire militante qui manque cruellement au mouvement écologiste aujourd’hui.
COMMENTAIRE A ÉTÉ ESCROQUERÇUE LE CARTE
Ces victoires ont été classées en dix catégories : barrages, loisirs, extractivisme, nucléaire, énergies non nucléaires, transports, construction, agriculture, déchets et industrie. Les militants se sont opposés à la construction d’entrepôts amazoniens, de parcs de surf en bord de mer, d’usines de bitume, de fermes industrielles et même de stations de ski. Les luttes se répartissent également selon l’espace naturel que le projet aurait détruit : zone humide, urbain/périurbain, espace naturel, forêt, eaux de surface, montagne, littoral, espace agricole.
Autre critère de distinction : l’institution qui officialise la victoire. Soit le gouvernement, la justice, le Conseil d’État ou la préfecture. La majorité (24 % des cas), c’est le gouvernement qui annule un projet écocide, notamment dans le domaine nucléaire. Viennent ensuite les élus locaux (21 % des dossiers) et des recours judiciaires (19,5 % de cas).
légende