Le sol, base de la construction

Le sol, base de la construction
Le sol, base de la construction

Situé juste derrière la gare de Saint-Gall, leHôtel Léo abrite un escalier qui constituerait un excellent site pour une démonstration des mouvements complexes d’un ressort hélicoïdal Slinky comme aurait pu le faire Donella Meadows : le ressort descendrait l’escalier, devenant parfois plus grand, parfois plus petit – comme les marches elles-mêmes. Les marches, du côté droit, sont hautes et permettent de s’asseoir dessus ; à gauche de la rampe, ils sont plus petits et donnent accès à l’accueil.

Difficile d’imaginer une forme plus simple que celle du Slinky, ce jouet pour enfants développé aux USA en 1943. À chaque fois qu’on le fait dévaler les marches, le ressort ne cesse de surprendre par ses déformations, provoquant des oscillations et des embardées capricieuses. dès que l’énergie se déplace vers une nouvelle partie de la spirale en mouvement.

Donella Meadows, figure célèbre des sciences de l’environnement, de la théorie des systèmes et co-auteur de l’étude ” Limites à la croissance » publié il y a plus de 50 ans, a utilisé ce jouet pour illustrer ses livres1 et conférences sur la complexité des systèmes : le mouvement d’une partie donnée d’un système ne se traduit pas linéairement en un effet unique sur une autre partie spécifique. Au contraire, elle déclenche toute une série de réactions dans tout le système.

Les cascades d’un projet

De même, dans la construction, les systèmes ne fonctionnent pas non plus par réactions en chaîne linéaires. D’où la difficulté de les concevoir dans une perspective durable. L’architecture et l’ingénierie disposent cependant d’une marge de manœuvre importante pour atténuer le changement climatique : les calculs soutiennent cette affirmation depuis plusieurs décennies. Cependant, pour évoluer, les processus d’aménagement et de construction ne se soumettent pas à la logique de l’urgence des enjeux climatiques mais à celle des systèmes complexes. Et ces derniers, à leur tour, ont beaucoup de mal à céder au changement car « le système est plus que la somme de ses composants ».2 comme l’écrit Donella Meadows. D’autres propriétés et comportements découlent en effet des interactions. Alors par où commencer ? Pourquoi pas par la terre enlevée à la pelle sur tant de chantiers.

Ouvert en juillet 2023, l’Hôtel Leo montre bien le caractère que la terre crue peut donner à un bâtiment, aussi grand et haut soit-il. L’hôtel est une construction hybride, support en béton et revêtement en clinker – l’intérieur, quant à lui, émane directement du sol. Par un passage constitué de blocs de terre crue jointés sur toute la hauteur du mur, le grand escalier d’entrée monte de la porte inférieure (face à la Lokremise) jusqu’à la réception et l’entrée supérieure (à côté de la Villa Wiesenthal). L’espace entre les murs terreux et multicolores frappe par son aspect long et étroit. On trouve ici beaucoup de choses à dire sur les systèmes en architecture, même sans Slinky comme support, d’abord sur le terrain, sur et grâce auquel la construction repose. A chaque étage du bâtiment, que nous soyons là pour manger, boire un verre ou passer la nuit, c’est la terre qui nous entoure, la terre arrachée du sol, pressée et entassée.

Creusez la question des matériaux de construction

Espace constructible, le sol joue ici un rôle majeur, comme sur presque toutes les autres places centrales. L’hôtel de huit étages s’étend ainsi en finesse et en hauteur pour que la Villa Wiesenthal, récemment rénovée par Pfister Schiess Tropeano, puisse rester sur le site qu’elle occupe depuis 1878. Une occupation minimale du sol qui repose sur la nécessité de préserver la villa historique. En outre, une grande partie de ces constructions est réalisée en terre crue – et donc en terre excavée qui, il n’y a pas si longtemps, finissait en grande partie dans les décharges.

La construction en terre battue intéresse Roger Boltshauser depuis de nombreuses années. Il étudia la construction de tours et de coupoles comme celles qu’on trouve du Burkina Faso au Yémen, et démontra, le spécialiste de la construction en terre crue du Vorarlberg Martin Rauch, que ce type de construction était tout à fait adapté aux intérieurs et extérieurs, aux structures porteuses et revêtements, et même des meubles et des fours. Comme l’a récemment démontré la tour du four Boltshauser pour le musée de la briqueterie de Cham.

Comme il l’a observé avec ses équipes de recherche de l’EPFL et de l’ETH Zurich, la technique de construction en pisé s’est déplacée au XVIIIe siècle le long des routes commerciales du textile, de la France vers la Suisse – et donc vers la Suisse orientale.3 C’est ainsi que se dresse aujourd’hui, au milieu de Saint-Gall, cette petite tour dans laquelle différentes compositions mettent en valeur la technique de l’adobe dans une adaptation contemporaine.

102 chambres d’hôtel, un restaurant, un espace de coworking, un parking couvert et un espace spa se pressent le long de la limite sud du terrain de cet immeuble de grande hauteur. Le restaurant japonais qui s’étend, côté ville, sur toute la longueur du socle forme le pendant gastronomique à la réduction recherchée pour l’esthétique du bâtiment qui se concentre entièrement sur l’effet des surfaces en terre crue.

Une réflexion alliant confort et bien-être

Les constructions entièrement en terre crue sont souvent accueillies avec scepticisme en raison de l’entretien requis à l’extérieur par les murs en terre crue pressée et compactée. Même s’il y a des avant-toits et des plinthes, les surfaces minérales verticales seront emportées par la pluie et l’humidité. Cela se produit même si les blocs de boue ont été stabilisés avec du ciment ou de la chaux.

En intérieur, en revanche, la sensualité du grain des modules et revêtements en terre crue est un aspect de plus en plus recherché. Le gros avantage de la forte teneur en minéraux des matières premières en terre réside dans leur porosité, plus précisément leur microporosité. L’humidité de l’air et l’acoustique bénéficient de ses propriétés régulatrices naturelles. Et l’inertie thermique assure également des températures ambiantes équilibrées.

Outre l’équilibre écologique, le confort est donc l’argument fort en faveur de ces solides blocs de terre crue. Études de l’Université technique du Danemark (2005) et Département d’architecture et d’ingénierie, Université de Bath (2014) ont montré qu’une proportion de 3 à 5 %, selon l’usage prévu, de ciment ajouté aux briques crues pour les stabiliser, ne modifie guère la perméabilité des blocs. Les blocs de terre crue stabilisés avec un peu de ciment ont ainsi un poids important du point de vue de leur capacité portante ce qui leur confère cependant aussi des avantages, et pas seulement en termes de physique du bâtiment. La terre crue possède également des qualités esthétiques et reste visible à l’état brut à l’intérieur de l’hôtel, à l’extérieur du sous-sol et de l’espace sauna.

Les murs, le long de l’escalier du hall d’entrée et du restaurant, sont maçonnés de petits blocs de terre comprimée de 25 cm de long (Terrabloc S) et présentent un bord supérieur constitué de deux couches de briques disposées verticalement. Après cette première rencontre avec la terre crue, les clients de l’hôtel découvrent les étages supérieurs et leurs alignements de blocs plus grands : le format Terrapad M de 80 cm qui s’est déjà illustré dans d’autres projets d’habitation et même dans une station de pompage d’eau. En alternance avec les piliers de la charpente en béton et les noyaux de béton de rigidification coulés sur place, il en résulte des compositions rythmées adaptées aux différents lieux et espaces, caractéristiques du style Boltshauser.

La startup genevoise Terrabloc, fondée en 2011, qui a réussi ces dernières années à renforcer sa production avec des partenaires régionaux en Suisse alémanique et romande, a fourni les blocs de terre crue. Après étude, la possibilité d’utiliser les terres directement excavées sur le chantier de Saint-Gall a été rejetée. Le matériau ne provient donc pas du sol de fondation, comme dans le cas de la maison Rauch, beaucoup plus modeste, mais de la zone environnante. Ainsi, la consommation de ressources et l’énergie de fabrication peuvent être entièrement retracées.

La construction en terre crue présente, dans les calculs, des économies importantes par rapport aux méthodes de construction traditionnelles avec des importations en provenance de régions éloignées. Comparés aux itinéraires empruntés par l’industrie du béton et de l’acier, ceux de ces blocs de terre sont négligeables. Laurent de Wurstemberger, co-fondateur de la société Terrabloc, précise que, afin de réduire les filières de production, ce sont à chaque fois les déblais les plus proches qui sont privilégiés.

Terre cuite et comprimée

Le projet de Roger Boltshauser traduit les spécificités du lieu en empilements expressifs. Bandes d’écoinçons et bordures avec parement de clinker à l’extérieur, blocs de verre et blocs de maçonnerie en terre crue à l’intérieur ; de longues lignes partout, même dans les plans, afin de rendre perceptible de l’intérieur la longueur du bâtiment.

A l’intérieur, la terre est brute, à l’extérieur, en terre cuite : Le revêtement de façade de ce bâtiment est réalisé en clinker gris-blanc et verdâtre, inspiré des enduits clairs et du grès verdâtre de la Villa Wiesenthal et associé à des éléments préfabriqués en béton, allégés au calcaire du Jura.

Placés derrière les volets d’aération qui entrent dans l’orchestration rythmique de la façade, des éléments en terre cuite brun rouille offrent différents contrastes de couleurs. La terre cuite est le seul matériau visible aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il fait la transition entre le clinker cuit à l’extérieur et les blocs de terre crue compressés à l’intérieur.

De grandes fenêtres et des motifs ajourés laissent entrer une lumière abondante. En présence des matériaux terreux utilisés dans toute leur gravité, un climat ambiant approprié s’établit et s’accompagne d’une sensation de légèreté. Ici, nul besoin de peintures encadrées au-dessus des lits : les couches comprimées de terre crue créent à elles seules des motifs, des paysages et des invitations à la méditation.

Remarques

1 Donella Meadows, Penser les systèmes. Une introduction, Londres : Chelsea Green Publishing 2008.
2 Ibid., p. 188.
3 Roger Boltshauser, Pisé – Stampflehm. Tradition et potentiel, Zurich : Triest Verlag 2019.

 
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