« Anges gardiens » du Nigéria | « Nous expulser équivaut à la peine de mort »

Patients et amis se mobilisent pour qu’une famille d’« anges gardiens » du Nigeria puisse rester au pays


Publié à 00h51

Mis à jour à 5h00

Deborah Adegboye ne voulait pas déranger ses clients lourdement handicapés et leurs familles avec ses problèmes.

Ils souffrent déjà assez comme ça.

Mais ces familles avec lesquelles elle travaille au quotidien, à Montréal, ont fini par découvrir l’ampleur du drame vécu par la préposée aux bénéficiaires (PAB).

Originaire du Nigeria, la mère de trois enfants et son mari seront expulsés du Canada le 5 avril.

« Je n’ai pas assez de mots pour décrire à quel point Deborah est gentille, attentionnée et compatissante », décrit Victoria Karls, membre de la famille de l’un des jeunes patients de Deborah.

Nous avons vu de nombreux PAB, mais aucun de son calibre.

Victoria Karls, à propos de Deborah Adegboye

Aux yeux de Mmoi Karls, ainsi que d’autres familles et amis qui se mobilisent ces jours-ci pour tenter d’invalider la décision d’Immigration Canada, l’expulsion de « l’ange gardien », de son mari et de ses enfants est une « tragédie ».

«Notre système de santé a besoin de plus de Deborah», déclare Mmoi Karls, indigné.

Arrivée irrégulière

Deborah Adegboye, son mari et leur premier enfant sont entrés au Canada en 2017 via Roxham Road pour demander l’asile, fuyant les graves menaces religieuses subies au Nigeria.

C’est le mari de M.moi Adegboye, qui a requis l’anonymat dans le rapport par crainte de représailles, est chrétien. Cependant, sa famille désapprouve cette religion, le poussant plutôt à devenir le prêtre en chef d’une secte. Son frère est mort suite à un rite de ce culte obscur. Il a alors été désigné pour prendre la relève.

Il faut savoir que le Nigeria est classé sixième au monde sur la World Watch List 2024, un classement des pays où la persécution des chrétiens atteint des niveaux extrêmes. Selon les données d’Open Doors, une ONG qui soutient les chrétiens du monde entier, 82 % des chrétiens tués pour des raisons liées à la foi dans le monde en 2023 l’ont été dans ce pays africain.

Cependant, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté leur demande d’asile en 2020 car elle avait des doutes sur la réalité des persécutions rapportées par le mari de Deborah (et par plusieurs ONG).

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PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Maryse Poisson, directrice des initiatives sociales du Collectif Bienvenue

Le couple a cependant présenté de nombreux documents et a tout fait pour prouver que le danger était réel, fait valoir la directrice des initiatives sociales du Collectif Bienvenue, Maryse Poisson, qui soutient la famille dans la démarche.

« Après avoir examiné tous les éléments de preuve, la Commission conclut que les requérants n’ont pas réussi à établir qu’ils courent un risque sérieux de persécution ou, selon la prépondérance des probabilités, un risque pour leur vie ou un risque de traitement ou de peine cruelle et inusitée, ou danger, soupçonné de motifs sérieux d’existence de torture au Nigeria », a écrit la CISR dans sa décision de janvier 2020.

Demandes multiples

Depuis 2020, la famille a déposé plusieurs demandes de régularisation, mais à chaque fois, les décideurs ont remis en question la crédibilité du danger, arguant entre autres que la famille n’avait qu’à déménager dans une autre région du Nigeria que celle de la famille du mari, résume Mmoi Poisson.

Aux yeux de Mmoi Adegboye, cela n’a aucun sens puisque sa belle-famille a des « relations » dans tout le pays. La preuve, dit-elle : la tentative d’enlèvement de leur bébé, juste avant leur fuite vers le Canada.

Le couple a eu deux autres enfants ici. Les trois, âgés respectivement de 3, 5 et 8 ans, fréquentent une école ou une garderie en français.

Pendant la pandémie, les deux parents ont d’abord travaillé comme « travailleurs essentiels » dans le secteur alimentaire. La mère a même travaillé, pendant sa grossesse, « debout toute la journée » dans un entrepôt frigorifique. Puis, en tant que PAB après avoir suivi une formation – à ses frais – dans un collège privé. Le couple devient alors membre de ceux que le premier ministre François Legault appelait les « anges gardiens ».

Le couple travaille depuis plus de deux ans dans une agence, auprès de personnes lourdement handicapées, principalement à domicile.

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PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Déborah Adegboye

Nous n’avons reçu que trois mois d’aide sociale à notre arrivée. Il était important pour nous de contribuer à la société québécoise le plus rapidement possible. Et nous n’avons jamais demandé la Prestation canadienne d’urgence.

Déborah Adegboye

Le mari de Mmoi Adegboye a commencé à travailler comme PAB pendant la pandémie, soit en 2021. Cependant, le programme de régularisation du statut des « anges gardiens » créé au Canada n’offrait le statut qu’aux PAB ayant travaillé en 2020.

La famille aurait pu obtenir sa résidence permanente grâce à ce programme spécial, mais elle en a été exclue en raison d’une question de dates de début, déplore M.moi Poisson, du Welcome Collective.

« Rarement violent »

À l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), on a demandé à la famille si elle souhaitait confier ses deux plus jeunes enfants à un parent au pays puisqu’ils ne sont pas couverts par l’ordre d’expulsion, étant citoyens canadiens. .

«Je les prendrais pour les protéger des dangers au Nigeria, mais c’est franchement inhumain de demander à une mère de se séparer de ses enfants», dénonce Olivia Viveros, une Montréalaise devenue amie de la famille après avoir aidé ces derniers. pour meubler sa première maison à son arrivée ici en 2017.

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PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Les familles des patients handicapés de Deborah Adegboye se mobilisent pour tenter d’empêcher son expulsion, elle et sa famille.

Mmoi Adegboye essaie de ne pas pleurer devant ses enfants, mais ils comprennent que rien ne va plus. Habituellement énergiques, leur caractère s’est assombri depuis l’arrêté d’expulsion. L’aîné fait des cauchemars.

Avec leur accent [québécois], s’ils doivent retourner à l’école au Nigeria, on saura tout de suite qu’ils viennent d’ailleurs. Il ne faudra pas longtemps à la famille de mon mari pour nous retrouver.

Déborah Adegboye

« Nous expulser, dit la mère de 42 ans, c’est l’équivalent de la peine de mort. »

Une demande de résidence permanente pour motifs humanitaires déposée pour la famille a été refusée en octobre 2023. Elle a déposé une demande de révision ainsi qu’une deuxième demande pour motifs humanitaires pour laquelle elle n’a pas encore de réponse. Le ministre canadien de l’Immigration pourrait également user de son pouvoir discrétionnaire pour intervenir dans cette affaire.

Pour l’instant, l’AFSC a acheté les billets d’avion et les convoque à partir du 3 avril. La famille a demandé un sursis à l’AFSC, demande qui a été rejetée mardi dernier – le jour de notre entretien.

Même si d’autres demandes, dont la seconde pour raisons humanitaires, sont toujours en cours de traitement, la famille risque donc d’être expulsée le 5 avril, si rien ne change.

« Ce processus est d’une rare violence », s’insurge M.moi Poisson, du Welcome Collective. Les enfants devront quitter l’école pendant la nuit au milieu de l’année scolaire. »

Mmoi Viveros a créé une page de financement participatif (GoFundMe) afin que la famille puisse réunir les 5 500 $ nécessaires en frais juridiques pour déposer deux procédures judiciaires finales auprès de l’AFSC et de la Cour fédérale. Depuis son arrivée au Canada, Mmoi Adegboye estime avoir payé plus de 40 000 dollars en frais de justice.

« Nous n’avons pas d’économies », affirme la mère de famille qui continue de travailler tous les soirs, six jours par semaine, en plus de suivre des cours de français. Pas même pour payer une seule brique d’une maison au Nigeria. »

 
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