trois livres pour raconter l’exilé

trois livres pour raconter l’exilé
trois livres pour raconter l’exilé

La parution concomitante de trois romans sur l’immigration pose la question de ces nouveaux et nouveaux damnés de notre terre à qui nous refusons le droit d’être simplement regardés.

Journal d’un exilé d’Amadou Barry, La danse des pères du lobe maximum, Naturalisation de Zied Bakir. Trois romans qui ne se ressemblent pas. Pourtant, dans leurs limbes, on perçoit le même refrain : écrire le déracinement, la proscription, la non-antisation de ceux qui sont appelés, génériques et souvent s’en débarrasser, les immigrés. Trois colocataires d’une maison commune délabrée.

La voie d’Amadou Barry est une voie forte dès les premières lignes de Journal d’un exilé : « J’ai décidé que quoi qu’il arrive, je ne me suiciderais pas. Je l’avoue, il m’a été difficile de prendre cette décision vu la couleur du ciel, vous en conviendrez si vous continuez à lire. Ce matin, j’ai moi aussi décidé de parler. Moi, l’inconnu de loin, l’inculte, l’exilé sans diplôme, le indésirable. Tout le monde parle de moi, contre moi, parfois pour moi, mais jamais en ma présence. » Cette radicalité est au service d’un chagrin : “Mon ami Fodié est mort seul à l’aube, sur un trottoir mouillé, sous vos fenêtres.”

Requiem sous forme de Jour L’histoire sera donc celle de l’Ivoirien Fodié et du Guinéen Dramén, son compagnon d’infortune, qui, bloqués à Paris, survivent dans un camp. Des bas-fonds sans fond où se croisent les escrocs, « De faux exilés, mais aussi des terroristes déguisés en exilés », Des courageux et des idiots. “Quand notre journée commence par ‘J’ai faim’, ‘Je n’ai pas payé mon loyer’, ‘Je n’ai rien pour payer mon titre de transport, mon café…’, notre cerveau lâche, il perd le contrôle, un jour on voit qu’on a la tête d’un idiot, et c’est tout. »

La langue d’Amadou Barry crache le venin de la haine vitale et son contre-poison : le goût du genre humain quelle que soit son amertume. « Ecoutons, je suis le porte-parole de n’importe qui, je n’aime pas les porte-parole et je ne veux pas l’être. Et puis dans le monde des exilés, la parole est en grande partie engloutie, il n’y a que de lourds silences à emporter partout. » Par la grâce d’Amadou Barry, le silence devient un vacarme bienfaisant.

Les manières de Max Lobe sont plus caressantes, mais finalement tout aussi rudes. Benjamin Müller, narrateur de Les pères dansent, est une danseuse classique, née au Cameroun et résidant à Genève. Il regarde son passé : « J’essaie de me connecter au wifi de ma mémoire qui me projette au loin, quand soudain me parviennent les couleurs, les senteurs, les voix de mon enfance, là à Beedi, notamment celle de mon père, Kundè di gwet njé, le lion guerrier . »

En grimpant dans l’arbre de sa généalogie, Benjamin se blesse dans une branche épineuse : son enfance de petit garçon perturbée par ses amis “Comme le hip-hop dans [s]sur feuillet”. Et puis endurer “Noms de papillons” qui sont des guêpes. « Neuf films pour un orrier » en crache un, ou moins métaphoriquement : “Tu es fané, avait fini par dire mon oncle qui, s’adressant à ma tante, avait ajouté : ‘Je ne veux pas du diable à la maison.” “

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Refusé par son père bien-aimé, Benjamin serait pire que “Le truc blanc”. « Avec ces gens-là, on ne peut jamais s’entendre. Sommes-nous amis avec quelqu’un qui nie l’humanité en nous ? A cette pensée, j’ai l’impression d’être fragmenté, fragmenté, je me sens incomplet, l’étrange sentiment d’avoir usurpé une identité, une histoire, un nom, un accent, une langue. »

Une langue pourtant grondante et saturée d’humour selon un Sabir anglo-franco-camerounais. « Tante Bwamè était une petite épargne et avait rapidement retrouvé la route de la Chine. Une, deux et jusqu’à cinq fois par an, elle s’y rendait pour acheter des sacs de marques : Hermèz, Guacha et même Yves Xan l’Orient. » A la fin de son ban, Benjamin ne tombe pas et déploie les ailes de sa paisible singularité.

C’est aussi au pays de l’exil que Zied Bakir voyage avec Naturalisation. Un exil volontaire pour Elyas, un jeune Tunisien qui, à la fin des années 1990, s’est inscrit au collège pour obtenir un diplôme synonyme de visa pour Paris. S’ensuit une déambulation dans la Dèche, nourrie de rencontres cocasses : un ancien légionnaire érudit, une psychiatre qui croit le sauver en l’épousant.

Ces souvenirs de se brodent sur des souvenirs d’enfance : un père boulanger et alcoolique, un grand-père ancien militant de la cause palestinienne. Et c’est ainsi que se noue le lien d’un misérable international · « Chacun est le prochain de l’autre et le déteste comme lui-même, mais en réalité, le petit blanc et le Blédard se ressemblent. Leur principale différence réside dans le fait que l’un a quitté son pays, l’autre son pays l’a quitté. »

Journal d’un exilé d’Amadou Barry (Julliard), 256 p., 21.50. En librairie.
La danse des pères de Max Lobe (Zoé/“French domain”), 176 p., 17. En librairie le 7 février.
Naturalisation de Zied Bakir (Grasset), 192 p., 19. En librairie le 29 janvier.

 
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