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A Toulouse comme ailleurs en France, les éditeurs indépendants subissent de plein fouet les effets d’une crise multifactorielle qui met leur existence en danger. Pour rester visibles dans les rayons des librairies saturées de livres, ils mettent en avant leur rôle d’« explorateurs » face aux majors de l’édition.
Forte concurrence dans les rayons, surproduction de livres, hyperconcentration du secteur, hausse des coûts de fabrication, baisse globale des ventes… À Toulouse comme à l’échelle nationale, le contexte n’est ni rassurant ni favorable aux maisons d’édition indépendantes.
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« Il faut vraiment aimer son métier », résument certains. L’année 2021, exceptionnelle pour le livre, a créé une illusion. Après des mois d’isolement, l’envie de lire et le goût du local se traduisent par une hausse spectaculaire des ventes mais cela ne dure pas. “En 2022, l’invasion de l’Ukraine, les craintes sur le pouvoir d’achat ont impacté le monde de la culture et du livre, deux secteurs qui se resserrent très vite quand il y a des inquiétudes sociétales”, observe Frédéric Lisak, fondateur de la maison d’édition toulousaine Plume de Carotte et membre de l’ERO, association des éditeurs indépendants de la région Occitanie.
Ce professionnel tire clairement la sonnette d’alarme sur la « crise multifactorielle » que traverse le secteur et qui, de cyclique, est sur le point de devenir structurelle. « La réponse des grands groupes à l’érosion des ventes est la surproduction dans tous les domaines. Les petits éditeurs n’ont pas les moyens d’investir dans de nouvelles niches. Ils peinent à exister dans les rayons alors qu’ils sont de véritables explorateurs, à la recherche de nouvelles formes d’expression alors que les majors sont davantage suivies. Le vivier des petites et moyennes maisons d’édition ne doit pas se tarir. Il existe un risque réel d’appauvrissement intellectuel lié à cela. leur disparition», insiste Frédéric Lisak.
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Un nouvel outil de gestion toulousain
Dans ce contexte, la hausse des coûts de fabrication du livre, jusqu’à 45 % pour certains éditeurs toulousains, a contribué à leur fragilisation. Pour autant, les maisons indépendantes ne baissent pas les bras. Créée en 2015, l’association ERO poursuit sa mission de partage, de formation et de représentation auprès des 45 structures occitanes qu’elle représente.
Au niveau national, la toute récente Fédération des éditions indépendantes, née en 2021, s’efforce de rendre plus visible la production des quelque 2.240 éditeurs indépendants en librairie et aux yeux du public. La FEDEI a également initié avec la société coopérative toulousaine Oplibris un logiciel de gestion complet pour permettre à ces structures de gérer leur projet éditorial, de sa conception jusqu’aux retours en librairie, en passant par la gestion des droits d’auteur ou des stocks. Généré en open source et accessible sur abonnement, ce nouvel outil a été lancé mardi 24 décembre. « Le management est la clé de l’indépendance », souligne Sidonie Mézaize, directrice générale d’Oplibris. « En publiant mieux, les éditeurs indépendants pourront mieux se défendre dans un contexte de concentration sans précédent. »
« Editeur, le plus beau métier du monde »
Créées en 2004 à Toulouse, les Editions de l’Attribut comptent 80 ouvrages à son catalogue et publient six revues semestrielles par an sous le titre Nectart qui explore les changements culturels et sociétaux, Dard/Dard dédié à l’écologie et Panardsportif. Pour durer, l’éditeur a su faire évoluer son modèle en passant il y a dix ans des livres au format « mook » et des rayons des librairies à la vente par abonnement, aux salons et festivals ou encore à la distribution numérique via des sites partenaires. « C’est grâce à tout cela qu’on s’en sort. Nous existons parce que nous sommes présents sur le terrain. Il est devenu difficile de vendre du papier dans le domaine des sciences humaines. Les gens se disent qu’on peut tout trouver sur internet», observe Eric Fourreau. Seul au quotidien pour « faire tourner la machine », le fondateur d’Attribut soustrait la partie graphisme et impression et s’appuie sur les spécialistes bénévoles de ses comités de rédaction. Il parvient à maintenir un chiffre d’affaires de 150 000 euros par an mais apprécie l’importance de l’engagement des pouvoirs publics. « Sans leur soutien, ce serait plus compliqué », reconnaît Eric Fourreau qui ne compte pas, malgré les difficultés, renoncer à son métier d’éditeur, « le plus beau du monde ».