Comme la France et le reste de l’UE, le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et la Bolivie affichent leurs divisions au sein de la coalition sud-américaine.
L’aboutissement de plus de vingt ans de négociations internationales ? Le sommet du Mercosur, qui doit se tenir jeudi 5 et vendredi 6 décembre en Uruguay, pourrait marquer un tournant majeur pour le traité commercial entre l’Union européenne (UE) et les pays d’Amérique latine réunis au sein de ce groupe (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie). Un accord pourrait être annoncé lors de cette réunion très scrutée. Même si rien n’est encore sûr, des progrès ont été enregistrés récemment, ont affirmé le secrétaire aux Affaires économiques et financières du Brésil, mais aussi le quotidien brésilien Le globecitant des spécialistes des relations internationales et commerciales.
Alors que la France se distingue par l’opposition de l’ensemble de la classe politique et du monde agricole au traité, contrastant avec le reste de l’Union européenne, quelle est la situation dans les pays du Mercosur ? Franceinfo revient pour résumer la situation pays par pays.
Au Brésil, Lula veut conclure l’accord et rapidement
« Je veux signer l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur car nous en discutons depuis vingt-deux ans »écrivait le président brésilien sur X le 27 novembre. Sa position claire illustre son optimisme, qui s’affranchit de l’opposition de la France. « Si les Français ne veulent pas de cet accord… Ils ne décident plus de rien, c’est la Commission européenne qui décide »a poursuivi Lula, le même jour, lors d’une conférence sur l’industrie à Brasilia. Le président de la Commission européenne “Ursula von der Leyen a la prérogative de signer cet accord et j’ai l’intention de le signer d’ici la fin de l’année”a ajouté la figure de la gauche brésilienne.
Lula a affiché cette détermination après le tollé suscité par les propos du PDG de Carrefour, Alexandre Bompard, qui a déclaré à la FNSEA, le premier syndicat agricole français, que ses magasins ne vendraient pas en France. «pas de viande du Mercosur». Cette annonce a été suivie au Brésil par des appels au boycott et à la suspension par les entreprises brésiliennes de l’approvisionnement en viande des magasins du groupe Carrefour dans ce pays, géant agricole de 215 millions d’habitants.
«Je peux aussi te traiter de la même manière que tu me traites. Donc si le Brésil ne peut pas vous vendre de la viande, vous ne vendrez pas non plus de produits français.»a lancé Mauro Mendes, le gouverneur de l’État du Mato Grosso, une région agricole, dans une vidéo sur Instagram.
La vidéo a recueilli quelque 40 000 likes et Les Echos notons que sa déclaration « visiblement obtenu le soutien de nombreux Brésiliens sur la toile ». « Nous suivons les normes sanitaires et environnementales les plus strictes, qui garantissent la qualité dans toutes les opérations de vente de protéines brésiliennes à l’étranger, qualité reconnue par plus de 160 pays, dont l’Union européenne »a réagi pour sa part l’Agence brésilienne pour la promotion des exportations et des investissements (Apex).
Le dirigeant de Carrefour, qui réalise un quart de son chiffre d’affaires au Brésil, a fini par présenter son “excuses” au gouvernement brésilien, invoquant des problèmes de “communication”. Pas de quoi convaincre le journal L’État de São Paulo – l’un des principaux quotidiens du Brésil – qui a dénoncé « le protectionnisme le plus faible du secteur agricole français » et “la nervosité des producteurs” tricolore
En Argentine, Javier Milei se détourne de l’Europe
Le président argentin Javier Milei est beaucoup moins enthousiaste que son homologue brésilien. Il a affirmé qu’il n’était pas “pas satisfait” ni l’accord ni le « Fonctionnement actuel du Mercosur »selon des propos rapportés par Emmanuel Macron, le 17 novembre, après avoir rencontré le leader libertaire à Buenos Aires.
Au lieu d’un traité réunissant tous les blocs avec l’UE, Javier Milei explore la possibilité de faire pression en faveur d’un accord bilatéral entre l’Argentine et les États-Unis après l’élection de Donald Trump, dont il est un fervent admirateur. « Le Mercosur ne fonctionne pas pour ce pour quoi il a été créé et dans ces conditions, il ne sert à rien à l’Argentine »a déclaré l’entourage du président au quotidien conservateur argentin La Nation. “Nous voulons que vous puissiez conclure des traités bilatéraux avec des pays tiers sans demander d’autorisation.” « Cela impliquerait une rupture avec le Mercosur, car [les autres pays] avoir une clause qui empêche de progresser dans les négociations commerciales bilatérales sans la consultation nécessaire avec le reste des membres »explique le site argentin Infobae.com.
Le gouvernement argentin laisse donc planer le doute sur sa décision finale, mais ne cache pas son intention de faire pression. « Le Mercosur crée pour nous des opportunités et des inconvénients. Nous devons étudier quels sont les avantages et s’ils peuvent être améliorésa déclaré le ministre des Affaires étrangères Gerardo Werthein. Sur certains aspects, nous sommes contraints par le Mercosur, mais nous devons l’étudier et nous nous asseyons pour en discuter au sommet.»
Après de longues années d’attente et d’espoir, le pays, grand exportateur agricole, commence-t-il à s’impatienter ? « En Argentine, on croit désormais que cet accord [entre l’UE et le Mercosur] représenterait une bouée de sauvetage pour l’économie. Mais ce n’est pas la panacée pour nos exportations”estime Julieta Zelicovich, spécialiste argentine des relations internationales, dans Le monde.
La voie d’un accord avec les États-Unis ne semble pas la seule issue. Alors que la Chine est déjà le deuxième partenaire commercial de l’Argentine après le Brésil, un rapprochement supplémentaire entre Buenos Aires et Pékin ne peut être exclu. Après une rencontre entre Javier Milei et le président chinois Xi Jinping en marge du G20, la Chine « a exprimé son intérêt pour l’augmentation des échanges commerciaux avec l’Argentine »lequel « a exprimé sa volonté de diversifier et d’augmenter son offre à l’export vers le marché chinois ». Les deux dirigeants se sont alors formellement invités.
Compte tenu des différences entre les deux poids lourds du bloc, Le - de Rioun quotidien anglophone basé à Rio de Janeiro, estime que « La capacité du Mercosur à fonctionner comme une unité cohésive est menacée, ce qui met en évidence l’impact réel de l’idéologie politique sur la coopération internationale ». Même analyse pour le magazine britannique L’économistejugeant que le Mercosur n’est pas « plus pertinent »notamment à cause de dirigeants politiques comme Lula, qui ont cherché à utiliser la plateforme du Mercosur « pour attirer des alliés idéologiques plutôt qu’un outil de politique économique ».
En Uruguay, Yamadou Orsi rebat les cartes
Comme l’Argentine, l’Uruguay a fait les yeux doux à la Chine. Durant son mandat, le président uruguayen sortant Luis Lacalle Pou a insisté pour négocier un accord commercial avec ce seul pays. “L’Uruguay n’a pas l’intention de supprimer la possibilité d’avancer avec la Chine, car c’est ce que veut le peuple”déclarait-il notamment en 2022. Cette initiative avait généré des tensions avec le Brésil et les autres pays du Mercosur.
La victoire du candidat de gauche Yamandu Orsi, lors de l’élection présidentielle du 24 novembre, risque de changer la donne pour ce pays qui compte 3,4 millions d’habitants et 12 millions de têtes de bétail. Cet ancien professeur d’histoire a grandi dans une famille modeste et reste attaché au monde rural dont il est issu.
De plus, le mentor de Yamandu Orsi, l’ancien président uruguayen José Mujica, a prédit l’échec de l’accord commercial UE-Mercosur. « Parce que les paysans français n’en veulent pas. Et les paysans français dominent la culture française. »a-t-il estimé lors d’un récent entretien avec l’AFP. Mais peut-être pas de quoi faire renoncer le nouveau chef de l’Etat ? Le journal brésilien Le Globe a rapporté que Lula et Yamandu Orsi étaient arrivés « optimiste quant à la possibilité de continuer à renforcer les liens avec d’autres régions, principalement avec l’Europe ».
Au Paraguay, lassitude et pessimisme prédominent
Le président du Paraguay, Santiago Pena (à droite), a été tenté de prendre ses distances. «Je ne continuerai pas à négocier le semestre prochain»» a-t-il déclaré en avril 2023 à propos du traité commercial entre l’UE et le Mercosur. Il avait ensuite assuré, en septembre 2023, qu’il mettrait un terme aux négociations si un accord n’était pas trouvé d’ici la fin de l’année.
En décembre 2024, le pays qui compte 6,8 millions d’habitants est encore à la table des négociations mais il ne cache pas ses réticences et sa lassitude, constate Le monde. « Nous voulons intégrer [économiquement]mais on ne rencontre pas la même dynamique en Europe »a regretté Santiago Pena dans les colonnes du journal espagnol Le paysle 18 octobre, assurant qu’il n’était pas “pas optimiste” concernant le résultat des discussions.
En Bolivie, le nouvel arrivant affiche son enthousiasme
Ce pays de 12,3 millions d’habitants est le nouveau membre du Mercosur, l’intégrant officiellement en 2024. Luis Arce, le président bolivien, a promulgué en juillet la loi d’adhésion au marché commun. Celinda Sosa, ministre des Affaires étrangères de Bolivie, a affirmé que « de gros bénéfices » serait obtenu. « C’est un moment historique pour la Bolivie et les secteurs productifs ainsi que pour les Boliviens qui vivent et font partie du Mercosur »a-t-elle déclaré, citée par France 24.