Dans un salon décoré de guirlandes et de casse-noix, une petite table rit en essayant de former des mots au Scrabble. D’un côté de la scène, Jean-Michel et Thomas, deux quinquagénaires vivant avec un handicap moteur et intellectuel. De l’autre, Ahmed, un jeune qui, il y a quelques semaines, était en situation de décrochage scolaire.
Rafael Miró
Collaboration spéciale
Nous sommes à la maison d’accueil Clément-Würtz, résidence pour personnes lourdement handicapées du 13e quartier de Paris. Une trentaine de personnes vivent dans cet établissement, pour la plupart après avoir perdu leur autonomie à la suite d’un grave accident.
En plus de la dizaine d’employés qui travaillent ici, les résidents de la maison peuvent compter depuis plusieurs semaines sur l’aide d’Ahmed Farag et Léane Gagliano, deux jeunes âgés de 16 et 21 ans. Toute la journée, ils s’affairent à animer des activités. , aider les habitants à se déplacer et surtout échanger longuement avec eux. « Ils viennent s’occuper de nous, ils sont très gentils », confie Thomas, le visage plein de gratitude.
Ahmed et Léane ne sont pas des salariés, ni des bénévoles, mais des volontaires « service civique ». Ce programme, créé en 2010 par le gouvernement français, permet aux 16-25 ans de s’engager pendant 6 à 12 mois auprès d’un organisme public ou caritatif, financé par l’État.
Aider les jeunes en difficulté
Si les pensionnaires de la maison Clément-Würtz sont très heureux de pouvoir compter sur la présence d’Ahmed et Léane, c’est surtout à ces derniers que s’adresse ce dispositif. Le service civique a été créé, entre autres, pour donner une chance aux jeunes confrontés à une situation inattendue ou à une impasse.
Léane, par exemple, vient de terminer un diplôme (l’équivalent d’un baccalauréat au Québec) en psychologie, mais a été rejetée l’été dernier de tous les programmes de maîtrise permettant la pratique.
Si je n’avais pas fait mon service civique cette année, je pense que j’aurais dû faire un métier alimentaire. Je me serais probablement éloigné de mon objectif. Enfin, j’ai le temps de préparer ma rentrée d’études et j’ai une expérience à mettre à profit pour la suite.
Léane Gagliano, 21 ans
Quant à Ahmed, il est issu d’un milieu défavorisé et, il y a quelques mois seulement, il était en pleine décrochage scolaire. C’est son école qui l’a repéré et lui a proposé un service civique à temps partiel, avec 10 camarades de classe. Il consacre trois jours par semaine au service civique et retourne à l’école le jeudi et le vendredi. « Depuis que j’ai commencé, j’ai l’impression d’être plus motivé pour aller en cours, alors qu’avant, je n’y allais pas du tout », dit-il.
L’un des objectifs du programme est d’être le plus accessible possible à tous, quelle que soit la formation. « Lors des entretiens, nous n’avons pas le droit de demander un CV ni de poser des questions sur l’expérience professionnelle », explique Flora Béreau, tutrice d’Ahmed et Léane au sein de l’organisme Unis-Cité. « Ce qui compte, c’est seulement la motivation. »
Le service civique fait cependant l’objet de critiques. Les jeunes reçoivent une indemnisation d’environ 600 euros par mois, bien en dessous du salaire minimum, dont 80 % est pris en charge par l’État. Certaines associations sont accusées d’en profiter pour embaucher des jeunes à bas prix, formant à peine les jeunes, alors même que « c’est obligatoire », déplore Flora Béreau.
À Unis-Cité, Ahmed et Léane participent chaque semaine à des ateliers de formation sur la psychologie ou le milieu associatif.
Créer des vocations
Ahmed et Léane ont choisi de faire leur service civique auprès des personnes handicapées, mais il est possible de choisir toute une gamme d’engagements différents. Certains jeunes consacrent par exemple leur service civique à la sensibilisation aux causes environnementales, voire participent à la préservation du patrimoine.
L’un des programmes les plus populaires est le « service civique solidaire seniors », qui permet de s’impliquer auprès des personnes âgées. «Cela m’a confirmé que je souhaitais travailler dans le secteur de la santé», explique Julie Schlitter, bénévole engagée pour huit mois dans une résidence pour personnes âgées du 16e arrondissement.
Il n’est pas rare que des bénévoles trouvent leur vocation au cours de leur engagement. « Honnêtement, je ne sais pas si je vais continuer mes études après le lycée », avoue Ahmed en organisant la pause café depuis le comptoir de la cuisine, l’un de ses moments préférés avec les résidents. « Mais maintenant, je pense que j’aimerais continuer à travailler dans une résidence comme celle-ci. »