L’art de gouverner selon Trump

(Washington) Donald Trump savourait sa victoire mercredi avec sa garde rapprochée à Mar-a-Lago lorsque le téléphone a sonné. C’était Volodymyr Zelensky.


Publié à 1h30

Mis à jour à 5h00

Le président ukrainien, à l’instar de tous les autres chefs d’État, a tenu à féliciter le président élu.

Donald Trump a remis l’appareil à l’un de ses invités : Elon Musk.

On ne sait pas ce que se sont dit les trois hommes.

Bien avant l’élection de son nouvel ami, l’homme le plus riche du monde était déjà un acteur clé de la guerre en Ukraine. Lorsque l’armée russe a envahi le pays, tous les systèmes de télécommunications ont été détruits. Interpellé publiquement sur son propre réseau social X, Musk a envoyé deux jours plus tard des centaines de terminaux Starlink aux Ukrainiens. Puis des milliers.

Lorsque les infrastructures électriques ont été attaquées, Musk a déployé des systèmes de recharge à énergie solaire. Aux dépens de l’entreprise, qui affirmait l’année dernière avoir fourni 80 millions d’euros d’équipements.

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PHOTO JOE SKIPPER, ARCHIVES REUTERS

La fusée Falcon 9 de SpaceX transportant un groupe de satellites Starlink a été lancée depuis Cap Canaveral, en Floride, en mai dernier.

Sans Elon Musk, l’Ukraine aurait peut-être capitulé depuis longtemps.

Mais lorsque l’armée ukrainienne a décidé d’utiliser ce système de communication pour lancer des attaques de drones contre la flotte russe en Crimée, Musk s’est impliqué. Son aide était humanitaire, défensive et non destinée à une escalade militaire.

Du coup, le multimilliardaire est devenu une sorte de négociateur, en contact avec le Kremlin, la Maison Blanche et Kiev. Il a même présenté un plan de paix, qui cédait définitivement la Crimée à la Russie, ainsi que certains territoires, sous réserve de référendum.

Pour Musk, il n’y a aucune chance que l’Ukraine gagne cette guerre, et les milliards d’aide occidentale, notamment américaine, sont un gaspillage total.

Il s’agit d’une opinion relativement impopulaire, mais largement répandue. La question aujourd’hui n’est pas tant de savoir s’il a raison ou non. Il s’agit plutôt du rôle que jouera l’homme le plus riche du monde dans la future administration Trump. Et, en même temps, l’art de gouverner selon Donald Trump.

Elon Musk n’est pas seulement l’homme le plus riche. Si sa richesse reposait « uniquement » sur son contrôle de Tesla, il aurait déjà un pouvoir énorme dans le système américain. Depuis une décision de la Cour suprême en 2011 (Citoyens unis), il n’y a pratiquement aucune limite au financement politique aux États-Unis. On l’a vu dépenser plus de 100 millions de dollars pour Trump en Pennsylvanie cet automne, notamment en organisant une loterie où il distribuait 1 million de dollars chaque jour à un chanceux signataire républicain.

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PHOTO ANGELA WEISS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le milliardaire Elon Musk a notamment participé au meeting de campagne républicain au Madison Square Garden de New York en octobre.

Ce n’est pas de cela dont il s’agit, même si l’expression « acheter des voix » ne pourrait guère être mieux illustrée. Soit dit en passant, les milliardaires démocrates ont également investi leurs millions.

Musk est également beaucoup plus puissant que ne le suggère son immense fortune. Et même pas parce qu’il contrôle le réseau social X, où il compte 200 millions d’abonnés qu’il inonde de propagande pro-Trump et de théories du complot.

Musk, dont les sociétés possèdent plus de 6 000 satellites, est un fournisseur du Pentagone. Sa technologie revêt une importance stratégique et militaire majeure. Le sauvetage d’astronautes par l’une de ses fusées SpaceX, lorsque la filiale Boeing est tombée en panne, a mis en lumière sa force technologique. Il se lance désormais dans le domaine du renseignement militaire et de l’espionnage, et tout indique que personne n’est en mesure de rivaliser avec lui.

En d’autres termes, la Défense américaine, qui fait affaire avec les sociétés de Musk, est déjà impliquée avec lui.

C’est l’homme que Trump veut nommer pour assainir la fonction publique fédérale. Le président élu le qualifie de génie, et ce terme n’est sans doute pas exagéré quand on voit les domaines qu’il a abordés, les technologies développées par ses entreprises, les talents qu’il a attirés.

Il se trouve également dans un profond conflit d’intérêts, étant à la fois bénéficiaire des contrats du gouvernement fédéral et soumis à sa réglementation.

Quel sera l’art de gouverner selon Donald Trump ? Il existe un mot pour décrire un régime où les plus riches exercent le pouvoir : ploutocratie. Certains diront que, déjà, le pouvoir de l’argent est prépondérant aux Etats-Unis. Mais cela se fait en coulisses, à travers un jeu d’influences, plus ou moins contrebalancé par les élus et les décisions de justice.

La place de Musk dans la prochaine présidence serait sans précédent. Par sa proximité et par l’étendue de sa puissance technologique et financière.

Le génie du système politique américain depuis 250 ans a été le jeu des freins et contrepoids. Le pouvoir du Congrès d’adopter des lois n’est pas illimité ; le président peut exercer son veto ; les tribunaux peuvent annuler les lois inconstitutionnelles. De même, le pouvoir du président est limité par la Constitution ; ses initiatives peuvent être bloquées par le Sénat ou les représentants ; les tribunaux peuvent annuler ses décisions.

Cette année, Trump se retrouve avec un Sénat républicain. Probablement aussi une Chambre des représentants républicaine. « Sa » Cour suprême a accordé au président une large immunité pour ses actes.

Trump a indiqué qu’il comptait étendre ses pouvoirs, estimant avoir été trop souvent empêché lors de son premier mandat par la fonction publique ou les élus.

La voie est cette fois libre. Il s’entourera de gens fidèles, des gens « loyaux », comme il dit.

Cela ne signifie pas qu’il peut réaliser tout ce qu’il a promis, comme expulser 10 millions de personnes. Une tâche compliquée, qui demande beaucoup de personnel dans un service public censé maigrir.

On ne sait pas non plus comment sa promesse de produire davantage de pétrole se réalisera. Musk n’est pas un climato-sceptique et le marché rendra peut-être ce retour au carbone moins attractif.

Mais on sait ce qu’il a promis : moins de contrôles sur l’environnement, moins de pouvoir aux agences gouvernementales, disparition du ministère de l’Éducation – qui sert notamment à financer les écoles des zones défavorisées.

Trump a déjà annoncé qu’il nommerait un anti-vaccin notoire, Robert F. Kennedy Jr., à la tête de la Santé. Dans une interview cette semaine, RFK Jr. a déclaré qu’il n’était pas opposé aux vaccins, mais qu’il aimerait lancer des enquêtes sur leur sécurité. On imagine déjà les clashs avec la Santé publique.

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PHOTO BRIAN SNYDER, ARCHIVES REUTERS

Robert F. Kennedy Jr. salue la foule lors d’un rassemblement électoral de Donald Trump dans le Michigan début novembre.

Dire que c’est sous la présidence de son oncle, en 1962, que furent lancées aux Etats-Unis les grandes campagnes de vaccination gratuite, conduisant à l’élimination de plusieurs maladies. UN accord a été réalisé lorsque RFK Jr. a abandonné sa campagne en faveur de Trump, et il fera « ce qu’il veut », a déclaré le président élu, qui s’en fout, comme on l’a vu pendant la pandémie.

La nomination des dirigeants de la CIA et du FBI sera une question cruciale. C’est la police fédérale qui a constitué les dossiers dans le cadre de ses propres procès pénaux. Il l’appelle « Deep State » et veut le nettoyer…

D’ailleurs, ses épreuves sont toutes vouées à s’estomper. Nous n’avons pas besoin d’attendre le limogeage du procureur spécial Jack Smith : une directive du ministère de la Justice est que nous ne devrions pas juger un président en exercice. Le procès new-yorkais, dirigé par le procureur local, devrait se conclure dans deux semaines avec la condamnation de Trump. Cela devient obsolète, ou du moins insignifiant. On n’envoie pas un président en exercice en prison. L’affaire de Géorgie, déjà très foutue et mal gérée, va probablement aussi s’effondrer.

Ce qui nous amène à une autre question sérieuse : qui sera le procureur général ? Ceux de son premier mandat ne convenaient pas à Trump, car ils ne voulaient pas faire tout ce qu’il demandait. Le gardien de la légalité, figure clé de l’administration, sera fidèle à Trump… Sera-t-il fidèle à l’État de droit ?

Trump a également annoncé son intention d’accorder la grâce aux insurgés du 6 janvier 2021, des « patriotes », dont certains ont été condamnés à plus de 10 ans de prison. Il n’y a aucune raison de croire qu’il ne tiendra pas parole, compte tenu de tous les alliés douteux qu’il a graciés au cours de son premier mandat.

Toutes ces nominations dresseront un portrait de la présidence Trump II. Les auteurs du « Projet 2025 », qui veulent pousser le gouvernement le plus à droite possible, frappent à la porte. Qui sera nominé ?

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PHOTO EVAN VUCCI, ARCHIVES PRESSE ASSOCIÉE

Le président et vice-président élu Donald Trump et JD Vance

Cette fois, le Sénat, qui doit approuver les nominations des juges et des personnes occupant des postes élevés dans l’administration, est entre les mains de Trump.

Hormis la puissance économique et l’influence imprévisible des grands financiers, aucun pouvoir ne se profile à l’horizon pour ralentir sérieusement les projets du 47.e président. Ni dans son parti, devenu le sien, ni guère dans les médias, fragilisés financièrement, de plus en plus marginalisés.

Quel sera le style du 47e ?

Une version beaucoup plus concentrée du 45e.

 
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