«J’ai regardé la mort en face, une détermination à tuer. Les blessures et les douleurs physiques qui m’ont été infligées sont une chose. Le pire, c’est que je ne peux pas passer une semaine sans une, deux, trois nuits blanches. Je revois ces visages haineux, de fous furieux. Je ne peux plus croiser quelqu’un sans avoir peur d’être poursuivi par des couteaux. »
C’est ce qu’a écrit Mario Livolsi à la cour d’assises de Charente-Maritime. La lettre, datée du 3 novembre, a été lue au début de la deuxième journée d’audience, ce jeudi 21 novembre. S’il n’est pas venu assister au procès de ses agresseurs, du 20 au 22 novembre, c’est que cela risquait d’accentuer « un fort trouble psychosomatique » chez lui.
Mario Livolsi, 59 ans, n’est pas un enfant de chœur. Les 15 condamnations à son dossier le placent dans le crime organisé. Vol à main armée avec enlèvement d’otages, association de malfaiteurs, importation de stupéfiants mais aussi une affaire de meurtre et tentative de meurtre qui lui a valu 30 ans de réclusion criminelle en 2002.
Un rôle d’auxiliaire
« Livolsi est ce que nous appelons un ancien. Son profil et son ancienneté font que pour lui, une détention sereine est pour le bien de la communauté. Cela permet à chacun d’évoluer de manière positive. Il avait le rôle d’« auxi », une position de confiance. C’est un homme intelligent, très poli avec tout le monde, capable de faire passer des messages en détention», décrit le directeur de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré au moment des faits, le 1est Novembre 2021.
Ce matin-là, Jamil Essouri, 39 ans, est venu à sa rencontre dans la zone de promenade. Sur les images de vidéosurveillance, après des invectives, on le voit se précipiter vers lui et le frapper à la tête. Livolsi se protège avec un mini but de football. Puis, il recule et tombe au sol, percuté par Dhoul-Arham Bacari, 28 ans. Les deux hommes continuent les coups. Sept blessures sont imputables à une arme blanche. Selon le médecin légiste, deux auraient pu être mortels.
« La population pénale a un peu changé. Il y a plus de jeunes, plus durs, plus impulsifs. »
Essouri a toujours nié avoir utilisé une lame. Il change de version, expliquant avoir récupéré une « arme artisanale » prise dans les mains de Livolsi, d’où sa blessure au petit doigt. «J’avoue avoir été battu. Je l’ai frappé avec, sans réfléchir, au hasard. Je n’ai jamais voulu le tuer. »
“Je ne suis pas l’abbé Pierre”
Quelle est l’origine de la querelle ? Les encadrants le relient à une altercation la veille entre Livolsi et Oualid Mezaoui, qui formait avec Essouri, qu’il avait connu aux Baumettes, et Bacari, le « clan des Marseillais ». On raconte qu’ils s’en sont pris à des prisonniers plus fragiles. « L’ancien » se serait mis en travers de leur chemin. “Je ne suis pas l’abbé Pierre mais il y a des choses que je n’aime pas”, a déclaré Livolsi aux enquêteurs.
“Je n’ai jamais extorqué personne, personne ne m’a payé pour faire quoi que ce soit”, rétorque Bacari. Essouri nie avoir été le « bras armé » de Mezaoui.
Derrière cette affaire se cache un conflit générationnel. La prison de Saint-Martin-de-Ré est dans un premier temps dédiée aux longues peines, avec des détenus recherchant un certain calme. Ces dernières années, elle a dû intégrer des détenus avec des peines plus courtes. « La population pénale a un peu changé. Il y a plus de jeunes, plus durs, plus impulsifs», constate un gardien-chef.
Le centre doit « décongestionner » un système pénitentiaire saturé. Nous dirigeons « des parcours de détention qui posent problème », explique le directeur. Mezaoui a pris en otage une infirmière psychiatrique de la maison d’arrêt de Salon-de-Provence le 31 juillet 2018, la condamnant à six ans de prison. Bacari était considéré comme l’un des meneurs d’une mutinerie à Uzerche (19) en mars 2020. Essouri a multiplié les incidents aboutissant à des condamnations sans interruption depuis 2013.
« Frustration »
Mercredi, ils ont expliqué se sentir en danger à Saint-Martin-de-Ré, parmi « les tueurs et les pointeurs ». « Mes bras tombent », réagit le réalisateur. Il dit avoir « donné une chance » à Essouri, pour éviter la tentation de la radicalisation et commencer à préparer sa réinsertion. Il avait, comme Livolsi, un rôle d’«auxi», qu’il a perdu après avoir enfreint les règles. « Cela a provoqué une telle frustration qu’il est entré en conflit avec l’institution. »
Les vidéos montrent Essori très bouleversé et menaçant après le combat. Il se repent à la barre, lui qui devait être libéré 20 mois plus tard. « J’étais en colère parce qu’une fois de plus j’ai tout gâché. » Le tribunal doit décider ce vendredi 22 novembre dans quelle mesure, en se prononçant notamment sur une éventuelle préméditation.