Heureux qui, comme Wolf, a fait un beau médium

Heureux qui, comme Wolf, a fait un beau médium
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En 2019, Loup Espargilière, 29 ans cette année-là, était plutôt mécontent. Après des études de sciences politiques à Lyon et de journalisme à Paris, où je l’ai rencontré au journal Le monde en 2013, dans le cadre d’un projet destiné aux jeunes journalistes, il enchaîne les contrats freelance et CDD dans plusieurs rédactions. Il arrivait en fin de droits au chômage, avait couvert le mouvement des “gilets jaunes” et enduré leur ressentiment envers les journalistes, constatait une forte déconnexion entre le public et les médias, vivait un été suffisamment sec et chaud pour le rendre éco-anxieux, il se préparait à changer de carrière.

Mais par une journée grise de novembre 2019, avant de jeter son stylo, il se posait encore cette question : que puis-je faire ? Dans la foulée, il rédige une revue de presse sur des sujets d’écologie et l’envoie en pièce jointe à une cinquantaine d’amis, demandant : « Est-ce que cela vous excite ? »

Au revoir la Toscane

Comme ses amis lui ont dit oui, il en a fait une newsletter le lendemain. Vertson média, est né dans sa cuisine. « Heidi.news a été une de mes inspirations, il a dit. J’ai travaillé comme un fou. Je me suis levé à 5h30, la newsletter est sortie à midi. Je n’avais ni notoriété, ni vendeurs, ni marketing. Pas d’argent non plus, à part 800 euros qu’il avait mis de côté pour s’offrir un voyage en Italie avec sa compagne journaliste, Juliette Quef, co-fondatrice. Il a fallu les dépenser pour améliorer le design de sa newsletter gratuite, qui gagnait des abonnés. Au revoir, Toscane.

Heidi.nouvelles existait depuis moins d’un an. D’abord notre newsletter internationale, Le Point du jour, lancée en mars 2019, puis le site, ouvert en mai et la première revue, imprimée en août. La méthode était moins artisanale. Une collecte de fonds a eu lieu, des journalistes spécialisés ont été embauchés. Quatre pour la science, quatre pour la santé : l’équipe idéale pour couvrir la pandémie qui allait émerger début 2020 et révéler nos nouveaux médias au grand public.

Nous venons de célébrer nos cinq bougies. C’est beaucoup! Aujourd’hui, l’ère des médias est comme celle des chiens : il faut multiplier les années par sept. Les médias sont le thème de l’Exploration que nous avons choisi de lancer pour cet anniversaire. On aurait pu vous parler de l’état désastreux de la presse, le matériel ne manque pas…

Un royaume en ruine ?

En 1989, le grand Bernard Béguin, ancien rédacteur en chef de Journal de Genèvesigné un livre intitulé Journaliste, qui a fait de vous un roi ?. Il a pointé du doigt l’impudeur de certains collègues et rappelé les règles élémentaires de déontologie. Depuis, la profession a déchanté. Détrôné par Internet, les cadeaux, les moteurs de recherche, les blogs, les réseaux sociaux. La presse a perdu brutalement son modèle économique ainsi qu’une grande partie de son autorité. Les rois se sont retrouvés à la rue, d’où la dépression.

Dans ma carrière, j’ai connu des collègues qui étaient à bout de souffle. J’ai vu des journalistes pleurer, dont un parce qu’on avait déplacé son bureau de quelques mètres alors qu’elle faisait un reportage en Afrique. Un autre parce qu’un jeune et brillant stagiaire avait empiété sur son sujet de prédilection. J’ai vu des journalistes se ronger les ongles, boire trop, fumer plusieurs paquets par jour. Même s’ils exerçaient tous leur métier – le plus beau du monde – avec passion et engagement.

Incarné, simple et funky

Parlez-vous de l’état désastreux de la presse ? On s’est dit qu’il était plus intéressant de regarder les collègues pour qui c’est important. Des journalistes heureux, dans des médias qui ont trouvé leur public, aux quatre coins de la planète. C’est le cas de Loup Espagilières et Vertqui prospère.

Cette année, il embauche son huitième salarié et fête sa quatrième bougie – 2020 marque sa fondation officielle, avec une campagne de financement participatif et la création d’une entreprise. Hier vendredi, le couple fondateur a enfin pu repartir pour l’Italie. La formule Vert, « le média qui annonce la couleur », est original : une montre, qui peut servir d’outil pédagogique, avec des articles courts, bien sourcés et accessibles. Sans publicité ni parrainage de contenu, mais avec des jeux de mots. Exemples? « Dubai bye », « Losing the FFAS » ou encore « Cop model ? », titrait récemment la newsletter. « L’actualité climatique est compliquée et souvent terrifiante, dit Loup. On a donc travaillé le ton, pince-sans-rire, grinçant. Nous voulons des articles incarnés, simples et funky, axés sur les solutions, axés sur la science.

Du rock’n’roll mais pas dans le rouge

L’un des exploits de Vert est d’arriver à résumer 1000 pages d’un rapport du GIEC dans un carrousel sur Instagram, réseau sur lequel Vert compte 160 000 abonnés. Pour ce faire, quatre journalistes regardent le rapport, appellent les auteurs et font appel à des « data designers ». Le résultat en vaut la peine : plus de 700 000 personnes ont regardé la vidéo d’un de ces résumés. « L’idée initiale, dit Loup Espargilière*, si les citoyens ne bougent pas, c’est parce qu’ils ne sont pas bien informés »*.

Les contenus sont donc librement accessibles et le média vit de trois autres sources de revenus : les dons, les aides publiques à la presse et la formation qu’il dispense aux autres rédactions sur les questions écologiques. « Nous avons contracté quelques emprunts, la trésorerie était toujours rock’n’roll mais les comptes n’étaient jamais dans le rouge »continue Loup.

Des médias qui fonctionnent

Nous aimerions vous dire la même chose. Ça previent, Heidi.nouvelles continue son voyage et vous prépare de belles Explorations au cours des semaines et des mois à venir. A commencer par celui-ci. Après Axios la locomotive américaine, et Le continent l’OVNI africain, vous découvrirez Méduza le frondeur russe, Tortue la tortue britannique, Correction l’enquêteur allemand, Le grand continent l’intellectuel français, Ukraïnska Pravda l’incorruptible Ukrainien, Rappeur le Philippin inflexible…

Autant de sources d’inspiration pour nous journalistes, afin de vous proposer ce à quoi vous n’avez jamais cessé d’aspirer : une information pertinente, audacieuse, adaptée à vos usages, et qui ne vous méprise jamais. Car un journaliste heureux n’a rien d’un monarque : il ne peut être, c’est le sens profond du métier, qu’au service de ses lecteurs.

 
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