L’enquête contre les véhicules électriques chinois, un crash test de la fin de la naïveté européenne

L’enquête contre les véhicules électriques chinois, un crash test de la fin de la naïveté européenne
L’enquête contre les véhicules électriques chinois, un crash test de la fin de la naïveté européenne

Il est peu probable que le suspense dure aussi longtemps. Selon la procédure, la Commission doit transmettre ses pré-conclusions de manière confidentielle aux industriels et parties prenantes concernés quatre semaines avant l’échéance, soit le 6 juin, afin de permettre aux entreprises concernées d’anticiper. « Compte tenu des attentes, il serait surprenant qu’il n’y ait pas de fuites massives. » souligne un expert, même si Reuters évoque pour l’exécutif communautaire la possibilité de laisser passer les élections européennes avant de transmettre ses résultats, dépassant de quelques jours le délai légal.

Une enquête d’une ampleur inédite en raison du nombre d’emplois en jeu

L’enquête est vue comme un crash test de la fin de la naïveté au niveau européen face à la Chine et de sa crédibilité pour la montée en puissance de ses outils de défense commerciale. Son ampleur dépasse de loin les autres enquêtes ouvertes. Même si les importations de véhicules électriques chinois ne représentent encore que quelques pour cent du marché européen, le volume potentiel pourrait se compter en dizaines de milliards d’euros dans les années à venir et l’automobile touche le cœur de la machine industrielle européenne.

En comparaison, les 177 mesures antidumping ou antisubventions déjà en vigueur dans l’Union européenne fin 2023 couvrent pour la plupart des produits plus spécifiques, qui vont des feuilles d’aluminium aux tubes en acier et à l’acier. plat en inox, carreaux de céramique, vélos, pneus de bus ou acide citrique… « L’importance du secteur et le nombre d’emplois en jeu font de cette enquête sur les véhicules électriques un cas particulier »reconnaît Olivier Prost, avocat spécialisé dans les dossiers de défense commerciale au sein du cabinet Gide.

Une accélération du nombre d’enquêtes contre la Chine

Les conclusions seront d’autant plus surveillées que la centaine de fonctionnaires chargés de la défense commerciale, sous la direction du “Chief Trade Enforcement Officer” Denis Redonnet, sont submergés depuis plusieurs mois par des demandes d’ouverture de nouvelles enquêtes. Ceux-ci proviennent de tous les secteurs, et plus seulement de l’industrie sidérurgique, traditionnellement la plus grande utilisatrice des mécanismes de défense commerciale. Douze nouvelles enquêtes antidumping ou antisubventions, dont celle lancée sur les véhicules électriques, ont été ouvertes par la Commission en 2023, contre cinq l’année précédente. Parmi eux, neuf visent la Chine. Depuis début 2024, la Commission a ouvert de nouvelles enquêtes concernant le dumping sur les importations de vanilline, de lysine – incriminées par Metabolic Explorer dans ses difficultés – de parquet et de certains fils de fibre de verre en provenance de Chine.

Son caractère exceptionnel vient également du type de procédure choisie par la Commission. Les enquêtes antidumping sont généralement lancées à la suite de plaintes de fabricants européens, en première ligne pour apporter la preuve d’une concurrence déloyale sur leurs marchés. Dans le cas des véhicules électriques, la Commission a lancé l’enquête de sa propre initiative, une procédure rarement utilisée, hormis une tentative – qui s’est soldée par un échec – dans les télécommunications il y a une dizaine d’années.

Droits de douane réduits pour les entreprises coopérantes

En effet, certains constructeurs automobiles européens voient d’un mauvais oeil les risques de représailles commerciales chinoises alors qu’un certain nombre de constructeurs et d’équipementiers sont également implantés en Chine et y réalisent une part importante de leur chiffre d’affaires. Adopter des droits de douane en Europe “ce serait comme se tirer une balle dans le pied”, jure le patron de BMW Oliver Zipse, dont le groupe produit une bonne partie de ses véhicules électriques depuis ses usines chinoises.

Ce manque d’enthousiasme explique en partie le fait que la Commission européenne ait choisi de s’attaquer uniquement aux subventions injustes reçues par les fabricants, et non au dumping plus large. A priori, les subventions sont plus faciles à prouver pour Bruxelles. Pour étayer son enquête, la Commission a envoyé à l’automne des questionnaires à trois constructeurs chinois, Geely, BYD et SAIC, considérés comme représentatifs de l’industrie chinoise. Déclarations fiscales, comptes audités… Ses équipes ont passé au crible des milliers de pages de chiffres. « Les entreprises ont tout intérêt à coopérer »constate Olivier Prost, car en échange ils peuvent réclamer des droits de douane inférieurs à ceux de leurs concurrents moins coopératifs.

Trois mois d’enquête en Chine

Depuis trois mois, des responsables européens ont également élu domicile à Shenzhen, aux sièges de BYD, Hanzhou et Shanghai, qui accueillent les deux autres constructeurs SAIC et Geely. Sur place, il s’agit de vérifier les informations transmises et de vérifier que rien n’a été oublié. Là aussi, l’opération est d’une ampleur sans précédent pour la Commission. “Habituellement, cette phase d’enquête sur place n’excède guère deux semaines”, souligne un expert. Mais BYD regroupe plus d’une centaine d’entreprises différentes, qui n’ont pas toutes pu être auditées. « En Chine, il y a des centaines de subventions nationales, provinciales, municipales, mais aussi des taxes impayées ou sur le prix des achats intermédiaires »souligne également un avocat spécialisé dans ces questions.

Parallèlement, des demandes ont également été adressées aux constructeurs européens. Car pour imposer des droits de douane, Bruxelles doit réussir à évaluer la marge générée par les subventions captées par les constructeurs chinois, mais aussi l’ampleur du préjudice subi. A l’issue de ces travaux, les droits de douane provisoires communiqués par la Commission devront refléter la moyenne des subventions constatées au sein des trois sociétés de contrôle. Quel chiffre la Commission va-t-elle retenir ? Des fourchettes comprises entre 15 et 30 % circulent à Bruxelles, tandis que les droits de douane actuels sur les véhicules électriques s’élèvent à 10 % à l’entrée dans l’Union européenne. “Même des droits de douane portés à 50% ne créeraient pas un véritable pare-feu pour l’industrie européenne face à la concurrence, selon une étude récente du groupe Rhodium”rappelle Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques Delors.

Un débat houleux entre États membres à venir

Evidemment, la Commission européenne devrait rester loin de la surtaxe de 100% validée fin avril par l’administration Biden pour les véhicules électriques chinois entrant sur le marché américain à partir de 2024. La décision américaine accroît la pression sur Bruxelles, même si la fermeture du marché américain aux véhicules chinois ne devrait avoir que peu d’impact sur le marché européen à court terme. Prudents, les constructeurs chinois s’appuient jusqu’ici moins sur les Etats-Unis. Et la porte d’entrée par le Mexique, dont les importations de véhicules chinois se sont envolées ces derniers mois, leur reste ouverte.

Mais cela pourrait enflammer encore davantage le futur débat européen. Car les Twenty-Seven n’en auront pas fini avec les véhicules électriques chinois d’ici l’été. Si des droits de douane provisoires sont institués début juillet, ils devront encore être définitivement confirmés au plus tard quatre mois plus tard, à la majorité simple des Etats membres. Mais les Vingt-Sept sont loin d’être alignés sur le sujet, à l’instar de leurs constructeurs automobiles.

Cela augure de sérieux combats d’ici le 4 novembre, date limite pour l’adoption de surtaxes à l’importation. La Chine l’a bien compris et utilise déjà la menace de représailles ciblées. A cet effet, elle a ouvert en début d’année une enquête antidumping sur le cognac français. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle vécue par l’UE en 2013 lorsqu’elle avait cherché – trop tard – à imposer des droits de douane sur les panneaux solaires chinois. « Il y a eu beaucoup de nouveaux textes et de déclarations sur la fin de la naïveté. Il faudra le prouver.» plaide Olivier Prost.

 
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