Juste avant les élections, le gouvernement wallon a lancé un appel à projets pour créer une vallée de l’hydrogène. La nouvelle majorité devrait se comporter en ingénieur plutôt qu’en poète, pour éviter de gaspiller 25 millions d’euros dans une industrie mort-née.
La Région wallonne a lancé un appel à projets pour créer la première « Vallée de l’Hydrogène » en Wallonie… car d’ailleurs, elle en envisage plusieurs !
L’objectif de l’initiative est de produire, stocker, distribuer et utiliser de l’hydrogène à travers au moins un projet produisant de l’hydrogène essentiellement décarboné (donc pas totalement vert) et d’encourager son usage au niveau local. Les projets doivent rassembler des acteurs privés, publics ou parapublics, qui se partageront la dotation de 25 millions d’euros apportée par nos impôts. Les entreprises publiques gérées par le mouvement Socialoverte bénéficieront d’une partie de cette manne financière. Ils affirment produire de l’hydrogène à un coût inférieur à celui produit par le gaz naturel.
Philippe Henry, ministre wallon du Climat et de l’Énergie, annonce fièrement que le Gouvernement wallon a largement soutenu l’émergence d’une filière hydrogène en Wallonie au cours de cette législature, sans se demander pourquoi la grande majorité des 130 millions de tonnes d’hydrogène produites chaque année sont à partir du gaz. .
Les bits ne sont pas des molécules
La vallée de l’hydrogène fait écho à la Silicon Valley, cette région de Californie où sont nées les entreprises numériques qui ont révolutionné notre quotidien. L’ingénieur Henry sait que la Silicon Valley fonctionne avec des bits, mais l’hydrogène est de la matière. Transformer de la matière nécessite de l’énergie, donc une vallée de l’hydrogène consommera de l’énergie et n’en produira pas.
L’eau est une molécule très stable et donc très abondante ; On nous a appris dès notre enfance que les mers et les océans représentent 70 % de la planète. Pour quoi ? Parce que lors de la création de notre planète, l’hydrogène hautement réactif généré lors du big bang a formé l’énorme quantité d’eau. Donc pour faire l’opération inverse, produire de l’hydrogène à partir de l’eau, il faut fournir de l’énergie, beaucoup d’énergie.
La stabilité de l’eau explique pourquoi l’hydrogène est principalement produit à partir de gaz naturel. La thermodynamique montre que pour produire une quantité (une mole, si vous vous souvenez de vos cours de chimie) d’hydrogène à partir de l’eau, il faut 6,9 fois plus d’énergie qu’à partir du gaz. Les industriels qui, depuis plus d’un siècle, produisent de l’hydrogène à partir de combustibles fossiles plutôt qu’à partir d’eau le font pour une raison simple : ils économisent de l’énergie. Il est paradoxal que tous les politiques parlent sans cesse d’« économies d’énergie » et que lorsqu’il s’agit d’hydrogène, cette notion soit abandonnée.
Le prix de l’hydrogène produit dans l’Hydrogen Valley sera toujours bien plus élevé que celui produit dans le monde à partir de gaz naturel ou même de charbon. Même si j’ai écrit un livre pour expliquer cette utopie, publié des articles et donné des conférences, les politiques s’entêtent et refusent d’écouter. Mais la chimie étant plus têtue que la politique, la fin inévitable de la Vallée de l’Hydrogène sera l’échec et le gaspillage de 25 millions d’euros. Vladimir Poutine doit rire, car il sait que la Russie est championne de la production d’hydrogène à partir de son gaz bon marché. En conséquence, grâce à cet hydrogène bon marché, la Russie produit une énorme quantité d’ammoniac et des engrais tout aussi bon marché pour contribuer à nourrir les huit milliards d’habitants de la planète.
Il n’y aura pas d’hydrogène vert !
Le 4 février 1923 à Cambridge, le professeur John Haldane, effrayé par l’annonce de la fin du charbon au Royaume-Uni, propose de développer des éoliennes et d’électrolyser l’eau pour produire de l’hydrogène. Sa poésie a séduit les ingénieurs nazis, mais lorsqu’ils ont étudié la chimie du fonctionnement, ils l’ont abandonné.
L’idée est revenue à plusieurs reprises au cours d’un siècle, comme le monstre du Loch Ness. Aujourd’hui, Ursula von der Leyen a ressuscité le poème pour aider l’Allemagne à faire face à ses éoliennes, qui produisent une électricité intermittente et coûteuse. L’argent européen distribué « par hélicoptère » a propulsé les chasseurs de subventions dans la course à l’hydrogène vert.
Lors du bicentenaire de Cockerill, je leur ai conseillé de rester à l’écart de cette utopie. Ils y ont cru et aujourd’hui leur client TotalEnergies se plaint des difficultés qu’il rencontre avec les électrolyseurs Cockerill. Tout récemment, Engie a décidé de mettre un terme à ses activités hydrogène et le personnel employé dans ce secteur est soit reconverti en interne, soit licencié. Les projets hydrogène sont abandonnés partout dans le monde, et nul doute que le projet wallon le sera également.
Par ailleurs, l’hydrogène vert doit être produit à partir d’électricité renouvelable qui, en Wallonie, ne représente qu’une trentaine pour cent. Cette électricité peut être vendue comme électricité verte, mais ne peut pas être utilisée en même temps pour produire de l’hydrogène vert. L’hydrogène cannibaliserait l’électricité verte. Tant que l’électricité wallonne n’est pas 100 % verte – autre poème – pourquoi la cannibaliser pour produire de l’hydrogène coûteux ?
Que fera la nouvelle majorité wallonne ?
Georges-Louis Bouchez, le président du MR a déclaré « Nous allons gérer le pays comme des ingénieurs, pas comme des poètes ». J’aspire à cela depuis longtemps. La nouvelle majorité a l’occasion de démontrer que cette phrase n’est pas un slogan, mais une détermination. L’abandon de la vallée de l’hydrogène est une belle opportunité de montrer que la poésie n’a plus sa place ni en économie ni en science.
