Selon François Veyrunes et Valérie Joly-Malevergne, le « al » entre parenthèses du titre correspond au pronom neutre, non binaire ou inclusif utilisé en français dans l’Antiquité – « el » ou « al » dérivant du latin « illusoire ». La pièce cherche à explorer « le large éventail de dynamiques créatives que cache la notion de paradoxe ». Autrement dit, réconcilier ou dépasser dialectiquement les couples antagonistes déterminants pour l’art en général et la chorégraphie en particulier : lumière et obscurité, corps individuel et corps social, intime et collectif, - forts et - morts… Elle est indépendante des modes et des - morts. tendances actuelles. , un peu en marge des réseaux sociaux ou de l’influence, François Veyrunes poursuit la ligne qu’il a commencé à tracer il y a trente ans. Le tout entouré de ses fidèles collaborateurs, à commencer par Christel Brink Przygodda, co-chorégraphe et dramaturge et Philippe Veyrunes, frère d’âme, scénographe, vidéaste et éclairagiste.
La durée de la pièce nous a semblé idéale : une heure claire, ni trop ni pas assez. La vidéo, dont le tournage a duré deux ans, sert de toile de fond, voire de toile au sens cinématographique. Ce n’est en aucun cas invasif. L’image ne distrait pas le spectateur mais est proposée en bonus. L’écran est CinémaScope et, pour suggérer le mouvement à la manière des peintres suprématistes plutôt que par vanité, Philippe Veyrunes l’a incliné. La ligne d’horizon reste en place et sépare le terrestre de l’aquatique et de l’aérien. Contrairement au film tremblant Cours d’hiver (1962) de Paul Sharits, les changements climatiques, les conséquences naturelles, le passage des saisons se produisent de manière fluide, se confondent ou se chevauchent.
Le son est traité en lui-même, indépendamment de la lumière ; la composition musicale de François Veyrunes mêle des morceaux électroniques et un air d’opéra tiré du premier acte de La Wally (1892) d’Alfredo Catalani chanté par la diva Wilhelmenia Wiggins Fernández, répété jusqu’à produire son effet de fascination sur le public. la vidéo, composante de la lumière, a son propre rythme, sa propre logique interne ; la danse contemporaine se pare de costumes de scène aléatoire conçu par Marion Mercier; les artistes marchent pieds nus, bien sûr ; nous sommes dans une danse-danse désnarrative malgré le recours à une dramaturgie chère aux auteurs d’outre-Rhin – pas à ceux d’outre-mer. Le succès de l’émission est aussi et surtout dû aux sept mercenaires intermittents qu’il faut citer : Jeanne Durouchoux, Flavien Esmieu, Tom Levy-Chaudet, Emily Mézières, Geoffrey Ploquin, Alexandre Tondolo, Lauriane Vinatier.
Tout dans la chorégraphie est subtil, retenu, contenu. On est donc loin de la colère simulée, du chaos artificiel, de la transe trompeuse. Les difficultés techniques se succèdent au hasard : travail acharné au sol, roulages dans tous les sens, équilibres avec les mains, déséquilibres sur une jambe, portés horizontaux ou tête-bêche, vrilles et contorsions, blocages de gestes et time-lapses. Le seul répit pour les interprètes, ce sont les entrées et sorties mutuelles, le - de quitter le sol pour une variation ou un pas de deux. La sérénité domine. Aucun bruit de pas, pas même le moindre sursaut. Ici rien d’ostentatoire, jamais d’exhibitionnisme, pas d’étalage. De l’Apollonien. Si le mouvement est plus grand vitesse qu’avec Myriam Gourfink le tempo est lent, avec des passes et des arrêts larges. L’extraordinaire solo d’Emily Mézières se termine sur une ligne de basse techno Paradoxe en beauté.