Le conférencier et aventurier Guillaume Dulude poursuit un chroniqueur de la Devoir pour un texte sur le phénomène des coachs de vie qui, selon lui, le ferait passer pour un « gourou charmant ».
« La chronique concerne Dulude qui, aux yeux de [Nathalie] Plaat est un charlatan, un gourou charmant, alors que ses disciples sont des femmes pauvres et stupides», interprète Guillaume Dulude dans un procès en diffamation.
La demande, dont La Revue en a obtenu copie, a été déposé au palais de justice de Montréal en juin dernier.
La psychologue Nathalie Plaat a publié une chronique en mars dans Devoir dans lequel elle critique la « marchandisation du bien-être », le phénomène des « coachs de vie » et les méthodes d’un certain « Guillaume », qu’elle qualifie de « conquérant du vide ».
Guillaume Dulude est un conférencier connu notamment pour avoir animé l’émission Tribal. Il est titulaire d’un doctorat en psychologie, mais a choisi de ne pas être membre de l’Ordre des psychologues. Il ne peut donc pas se présenter comme « psychologue » ni pratiquer la psychothérapie.
Certaines affirmations de M. Dulude, comme le fait qu’il possède « la meilleure méthode au monde », font l’objet de critiques de la part d’autres experts ou professionnels (voir textes ci-dessous).
Nathalie Plaat, psychologue et chroniqueuse au « Devoir »
Photo prise sur FACEBOOK
Dans sa chronique, Nathalie Plaat reproche à M. Dulude de « détourner les fondements éthiques de la psychologie » tout en recouvrant ses méthodes d’une « apparence scientifique ». Elle fait référence à une vidéo dans laquelle il filme des ouvriers à leur insu puis analyse leur personnalité pour mieux les « manipuler ».
“Honte”
“Avec de grandes photos macro sur un ligne de la mâchoire qui ferait saliver tous les ados accros à la gym, il se regarde nous apprendre”, a écrit M.moi Disque.
M. Dulude lui en veut particulièrement pour cette « attaque malveillante » […] quant à son physique», peut-on lire dans le procès.
Il mentionne que les salariés de sa société Psycom ont dû « gérer la crise » qui a suivi la publication.
M. Dulude affirme que les ventes de ses programmes ont subi une « baisse importante » et que 81 personnes ont annulé leurs cours.
« Les participants à la formation Psycom avaient honte d’être associés à une formation dénoncée par Plaat », à qui il réclamait 62 340 $.
« Liberté d’expression »
Cela n’a pas empêché l’orateur de tenir un événement devant des milliers de personnes au Centre Bell en octobre dernier, avec notamment la participation de l’astronaute Chris Hadfield et de la joueuse de tennis Serena Williams, rétorque M.moi Plaque dans une contestation déposée en septembre.
Guillaume Dulude sur scène avec l’astronaute Chris Hadfield lors de l’événement Y2, qui s’est tenu le 20 octobre dernier au Centre Bell.
Photo prise depuis FACEBOOK, GUILLAUME DULUDE PSYCOM FR
« Mmoi Plaat a utilisé sa liberté d’expression sur un sujet d’intérêt public, explique son avocat, M.e Geneviève Gagnon. Et c’était dans un contexte de chronique, ce qui est très important », souligne-t-elle.
Guillaume Dulude et Devoir a refusé notre demande d’entretien en raison de la procédure judiciaire en cours.
Plus de 900 fans de Dulude ont porté plainte contre ses détracteurs auprès de l’Ordre des Psychologues
Les professionnels qui voudraient mettre en garde la population contre certaines méthodes de Guillaume Dulude risquent d’affronter un fort vent de mécontentement, si l’on se fie aux 900 personnes qui ont porté plainte contre Nathalie Plaat.
«Plus de 900 participants actuels et passés à la formation Psycom, se sentant visés par les propos de Plaat, ont déposé une plainte auprès de l’Ordre des psychologues du Québec», précise M. Dulude dans sa poursuite.
L’ordonnance indique qu’elle ne peut pas confirmer ce chiffre pour des raisons de confidentialité.
Dans une vidéo YouTube du 9 avril, M. Dulude s’entretient avec la psychologue Jacinthe Fortier, qui dit avoir elle-même porté plainte et recueilli rapidement des centaines de signatures pour l’accompagner.
«Je veux juste que nous nous comprenions. L’initiative de porter plainte, de signer, de rassembler n’a rien à voir avec mon influence personnelle», affirme M. Dulude dans la vidéo qui compte plus de 12 000 vues.
“Représailles”
Pour Yves Gingras, professeur à l’UQAM et spécialiste en sociologie des sciences, ce type de mouvement peut être interprété comme une forme de « représailles ».
« Le premier test de crédibilité scientifique est : la personne répond-elle par des arguments ou plutôt par des mises en demeure ? explique M. Gingras.
Mmoi Plaat n’est pas le premier psychologue à faire l’objet d’une plainte après avoir critiqué M. Dulude.
En juillet 2023, le Dconcernant Pascale Brodeur a fait une publication sur Facebook invitant à la prudence avant de faire affaire avec des professionnels non supervisés par un ordre professionnel, dans la foulée d’une demande de recours collectif déposée contre M. Dulude.
Une plainte a ensuite été déposée contre elle sur son ordre par un citoyen de Longueuil, a-t-on appris La Revue.
“Vide”
Les psychologues sont soumis à un devoir de confidentialité dans leurs déclarations publiques. A l’inverse, M. Dulude n’est soumis à aucune règle déontologique professionnelle, même s’il met en avant ses diplômes.
C’est pourquoi les professionnels tenteront occasionnellement de compenser ce « vide » dans la protection du public en recadrant les propos de certains coachs de vie, explique le psychiatre D.concernant Marie-Ève Coton. “Personne ne fait ça volontairement.”
Ni Nathalie Plaat ni Pascale Brodeur n’ont reçu de communication du syndic de l’Ordre des psychologues en lien avec leurs commentaires sur Guillaume Dulude.
La psychologue Jacinthe Fortier a préféré ne pas commenter.
DES DÉCLARATIONS QUI ÉLEVENT LES SOURCILS
Guillaume Dulude met souvent en avant l’aspect « scientifique » de sa formation, ainsi que son doctorat en psychologie. Il s’exprime cependant parfois sur des sujets qui n’ont rien à voir avec son expertise, allant de l’élection de Trump aux violences domestiques, en passant par la croissance financière. Certaines de ses déclarations sont erronées ou manquent de nuances, ont relevé plusieurs experts consultés.
La « meilleure méthode au monde »
En 2023, on pouvait lire sur le site de sa société Psycom qu’il s’agissait de « la méthode de communication interpersonnelle et de développement humain la plus avancée, complète et efficace développée à ce jour ».
« À ma connaissance, [les formations que j’offre] sont parmi les meilleurs au monde », a-t-il réitéré le 3 avril dans une vidéo YouTube.
“Tu ne peux pas dire ça!” se demande le Dconcernant Marie-Ève Cotton, qui se demande quelle étude aurait pu être réalisée pour comparer la méthode Dulude à d’autres.
«En sciences humaines, il n’existe pas de «meilleure méthode au monde», affirme la psychologue Pascale Brodeur.
A l’exception d’une publication au sujet de sa thèse de doctorat, La Revue n’a trouvé aucun article scientifique signé par M. Dulude.
« Dans le domaine académique, il n’a aucune crédibilité […] Ce qu’il fait est plus du divertissement que de la psychologie», résume Frédérick Philippe, professeur au département de psychologie de l’UQAM.
Filmé à leur insu
En février 2024, M. Dulude filme de loin des ouvriers effectuant des travaux de rénovation chez lui. “La personne qui porte le pull rouge est celle qui dirige la petite équipe qui est là”, décrit-il dans la vidéo. Il analyse ensuite ses traits de personnalité.
Une vidéo dans laquelle Guillaume Dulude filme les ouvriers à leur insu et analyse la personnalité du chef d’équipe, publiée en février 2024.
Photo prise sur FACEBOOK
“Je sais que si je lui parle d’une certaine manière, il saura se mobiliser, puis il mobilisera ses autres petits amis”, prédit-il, avant d’inviter les internautes à cliquer sur un lien menant à son site Internet pour compléter un test de personnalité.
Plusieurs personnes critiquent « l’éthique douteuse » de cette vidéo. “C’est sûr qu’en tant que psychiatre, si vous faites ça, vous allez en entendre parler”, assure le D.concernant Marie-Ève Cotton, faisant référence à son propre ordre professionnel.
“C’est assez superficiel, merci”, ajoute-t-elle. Le problème n’est pas le test de personnalité lui-même, mais son contexte d’utilisation. “C’est comme s’il prétendait qu’on pouvait regarder les gens travailler et pouvoir dresser un portrait de leur personnalité.”
Des femmes « aussi violentes que les hommes »
«C’est pénible à regarder», déclare Frédéric Ouellet, professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, à propos d’une vidéo de juillet 2021.
M. Dulude critique une campagne de prévention de la violence conjugale, qu’il qualifie d’« anti-constructive ».
“Pour l’instant, l’accent est mis sur les hommes, pas sur les deux côtés […] Dans un couple, les gestes violents et agressifs, en termes de fréquence, sont égaux de la part des hommes et des femmes », précise M. Dulude.
Les données des enquêtes de population font en réalité état de fréquences similaires d’actes de violence de la part des deux sexes. «Mais c’est très mal mesuré», a souligné M. Ouellet, rappelant l’importance de tenir compte de la nature des incidents.
M. Dulude montre ainsi qu’il ne « maîtrise pas la littérature scientifique » en la matière. “Nombres [fiables] sur la fréquence des actes de violence conjugale, il n’y en a pas», résume M. Ouellet.
Selon les données les plus récentes de Statistique Canada, les femmes et les filles demeurent surreprésentées (78 %) parmi les victimes de violence conjugale.
La méditation est « évitement »
Dans un article de 2018 sur le blog RDV Réseau Mentorat, M. Dulude affirme que la méditation « est avant tout une sorte d’évitement ».
«Scientifiquement parlant, on ne peut pas dire ça», recadre la psychologue Pascale Brodeur. La méditation est utilisée dans plusieurs traitements contre l’anxiété ou le trouble déficitaire de l’attention, par exemple. “Cela dit, ce n’est pas non plus une panacée.” C’est parfois interdit, comme dans certains cas de troubles dépressifs, illustre-t-elle. Mais ce n’est pas une raison pour « discréditer les outils thérapeutiques qui se sont révélés efficaces ».
Comparez « féminicide » et « génocide »
À l’automne 2022, M. Dulude déclarait à TVA que le mot « féminicide » ressemble beaucoup à « génocide ». Selon lui, ce mot suggère que les hommes feraient « une planification similaire, c’est-à-dire l’extermination des femmes ».
Quelques jours plus tard, M. Dulude en rajoutait dans une vidéo, arguant que l’utilisation du terme « féminicide » dans les médias équivalait à promouvoir la « victimisation ». Il établit un lien avec le mal-être « des hommes en Amérique du Nord ». L’extrait a fait l’objet d’une chronique dans La presse rappelant les racines du mot « féminicide », qui sont les mêmes que « suicide » et « infanticide ».
“M. Dulude essaie de faire preuve de « bon sens », mais son discours est aussi valable que celui de mon voisin », compare Frédéric Ouellet de l’Université de Montréal.
Bloqué
Les activités de M. Dulude ne sont pas entièrement mauvaises, nuancent plusieurs cliniciens. « C’est un excellent vulgarisateur sur des sujets psychologiques utiles à la population », remarque le D.concernant Pascale Brodeur, qui apprécie son « approche concrète et pragmatique ». «Il parvient à rendre les concepts accessibles à un très large public», souligne la psychiatre Marie-Ève Cotton.
Il n’en reste pas moins que lorsqu’ils ont voulu en débattre avec lui ou recadrer certains de ses propos sur Facebook, ils ont tous deux été bloqués, indiquent-ils. “C’est complètement contraire à l’esprit scientifique […] On ne peut pas se mettre dans une bulle de verre et ne jamais être critiqué”, conclut le Dconcernant Coton.
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