« Dès le début, l’opinion était partagée entre critiques et admirateurs »

« Dès le début, l’opinion était partagée entre critiques et admirateurs »
« Dès le début, l’opinion était partagée entre critiques et admirateurs »

La Croix : Comment Paris et les Parisiens ont-ils accueilli le nouveau Palais Garnier le 5 janvier 1875 ?

Mathias Auclair: La capitale et ses habitants vivent depuis quinze ans avec la construction du nouvel opéra. Il y avait même eu des inaugurations partielles comme celle de la façade, presque achevée, lors de l’Exposition universelle de 1867. C’est aussi la date à laquelle l’ensemble du bâtiment aurait dû être terminé. Mais les contraintes financières avaient retardé cette réalisation…

Charles Garnier a quand même voulu dramatiser cette inauguration de scène en cachant la façade jusqu’au dernier moment derrière une clôture en bois. Double avantage : les ouvriers pouvaient travailler à l’abri des intempéries et le public eut le choc de la découverte lors de la destruction de cette palissade, le 15 août 1867, fête de la Saint-Napoléon (1).

À partir de 1867, l’opinion est partagée entre critiques et admirateurs de l’esthétique du Palais Garnier, comme Théophile Gautier, qui rédige un article élogieux. Quelque temps plus tard, La danseun haut-relief sculpté par Carpeaux, suscite une vive polémique jusqu’à ce qu’il soit vandalisé dans la nuit du 27 août 1869 avec une bouteille d’encre. À tel point qu’à la fin de la même année, il fut déplacé à l’intérieur du bâtiment.

Quelle a été la critique de ce nouveau temple de la musique et de la danse ?

MA : Esthétiquement, pour être chargé et coloré comme une pâtisserie parsemée de fruits confits ! Et, en principe, pour répondre aux codes d’une époque révolue, celle du Second Empire – rappelons que la construction fut décidée par Napoléon III – et du grand opéra français, genre qui en 1875 brille de ses dernières lueurs. Ainsi, le Palais Garnier appartiendrait à un vieux monde, à une prospérité balayée par la défaite de 1870.

Les frères Goncourt rapportent par exemple que lors des dîners en ville, on s’interroge sur le coût de sa construction à une époque où l’argent manque. Cependant, après l’incendie de l’Opéra Le Peletier en 1873 (dans la rue du même nom), la nécessité de ce nouvel établissement s’impose dans l’opinion publique. Il redevient alors un symbole du futur.

Comment s’est déroulée l’inauguration du 5 janvier 1875 ?

MA : C’était assez particulier avec un nombre limité d’invités, principalement des représentants des organismes établis, afin de laisser un large contingent de places à vendre. Ainsi, pas mal d’artistes n’ont pas été invités, qui ont pu concevoir de la mauvaise humeur, voire de l’animosité. Garnier lui-même n’a pas reçu d’invitation et a dû acheter sa place ! Un oubli qui n’était certainement pas intentionnel mais plutôt une violation du protocole. En effet, il était prévu de lui remettre la Légion d’honneur à l’entracte, chose difficile en son absence… Et il a pris sa revanche en recevant une standing ovation du public à la fin du spectacle, sur le palier du grand escalier.

L’Opéra Garnier s’est-il alors rapidement imposé dans le paysage parisien ?

MA : Les Parisiens et les visiteurs de la capitale l’ont rapidement adopté même s’il suscite encore des propos très durs de la part de certains, comme Claude Debussy, qui le jugeait dépassé, lié à une société et une esthétique en déclin. Les modernes ne veulent plus de ce monde d’hier, d’autant que la musique, et particulièrement l’art lyrique, est en pleine révolution wagnérienne. N’oublions pas que le Festspielhaus de Bayreuth, construit selon les souhaits de l’auteur de La Tétralogie, sera inauguré un an après l’Opéra Garnier.

Restent également quelques critiques (qui persistent encore aujourd’hui) sur ses qualités acoustiques et sur le confort de la salle, gêné par la proximité des sièges. Ce dernier point répond cependant au cahier des charges du bâtiment, qui a insisté sur ce point. « touche légère » entre spectateurs, propice à la circulation d’un ” fluide “.

Aujourd’hui, le Palais Garnier a-t-il conservé son pouvoir de fascination ?

MA : Absolument. Même si son adaptation à l’évolution de l’art lyrique est régulièrement remise en question au fil du temps, comme ce fut le cas en 1968 dans le rapport de Jean Vilar intitulé « Une réforme de l’opéra ». En 1977, François Bloch-Lainé signera une nouvelle fois une étude sévère sur la question.

Mais le public est globalement conquis. Qu’il assiste aux spectacles ou simplement visite le Palais Garnier, l’un des monuments les plus fréquentés de Paris, avec en moyenne plus d’un million de visiteurs par an, pour près de 343 000 spectateurs d’opéra et de ballet. Symbole de la capitale, le bâtiment sert de décor de cinéma, comme dans Ariane (1957) de Billy Wilder ou Visage drôle (1957) de Stanley Donen, deux films avec Audrey Hepburn. Sans oublier bien sûr La grande vadrouille (1966) de Gérard Oury. Plus près de nous, Tom Cruise passe devant l’Opéra Garnier en Tomber (2018), épisode de la série Mission impossible.

Et, depuis l’explosion des réseaux sociaux, de nombreuses influenceuses se sont photographiées en tenue de soirée dans ce somptueux décor de carte postale !

(1) Le 15 août a en effet été proclamé fête nationale en par le prince-président Louis Napoléon au début des années 1850. Cette célébration marquait l’anniversaire de la naissance de Napoléon Bonaparte, le 15 août 1769.

 
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