Paris Match. Vous avez une longue histoire avec l’Église…
Jean-Charles de Castelbajac. Oui, tout a commencé en 1992, lorsque j’ai eu l’opportunité de travailler avec le comité d’art sacré en milieu carcéral, j’ai alors créé une chasuble très colorée. Cette année-là, j’ai rencontré Mgr Lustiger. Cinq ans plus tard, il m’a convoqué pour les Journées Mondiales de la Jeunesse : j’ai habillé 1 million de jeunes, 5 000 prêtres, 500 évêques et le Pape. J’avais déjà en tête l’idée de démocratiser le vêtement liturgique qui s’enferme dans une tradition de broderie et de distance. La proximité a toujours été ma préoccupation. Mon souhait est de créer des liens, de participer au mouvement du monde, et de ne pas imaginer des vêtements réservés à une élite.
Qui vous a demandé de concevoir les vêtements liturgiques en l’honneur des célébrations de la réouverture de Notre-Dame de Paris ?
Mgr Ulrich. J’ai eu la chance de ne pas participer à un concours. En plus, je ne pense pas que je l’aurais fait. On a parlé d’art sacré, de paramentique [ensemble des vêtements, des parements et des ornements liturgiques, NDLR] et surtout de la relation universelle que les hommes entretiennent avec la cathédrale construite à la gloire de Dieu. C’est à la fois un lieu de culte et une richesse de notre patrimoine. Cette collaboration est un honneur, car elle me marque comme un maillon dans le long chemin des compagnons qui escortent Notre-Dame depuis plus de huit cents ans. Cela correspond aussi à un moment où j’ai trouvé ma réplique trop facile. C’est un honneur et une grande émotion de pouvoir mettre mon expérience et mon art au service de son rayonnement pour les cérémonies de réouverture. Les maisons d’art résidentes Les maisons d’art Lesage, Goossens, Paloma, l’Atelier Montex et la Maison Michel du 19M m’ont semblé une évidence, comme une mise en relation avec les compagnons qui ont construit et restauré la cathédrale Notre-Dame de Paris. Tous deux célèbrent l’intelligence de la main. Les Métiers d’art étaient comme les cinq doigts de ma main, le prolongement de mon geste d’artiste.
Comme quelqu’un qui dessine partout, tout le -, j’ai commencé à faire des collages très simples et, pour la première fois, à utiliser ma main droite. La ligne a décollé, j’ai apporté de l’or à ma palette chromatique habituelle, en pensant aux châsses, aux sanctuaires, à la croix de Marc Couturier, à cette croix de chevet qui a survécu aux flammes. Elle est devenue une référence dans mon projet et sera par exemple au centre de la chasuble de l’archevêque. Je l’ai appelée « la croix rayonnante », car elle est comme un symbole d’espoir, d’espoir, de joie et de vivre ensemble pour les jeunes générations. Créer ces vêtements liturgiques est pour moi une expérience troublante. J’y vois un signe du destin car Jean-Paul II a fait don au trésor de la cathédrale de la chasuble que je lui avais conçue.
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“Notre-Dame m’a beaucoup séduit à mon arrivée à Paris”
Comment décrivez-vous votre travail paramental ?
Noble simplicité, pure, presque épique. Je voulais le plus beau mais aussi le plus humble, qu’il y ait cette dualité entre beauté et humilité, ornement et simplicité. Qu’il soit à la fois médiéval et ultra-contemporain. Plutôt qu’un savoir-faire ancestral, j’ai privilégié les techniques artisanales d’aujourd’hui, comme le flocage utilisé sur les sweats, le matelassage que l’on retrouve dans les vêtements sportswear, mais aussi la solarisation pour imprimer mes croix au lieu de les broder.
Je construis toujours mon art en réfléchissant aux images, à la manière dont elles seront distribuées, comment elles vont se diffuser. J’ai tout de suite imaginé le cortège. Ensuite, avec le diocèse, nous avons parlé des paroisses de Paris. Notre-Dame est leur vaisseau amiral et universel. On m’a donné le symbole de chaque paroisse et sa gamme de couleurs. Je les ai incarnés à travers 120 banderoles. C’est un rythme, comme une épopée pop, car encore une fois il doit s’adresser aux jeunes générations, chrétiennes ou non.
Que représente Notre-Dame pour vous ?
Cela m’a beaucoup séduit à mon arrivée à Paris, à l’âge de 17 ans. Je n’étais pas attaché à ma paroisse locale dans le 16e arrondissement, je la trouvais trop classique, alors je suis allé à Notre-Dame. C’est là que je découvre un vêtement qui deviendra incontournable dans ma carrière : la chemise de pénitence de Saint Louis, une chasuble très rustique, sorte de t-shirt du XIIe siècle. J’ai compris que cette forme m’inspirerait. Je l’ai recréé à l’aide d’une couverture de pensionnaire, puis avec des serpillières, des bandes Velpo également, et c’est ce qui a lancé mon succès. C’était à la fin des années 1960. J’allais à contre-courant, j’upcyclais avant l’heure. Aujourd’hui, j’aurai bientôt 75 ans et je suis dans une phase de collaboration, de transmission. Une de mes préoccupations est d’utiliser l’art comme ciment de la foi.