Le patron de Stellantis a démissionné dimanche avec effet immédiat. Son conseil d’administration s’interrogeait sur une reconsidération de sa stratégie électrique.
“Il a compris qu’il n’avait plus le pouvoir et a claqué la porte.” C’est par cette petite phrase qu’un proche du patron de Stellantis résume sa démission surprise. Ces dernières semaines, les relations entre Carlos Tavares et son conseil d’administration se sont tendues.
Tout a changé vendredi dernier lorsqu’il l’a informé de sa décision. En urgence, le président John Elkann et l’administrateur indépendant Henri de Castries ont décidé samedi de la nouvelle gouvernance à adopter : l’héritier de la famille Agnelli, qui détient 14% de Stellantis, devient PDG. Et a immédiatement convoqué les autres administrateurs pour ratifier dimanche cette direction intérimaire en attendant de nommer le successeur de Carlos Tavares au premier semestre 2025.
Il y a deux mois, John Elkann l’a poussé à prendre sa retraite à la fin de son mandat, début 2026. Mais cela n’a pas suffi au président de Stellantis qui ne cesse depuis de challenger son directeur général. « La commune s’est impliquée dans la gestion quotidienne et a remis en question ses orientations », explique l’un de ses proches. “Carlos a compris que l’année qui lui restait allait devenir un cauchemar.” Carlos Tavares ne partage pas le pouvoir. Et cela dure depuis 2013, déjà chez PSA, il gérait seul.
Questions sur la stratégie électrique
Alors quand John Elkann l’interroge sur sa stratégie, les choses collent. Le président du groupe passe en revue toutes les grandes réflexions stratégiques. «Différents points de vue sont apparus», comme l’a sobrement reconnu l’ancien PDG d’Axa, Henri de Castries, dans le communiqué publié dimanche qui actait la démission du patron de Stellantis.
D’abord sur l’échéance de 2035 pour interdire la vente de véhicules thermiques en Europe. Carlos Tavares s’est opposé aux constructeurs européens, Renault et Volkswagen, qui faisaient campagne pour repousser la date fatidique. John Elkann se demande si nous ne devrions pas les suivre et nous joindre à nos concurrents face à la Commission européenne plutôt que de faire cavalier seul.
Carlos Tavares refuse également de reporter l’application des normes environnementales sur les émissions de CO2 (Cafe) alors que le lobby du secteur automobile – présidé par le patron de Renault – y est favorable. Il promet qu’il n’aura pas besoin d’acheter des crédits carbone pour respecter les obligations européennes. Le président du conseil d’administration doute et interroge son directeur général.
Tavares accélère, Elkann freine
Le patron de Stellantis, toujours sûr de lui, veut accélérer vers la transition électrique. Il recommande même de se lancer dans une nouvelle fusion encore plus importante et encore moins coûteuse. « A moyen terme, il pense que poursuivre la course à la taille est la seule solution pour résister à la concurrence chinoise », explique un de ses amis.
Mais John Elkann ne suit plus le « psychopathe de la performance » autoproclamé. Il semble plus propice à l’apaisement, et soucieux du redressement du cours de bourse de Stellantis qui a retrouvé son niveau d’introduction en 2021. L’ancien propriétaire de Fiat est avant tout un capitaliste soucieux de son patrimoine. Il ne détient que 14,2% de Stellantis mais avec deux fois plus de capital que Peugeot, il est le seul à s’opposer à Carlos Tavares.
A-t-il poussé la star européenne de l’automobile dans ses retranchements pour provoquer sa démission ?
« Les questions de John Elkann étaient sincères et légitimes, juge un bon connaisseur du groupe. Il ne s’attendait pas à sa réaction.
Mais « Carlos Tavares n’est pas du genre à changer d’avis, reconnaît un cadre qui a travaillé avec lui. C’est une personne optimiste.
On répète la séance : « Départ de Carlos Tavares : une bénédiction déguisée pour Stellantis ? – 02/12
Les Peugeot se laissent faire
Sa démission a créé la surprise à tous les niveaux du groupe où la plupart des dirigeants en ont eu connaissance… par les médias. Même les Peugeot n’ont pas été informés de la nouvelle. Des dirigeants familiaux devaient également le rencontrer ce jeudi pour évoquer la stratégie de Stellantis. Un cabinet de chasse de têtes venait d’être mandaté pour lui trouver son successeur. « Nous n’avons ressenti aucune accélération dans son départ », explique une Source proche de la famille. “Robert Peugeot n’était pas impliqué.”
Celui qui cherche à défendre le patriarche révèle en réalité sa passivité.
« Les Peugeot n’ont rien fait pour arrêter le bras de fer et se sont alignés derrière les Agnelli, confirme un proche de Tavares. Celui qui a sauvé PSA de la faillite n’a pas eu leur reconnaissance.»
Le timing est frappant. Il y a dix jours, la famille tournait une page importante de son histoire. Depuis deux ans, leur holding Peugeot Invest connaît des difficultés financières en raison de ses investissements dans Orpea et dans le promoteur immobilier Signa. Robert Peugeot passe le relais à son fils Edouard qui dirigera l’entreprise familiale. Ce quadragénaire issu du monde du capital investissement gérera les 7,5% de Stellantis en tant que holding financière. Comme John Elkann.
Matthieu Pechberty Journaliste BFM Affaires