Fonds de prévoyance | La transparence devrait bousculer les prix des copropriétés

Lorsqu’elle a acheté son condo, l’ingénieure Jeanne Desbiens a réussi à réduire le prix de 100 000 $ après avoir appris que l’immeuble ne disposait pas de fonds de prévoyance malgré la nécessité évidente de travaux majeurs. Actuellement, les acheteurs n’ont pas toujours accès à ce type d’informations, pourtant cruciales pour faire une offre adéquate. Mais les choses vont changer avec l’entrée en vigueur de dispositions importantes du projet de loi 16, qui va bouleverser le marché de la copropriété au Québec.

Les sourires des copropriétaires qui ont eu la chance pendant des années de ne verser que très peu d’argent au fonds de prévoyance de leur immeuble pourraient disparaître au cours des prochains mois. La valeur de leur investissement pourrait fondre et les contributions extraordinaires seront sans doute nombreuses.

Le projet de loi 16 obligera tous les immeubles en copropriété à avoir un rapport d’expertise établissant les sommes nécessaires dans le fonds de prévoyance pour couvrir les coûts de tous les travaux nécessaires sur une période de 25 ans. Les charges communes, les fameux « frais de copropriété », devront être ajustées en conséquence.

Autre nouveauté, toutes ces informations doivent être transmises à ceux qui souhaitent soumettre une offre d’achat. Aujourd’hui, le partage des chiffres – lorsqu’ils existent – ​​est volontaire. On peut donc supposer qu’ils restent secrets lorsqu’ils désavantagent les vendeurs.

La taille du fonds de prévoyance devrait toutefois être au cœur de toute transaction puisqu’elle influence directement la valeur du condo. «Cela doit faire partie de l’équation, de la négociation», soutient Jeanne Desbiens, chargée de cours à l’ETS et fondatrice de Toolbox, une entreprise qui crée des rapports pour les copropriétés incluant un carnet d’entretien et des scénarios financiers.

Près de 40 % des quelque 40 000 immeubles en copropriété ne disposent pas de fonds de prévoyance suffisants pour des réparations majeures, selon le Regroupement des gestions et copropriétaires du Québec (RGCQ).

Les charges de copropriété servent presque entièrement à couvrir les frais d’exploitation, note également Jeanne Desbiens. Ainsi, la majorité de ses clients ne disposent pas de fonds de prévoyance, « sinon il est insuffisant, voire insignifiant ».

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Jeanne Desbiens, ing., professeure à l’ETS et PDG de Gestion Toolbox

Malheureusement, il n’existe aucune règle pour déterminer grossièrement la proportion idéale des charges de copropriété qui devraient être dirigées vers le fonds de prévoyance, car il y a trop de variables telles que l’état général des lieux, l’année de construction, la diversité des services. (piscine, terrasse, ascenseur, aménagement paysager, déneigement) et le nombre de logements. La seule chose que l’on sait avec certitude, c’est que l’idée répandue selon laquelle 5 à 10 % suffisent est tout simplement fausse, estime Jeanne Desbiens.

La fin des inégalités

Au fil du temps, cette négligence à capitaliser suffisamment le fonds entraîne de grandes inégalités, particulièrement lorsque les copropriétaires qui ont longtemps bénéficié des espaces communs vendent sans avoir payé leur juste part de l’usure.

Mais la pause se termine avec l’entrée en vigueur de la loi 16 prévue cette année.

Les immeubles qui n’ont pas de plan de gestion «seront déclassés sur le marché», prédit Yves Joli-Cœur, avocat spécialisé en droit immobilier, président du RGCQ et fondateur du site condolégal. com. Autrement dit, leur valeur diminuera en raison de l’incertitude qu’ils représentent pour les futurs acheteurs. Qui a envie d’emménager dans sa maison et de se retrouver ensuite avec une facture surprise de 25 000 $ pour des réparations de toiture et une augmentation de 100 % des charges de copropriété ?

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE ARCHIVES

M.e Yves Joli-Cœur, president of the Regroupement des co-owners and managers of Quebec

Il ne faut pas le cacher, il y a une partie de la population qui n’a pas les moyens de vivre en condo, parce qu’on a les yeux bandés depuis des années.

Yves Joli-Cœur, avocat spécialisé en droit immobilier, président du RGCQ et fondateur du site condolégal. com

Prenons l’exemple d’un immeuble où 10 propriétaires doivent se partager une facture de 2 millions alors qu’il n’y a que 1 million sur le compte. Tout le monde doit donc contribuer 100 000 $. Un acheteur potentiel pourrait demander une réduction de prix de 150 000 $, estime l’expert. « Il pourrait prendre une prime de risque, car il ne sait pas si les autres copropriétaires sont solvables. »

C’est le genre de situation qui pourrait se multiplier. « Nous parlons d’un parc [de condos] en détresse au Québec», déplore Me Joli coeur. Selon lui, « nous ne comprenons pas l’iceberg qui se trouve devant nous ». Logiquement, les déficits de capitalisation, une fois calculés et ouvertement révélés, seront pris en compte par les courtiers immobiliers et les acheteurs, ce qui ne sera pas sans conséquences sur les prix.

L’âge moyen des condos au Québec, autour de 30 ans selon le RGCQ, est un élément clé du problème. « C’est beaucoup dans le sens où 20 ans, c’est la durée de vie d’une toiture, de certains types de fenêtres et de certains revêtements. Ce sont tous des emplois très coûteux », me fait remarquer Jeanne Desbiens, qui a déjà travaillé comme estimateuse pour un entrepreneur en construction.

Grâce à son expérience cumulée, l’ingénieure de 36 ans sait qu’évaluer les coûts d’entretien d’un bâtiment sur 25 ans n’est pas un exercice simple. Vous devez connaître la construction, l’ingénierie, la finance.

Même si elle est ingénieure, Jeanne Desbiens critique les rapports de ses collègues et concurrents qui sont parfois difficiles à lire et dont les « scénarios sont irréalistes » puisque les « estimations sont insuffisantes », ce qui place les copropriétaires dans une position inconfortable. Elle suggère aux syndicats de choisir soigneusement l’entreprise qui réalisera leur plan de gestion d’actifs après avoir obtenu trois offres.

Il s’agit d’une responsabilité supplémentaire sur les épaules des administrateurs syndicaux qui pourraient avoir beaucoup de travail à accomplir cette année. Mais quand on regarde ce qui se passe en , où des bâtiments trop longtemps négligés sont en train d’être démolis, on comprend vite que les efforts financiers d’entretien ne sont pas vains.

Conseils de Jeanne Desbiens, ingénieure et fondatrice de Toolbox

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Jeanne Desbiens, ing., professeure à l’ETS et PDG de Gestion Toolbox

  1. Les sociétés de copropriété ne doivent pas attendre l’entrée en vigueur de la loi 16 pour obtenir leur plan de gestion patrimoniale qui comprend l’étude du fonds de prévoyance. Les coûts risquent alors d’augmenter puisque la demande sera forte.
  2. Une fois le plan obtenu, votez le plus rapidement possible pour un plan financier afin de renflouer le fonds de prévoyance. Idéalement avant la fête du déménagement du 1erest Juillet. Dans le cas contraire, les copropriétaires qui vendent partiront sans rien payer, même s’ils ont profité des parties communes. Ce n’est pas juste.
  3. Ne laissez pas le fonds de prévoyance sur un compte courant avec un intérêt de 0 %. « J’ai des clients dont le fonds de retraite n’est pas sur un compte à intérêt élevé. C’est mon premier conseil. L’argent doit rapporter de l’argent. Chaque dollar gagné en intérêts ne sort pas des poches des propriétaires. »
  4. Les syndicats ont déjà intérêt à être transparents sur le déficit de la caisse de prévoyance, même si ce n’est pas encore obligatoire. Ils réduisent ainsi les risques de se retrouver avec un nouveau copropriétaire qui n’a pas les moyens de payer une contribution extraordinaire pour refaire la brique. Avec les prix et les taux d’intérêt élevés d’aujourd’hui, beaucoup achètent au maximum de leur capacité financière. Les cachettes ne profitent à personne, sauf aux courtiers immobiliers.
  5. Si vous envisagez acheter un condo, demandez à voir la liste des travaux imminents ainsi que le montant contenu dans le fonds de prévoyance. Utilisez ces informations pour faire votre offre. Si les informations ne sont pas fournies à l’avance, cherchez ailleurs ou obtenez votre propre évaluation du déficit, un service tel que celui proposé par Toolbox. Pensez à faire inspecter les espaces communs, et pas seulement les espaces privés.

Le marché des condos au Québec

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

  • 382 755 : nombre de condos répartis dans plus de 40 000 immeubles
  • 80% des copropriétés sont situées dans la région de Montréal
  • Près de 70 % des copropriétaires habitent leur logement, les autres le louent
  • Un peu plus de 30 ans : âge moyen des copropriétés
  • Entre 2 500 $ et 4 500 $ par année : charges de copropriété moyennes
  • Près de 40 % des copropriétés ne disposent pas de fonds de prévoyance suffisants pour effectuer des réparations majeures

Sources : Association des gestionnaires et copropriétaires du Québec (RGCQ) et Yves Joli-Cœur

En savoir plus sur le fonds de prévoyance

Lire à propos du projet de loi 16

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