Sa carrière naissante de professeur amène l’auteur à vivre dans une région moins connue de la francophonie, à Baton Rouge, dans le sud des États-Unis, et à faire preuve d’une grande débrouillardise.
Publié hier à 15h00
Richard Strasbourg
Professeur de francisation
En 1997, j’ai obtenu un diplôme en éducation artistique dans un marché du travail différent de celui d’aujourd’hui. Alors que je cherchais du travail, une opportunité s’est présentée : aider les professeurs de français au Nouveau-Brunswick.
Devenu moniteur de français en quelques jours, je me suis lancé, sans savoir ce qui m’attendait. J’ai déménagé à St. Stephen, pas encore professeur de français, mais prêt à relever un défi. Je suivais aussi ma copine, étudiante à Moncton, ce qui me semblait une bonne idée.
Ma première année là-bas s’est plutôt bien déroulée, même si je manquais de confiance en moi pour me développer en tant qu’enseignant. Je suis quand même revenu l’année suivante comme remplaçant, dans l’espoir d’obtenir un poste. Malheureusement, en 1998 et 1999, le téléphone ne sonnait pas souvent. Sauvé de la dépression par la course à pied, quelques projets artistiques m’ont permis de payer mes factures.
Entre-temps, une autre opportunité se présente : enseigner en Louisiane. J’avais l’adresse du CODOFIL – Conseil pour le développement du français en Louisiane –, mais peu d’informations supplémentaires.
Première tentative : un CV envoyé en retard. L’année suivante, j’ai respecté les délais, mais les entretiens se sont déroulés loin de chez moi. J’ai raté le train, le bus en fait, qui était trop cher pour mes moyens.
Cet été-là, en « vacances » à Montréal, de retour au travail, j’ai eu une entrevue et j’ai été embauché. Prêt à partir vers les bayous, les choses ont bougé rapidement.
Le grand départ
En quelques semaines, j’ai vidé mon appartement, rempli mille formulaires, participé à une étude pharmaceutique pour financer mon voyage et pris place dans un camion loué par un professeur avec qui j’avais été jumelé pour déménager.
Ce voyage en voiture C’était une aventure coûteuse et dangereuse : je dormais dans le box du camion, faute de planification de la part de mon collègue. Le camion est tombé en panne et le chauffeur s’est retrouvé à court d’argent, le tout avant la frontière. Je suis entré en douane pour signer des papiers, j’ai demandé un stylo au douanier, qui m’a répondu : « Vous venez enseigner ici et vous n’avez même pas de stylo ? »
Arrivé à Baton Rouge en pleine nuit, et devant suivre plusieurs stages le lendemain, j’ai vécu quelques chocs : chaleur intense, bombardement d’informations, gros cafards, etc. Une fois logé, j’ai exploré mon quartier à vélo, seulement d’apprendre qu’il y avait des rues où je n’étais pas le bienvenu : les gens me jetaient des pierres, ce que j’ai heureusement évité. Détours permanents, sans cônes orange.
A l’école, surprise : il n’y avait pas d’outils pédagogiques. J’ai dû enseigner le français aux enfants, mais aussi créer un programme et du matériel. Sans endroit où enseigner, mon premier emploi du temps m’envoyait à 11 cours différents par jour. Tout mon matériel tient sur un chariot.
En tant que professeur itinérant, je devais être créatif et ingénieux. J’ai dessiné mon matériel le soir, ce qui m’a amené à quelques collaborations avec des personnalités importantes de la francophonie louisianaise.
Au moins, on ne pouvait pas me reprocher de ne pas suivre le programme.
Finalement, j’ai pu m’installer temporairement dans des salles de classe au fil des années que j’ai passées dans le pays cajun. J’y ai encore vécu de belles choses, entre les obstacles pédagogiques, les ouragans et l’onde de choc du terrorisme.
J’ai appris à conduire et à me comporter dans les petites communautés conservatrices et soudées du Sud. Mon anglais était déjà bon, mais certains accents posaient problème au début. Je me suis familiarisé avec le processus d’immigration : lent et coûteux. Cela m’a permis (ou forcé) de passer un Noël dans le Sud, une belle expérience culturelle : feux de joie, dîners cajuns et visite d’une famille haïtienne en Floride.
J’ai longtemps pensé que je passerais ma vie en Louisiane. J’y ai même acheté une petite maison en 2008. Malheureusement, 15 ans après mon arrivée, j’étais encore loin de prêter serment d’allégeance ou même d’obtenir une carte verte.
Redevenez Québécois
Ayant quitté le Québec pour une fille, j’y suis revenue en 2014 pour une autre : la femme de ménage, et moi avons décidé d’enseigner le français aux adultes, mais pas avant de redevenir Québécois, bureaucratiquement parlant.
Le marché du travail avait changé, mais pour moi, les choses avançaient lentement. Il y a eu des moments où je me sentais comme un étranger. Plutôt bronzé après 15 ans dans le Sud, quelqu’un m’a dit : « Tu n’es pas d’ici, n’est-ce pas ? »
Aujourd’hui, après quelques années à travailler comme autocar et chauffeur, pour joindre les deux bouts, une nuit sur l’autoroute 13 en 2017 et une pandémie, je jongle avec trois emplois d’enseignant. De contrat en contrat, l’avenir semble parfois incertain, en raison de querelles politiques. Mais je fais ce que j’aime et je ne suis plus seul. Évidemment, je pourrais aller enseigner aux jeunes, mais ça me fait peur. Je préférerais commencer autre chose, même à 53 ans.
Entre les enfants et les ouragans, je choisirais probablement les ouragans.
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