“Pas d’actes répréhensibles de la part des autorités, mais des lacunes à plusieurs niveaux”

“Pas d’actes répréhensibles de la part des autorités, mais des lacunes à plusieurs niveaux”
“Pas d’actes répréhensibles de la part des autorités, mais des lacunes à plusieurs niveaux”

Un travail qui a duré 18 mois, pour aboutir à un document de 565 pages. C’est ce qu’a présenté aujourd’hui la Commission d’enquête parlementaire (CPI) chargée de faire la lumière sur la gestion effectuée par les autorités fédérales dans le cadre de la fusion d’urgence du Crédit Suisse avec l’UBS. Du rapport du CCI, créé le 8 juin 2023 et présidé par la députée fribourgeoise des Etats Isabelle Chassot (Le Centre), il ressort que l’effondrement du Crédit Suisse est imputable à ses dirigeants mais aussi aux autorités – bien qu’elles aient réussi à pour éviter une crise des institutions financières mondiales en mars 2023 et, bien qu’ils n’aient commis aucun acte répréhensible, ils ont accumulé des déficiences à plusieurs niveaux. En particulier, les actions de l’Autorité de surveillance des marchés financiers (Finma) concernant les concessions accordées au Crédit Suisse en matière de fonds propres et la surveillance en partie inefficace sont évaluées d’un œil critique, tout comme l’hésitation à poursuivre le développement du «too big to fail» ( trop grand pour faire faillite, Tbtf) et la circulation parfois insuffisante des informations entre les autorités, pointant notamment du doigt l’ancien « ministre » des finances Ueli Maurer. “Une situation dont il faut tirer des leçons”, estime la Commission, qui demande une série d’améliorations en formulant 20 recommandations au gouvernement et en présentant quatre motions et une initiative parlementaire. Les demandes portent avant tout sur une réglementation Tbtf orientée vers les normes internationales, des dispositions plus efficaces pour les banques d’importance systémique et des règles plus claires de collaboration entre les autorités responsables de la stabilité financière.

Une crise auto-infligée par la banque

La commission d’enquête parlementaire a examiné une période allant de 2015 jusqu’à la finalisation de la fusion d’urgence avec l’UBS en juin 2023. Selon le CPI, il s’agit de la mauvaise gestion du conseil d’administration et de la direction du Crédit Suisse et des divers scandales – y compris la complicité l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent et la corruption – qui, associés aux mauvais résultats des entreprises et à la rémunération variable élevée des dirigeants, ont conduit à une perte de confiance dans les marchés. Depuis l’été 2022, le Crédit Suisse s’est retrouvé dans une situation de plus en plus précaire, jusqu’à être au bord de la liquidation à la mi-mars 2023. Bref, il s’agissait d’une crise « auto-infligée » par la banque.

Les analyses du CPI montrent également que la direction du Credit Suisse a fait preuve d’une «réticence fondamentale» à l’égard des activités de la Finma. Malgré les nombreuses interventions de l’Autorité de surveillance et notamment les différentes procédures d’exécution, le Credit Suisse n’a réalisé « aucun progrès durable » en ce qui concerne le respect des dispositions en la matière. Même à la fin de l’automne 2022, alors que les problèmes ne pouvaient plus être ignorés, la direction de la banque a résisté « parfois avec véhémence » aux instructions de la Finma.

L’activité effective limitée de la Finma

Concernant cette dernière, son activité de surveillance, aussi assidue soit-elle, n’a été que d’une efficacité limitée et les scandales se sont succédés pour frapper le Crédit Suisse. Le CPI regrette que la Finma n’ait pas retiré la garantie d’irréprochabilité à la banque et ne comprend pas les raisons pour lesquelles, en 2017, elle lui a accordé d’importants avantages sur ses fonds propres sous la forme d’un filtre prudentiel. Malgré la légalité de ce filtre, l’ICC remet fondamentalement en question son adéquation: sans son application, les exigences prudentielles en matière de fonds propres n’auraient pas été respectées par le Credit Suisse de manière légère dès 2021 et de manière claire à partir de 2022.

Gouvernement et Parlement trop accommodants

La commission d’enquête critique également l’évolution de la législation « too big to fail » : à cet égard, le Conseil fédéral et le Parlement se sont montrés trop accommodants à l’égard des préoccupations des établissements bancaires lors de la mise en œuvre des normes internationales. Le gouvernement a accordé à plusieurs reprises à ces banques des périodes de transition plus longues pour de nouvelles évolutions législatives ou a été lent à proposer l’adoption de normes internationales.

Maurer a tardé à informer

Lorsque divers indicateurs de la situation économique du Credit Suisse se sont considérablement détériorés, les autorités ont activé leurs organes de coordination de crise à partir d’août 2022 et sont passées en mode crise en octobre. Le CCI estime que les principaux scénarios possibles ont été analysés. Il regrette toutefois qu’à ce stade, toutes les autorités concernées ne disposaient pas du même niveau d’information, ce qui aurait pu empêcher que des mesures décisives soient prises plus tôt.

Les premières informations sommaires sont parvenues au Conseil fédéral en août 2022 et l’ancien chef du Département fédéral des finances (DFF), Ueli Maurer, n’a informé le gouvernement en détail de la situation critique de la banque que début novembre. Cette communication « laisse beaucoup à désirer », critique le CPI. Par ailleurs, la passation de relais à la tête du département ne s’est pas déroulée sans heurts : il n’y a pas eu de véritable passation de pouvoir. Maurer et Karin Keller-Sutter se sont rencontrés le 19 décembre et le futur chef du DFF n’a reçu que de brèves informations orales sur la situation du Credit Suisse.

Crise mondiale évitée

À la mi-mars 2023, les autorités n’avaient pas encore terminé leurs investigations sur les différents scénarios. Cependant, grâce à un travail préliminaire approfondi mené depuis l’automne 2022, ils ont réussi à maintenir le Crédit Suisse solvable dès le déclenchement de la crise aiguë du mercredi 15 mars jusqu’au week-end et à éviter ainsi une crise financière internationale. Une fusion avec l’UBS était l’option privilégiée par toutes les autorités concernées. Compte tenu de l’issue incertaine des laborieuses négociations entre l’UBS et le Crédit Suisse, les autorités ont poursuivi, dans les jours de mars, diverses options en parallèle, plus précisément une restructuration, une nationalisation temporaire et, en ultima ratio, une fusion forcée. On ne sait pas exactement quelle solution aurait été mise en œuvre si la fusion d’urgence n’avait pas eu lieu. La CCI reconnaît le travail réalisé en mars 2023 par les autorités, qui ont réussi à éviter une crise financière mondiale, juge néanmoins essentiel de tirer les leçons de ce qui s’est passé, d’autant que c’est déjà la deuxième fois que l’État doit intervenir pour empêcher la liquidation d’une banque d’importance systémique. Le rapport sera examiné par le Parlement fédéral lors de la session de printemps 2025.

Critiques du Conseil fédéral à l’égard du rapport

S’appuyant sur une note de presse, le Conseil fédéral dit avoir pris note du document et fait savoir qu’il n’est pas d’accord sur certains points. Il considère entre autres comme infondées les critiques selon lesquelles les dispositions Tbtf n’ont pas été suffisamment renforcées et déclare qu’il s’est senti suffisamment informé lors de la négociation de la fusion d’urgence. Il critique enfin la collaboration avec la CPI et estime que le rapport présente des faits controversés ou des exemples sortis de leur contexte qui pourraient conduire à des « conclusions erronées ».

De son côté, la Finma salue la recommandation de la CPI de lui confier de nouvelles responsabilités. «Nous le demandons nous-mêmes depuis un certain -», déclare l’Autorité de surveillance dans une prise de position suite à la publication du document. Il accepte dans le même - les critiques exprimées par les commissaires: «Nous continuons à renforcer notre surveillance et à appliquer les leçons tirées du cas du Credit Suisse.»

L’expert

« Surveillance trop bureaucratique et juridique »

«Je dois encore approfondir le document, mais dès une première lecture sommaire, il apparaît comme une base de discussion très intelligente et bien conçue. Et ce qui n’était pas évident compte tenu de la complexité du dossier.» La prémisse est Carlo Lombardiniavocat et professeur de droit bancaire à l’Université de Lausanne, que nous avons contacté pour quelques réflexions sur le rapport de la commission d’enquête parlementaire. Le contenu général des 565 pages ne surprend pas Lombardini, qui considère avec amertume: «Ils confirment la totale naïveté de la direction du Crédit Suisse qui, malgré de nombreux signes indiquant que le train était sur le point de dérailler, a été prise par surprise». Quant au rôle de la Finma, «je peux comprendre les critiques formulées par la CCI, qui sont également largement acceptables, mais le gros problème est que l’activité de surveillance bancaire, non seulement dans notre pays mais partout, est victime d’une culture approche trop bureaucratique et juridique », dit Lombardini. Selon l’avocat, «la Finma aurait dû intervenir de manière plus incisive contre les dirigeants de la banque, à qui les actionnaires laissaient toute liberté d’action. Par exemple, il aurait dû faire sortir la personne qui conduisait le train des voies directement vers l’accident plutôt que de continuer à formuler des demandes qui n’ont pas été respectées. Cela n’aurait pas été une première, car dès 2008, la Commission fédérale des banques (CFB) avait demandé la destitution du président de l’UBS Marcel Ospel.» Pour Lombardini, il est positif que la Finma dispose de plus de pouvoirs comme le demande la CCI, « mais il faut aussi faire attention à ne pas trop la renforcer par rapport au rôle du conseil d’administration des banques, sinon le danger est qu’elle puis devenez responsable de ce qui arrive ».

“Naïf de penser que les problèmes peuvent être évités”

Selon le CCI, le Conseil fédéral et le Parlement se sont montrés trop accommodants à l’égard des préoccupations des établissements bancaires lors de la mise en œuvre des normes internationales dans l’élaboration de la réglementation « too big to fail » : n’est-ce pas une indication que dans notre système, caractérisé d’un première place financière, les banques ont-elles une totale liberté d’action ? «Je ne suis pas d’accord. Le problème est qu’il s’agit de questions très techniques et cela revient à la question suivante : il est nécessaire que le superviseur soit au moins aussi bon que la personne surveillée. En revanche, pour le professeur, c’est une illusion de penser que la régulation peut être une solution à tout: «Nous avions déjà les règles Tbtf, et nous aurions pu les appliquer au Crédit Suisse, mais nous sommes arrivés à la conclusion qu’elles ont été nuisibles. Le rapport dit que la nationalisation, qui pour moi aurait été la bonne solution, aurait calmé les marchés et rétabli la confiance, mais ils n’ont pas voulu l’adopter et le Conseil fédéral a manqué de courage en cela», juge le professeur. . «Il restait une entreprise saine, le Crédit Suisse, qui aurait pu et dû être sauvée, mais malheureusement cela n’a pas été le cas et la richesse a été détruite, ce qui a entraîné une grande perte pour l’économie suisse.» En dressant un classement, selon Lombardini «ils sont tous un peu coupables, mais à des degrés de gravité différents. Les premiers responsables sont le Conseil d’administration et la direction générale du Crédit Suisse, suivis par les actionnaires, puis la Finama et le gouvernement pour avoir quitté «couler la banque»».

Que faut-il faire pour éviter qu’une situation similaire ne se reproduise, sans parler de la seule banque d’importance systémique mondiale qui subsiste en Suisse et à laquelle personne d’autre ne pourrait venir à la rescousse ? Pour Lombardini, les marges d’action politique sont limitées : « Nous devons être conscients que l’activité bancaire est par nature risquée et qu’il est très difficile de bien la faire. Quel que soit le type de mesures, des problèmes peuvent toujours survenir et il est naïf de croire qu’ils peuvent être évités « tout court ». Nous ne pouvons qu’espérer qu’ils ne couleront pas le pays, en étant attentifs aux signaux et surtout en veillant à ce qu’ils disposent de personnes compétentes et réalistes à la tête de la banque.»

 
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