Vern Cotter s’est longuement exprimé quelques mois après son premier titre avec les Bleus. Toujours lié à la France, le sorcier néo-zélandais est revenu en France le 14 novembre, pour le match du XV des All Blacks contre la Géorgie.
Êtes-vous redescendu de votre nuage, cinq mois après la victoire finale des Bleus en Super Rugby ?
C’est un voyage vraiment spécial… Je suis rentré en Nouvelle-Zélande après mon expérience d’entraîneur aux Fidji et j’ai eu la chance que les Bleus m’offrent un emploi. Je n’avais plus entraîné depuis 2006 en Nouvelle-Zélande et ils m’avaient déjà contacté en 2011. Je suis né à Auckland, donc cette fois les planètes étaient alignées. Je suis très heureux d’entraîner les Néo-Zélandais, c’est beaucoup plus naturel pour moi. Les explications sont plus simples qu’en France, en Ecosse ou aux Fidji. Le simple fait de regarder quelques joueurs mettra tout le Monde au courant. A mon arrivée, à l’automne 2023, j’ai découvert que les Bleus avaient une équipe très compétitive mais qu’ils n’avaient plus gagné depuis 2003. Je voulais compter sur cet esprit revanchard, avec un bon staff mais tout le monde me disait que les joueurs étaient des gros joueurs alors qu’en réalité ils sont très simples : ils jouent pour le maillot ! Il fallait juste trouver un moyen de jouer au rugby avec ces profils. On s’est éloigné des standards néo-zélandais, on a joué un peu comme les Français et les Irlandais et petit à petit, avec un peu de chance, on a trouvé notre voie. Pour nous, les rencontres rapprochées ont changé. Nous voulions remporter le titre en novembre et j’étais très heureux de cette victoire finale… Ils ne s’étaient pas vus depuis 21 ans ! Il y a aujourd’hui un nouvel engouement dans la région.
Nous sommes très fiers de vous pour avoir atteint ce résultat…
Les fans de Blues n’ont pas vécu ça depuis 21 ans, je le répète ! Il y a une certaine satisfaction, notamment pour les joueurs. Des dirigeants ont émergé, ont assumé leurs responsabilités et ont décidé que nous gagnerions. Et aujourd’hui tout le monde me dit qu’on va faire le double… (rires). J’ai regardé la finale de la LNR (NDLR : Australian Rugby League Championship) et je cherche les leçons de la domination des Penrith Panthers. Il faut repartir vite et reconstruire pour ne pas être déçu.
Allez-vous également vous inspirer de la saison qui a suivi le premier titre de Brennus à Clermont, en 2010, ou le rugby a-t-il trop changé ?
Le rugby n’a pas changé. Il faut respecter les bases et ne pas se perdre. Il ne faut pas oublier les fondations qui nous ont permis de gagner. C’est du béton, du béton, comme quand on construit une maison. Premièrement, les joueurs doivent être motivés et se forger une identité. En 2010, avec Clermont, nous avions une identité. En 2011, il était acceptable de perdre le Top 14 en demi-finale avec des joueurs en fin de carrière, mais cela ne suffisait pas. Nous voulions être champions d’Europe en respectant le Top 14, car chaque année nous étions en phase finale.
Dans chaque finale que j’ai jouée, je savais pourquoi nous avions perdu. Mes responsabilités sont nombreuses
Vous avez perdu cinq finales dans votre carrière d’entraîneur, aviez-vous peur de voir revenir certains fantômes ?
Bonne question… J’ai joué dix finales et j’en ai remporté cinq, entre les Crusaders, Clermont, Montpellier et les Bleus. Tout le monde reste concentré sur le résultat, mais les paramètres montrent aussi un taux de réussite : même si nous ne gagnons pas de finale, il y a des processus qui démontrent que nous nous améliorons d’année en année. C’est la chose la plus importante. Dans chaque finale que j’ai jouée, je savais pourquoi nous avions perdu. Mes responsabilités sont nombreuses. En 2009, contre Perpignan par exemple, j’avais dit aux joueurs de ne pas répondre à l’agressivité des Catalans, et c’était une erreur car nous étions dominés dans la lutte. L’année suivante, je leur ai dit : « on s’en fiche de ce que dit l’arbitre, il faut y aller ! ». Et j’ai bien fait… (rires)
Y a-t-il moins de pression pour les résultats en Super Rugby qu’en Top 14 ?
La pression est différente, mais elle est toujours là. C’est une compétition internationale, donc il y a des tensions quand on voyage en Australie ou aux Fidji. Cette année, la densité sera encore plus forte en raison de la disparition des rebelles de Melbourne. Les équipes australiennes vont logiquement se renforcer. Mais la pression est positive alors qu’en France c’est plus complexe.
C’est à dire ?
Le système de promotion-relégation et le respect du quota Jiff sont deux facteurs qui mettent davantage de pression sur les clubs. Mais le système français fonctionne bien !
En plein automne, sans compétition, comment rythmez-vous vos journées ?
J’ai regardé le championnat provincial de Nouvelle-Zélande, j’ai aussi parlé à des écoles d’Auckland pour parler de mon expérience d’entraîneur. Nous sommes liés à notre territoire. C’est un mode de vie. Sinon, j’ai passé du temps à la ferme ; C’est ici que je me ressource, avec mes vêtements de campagne.
Lors de la Coupe du monde 2023, vous étiez consultant pour la Roumanie. Qu’avez-vous appris de cette expérience ?
C’était énorme. Quand j’ai fini avec les Fidji, World Rugby m’a demandé d’aider en Roumanie et j’ai vraiment aimé ça. Ils ressemblent un peu aux Français, à certains égards. Il y a ce côté un peu latin dans leur mentalité. Pour eux, le rugby est très important. Lorsqu’ils m’ont contacté, ils n’avaient presque que des amateurs et, franchement, coacher sans la pression du résultat était une expérience magnifique. Je me suis beaucoup amusé. Nous avons eu la chance d’avoir l’Irlande et l’Afrique du Sud dans notre groupe. Heureusement, car nous avons pu apprendre de leur précision et de leur puissance. C’était très inspirant. Il m’a donné beaucoup d’idées avant que je revienne chez les Bleus.
Avez-vous une belle histoire à raconter ?
Avec toute l’équipe nous avons visité les châteaux Petrus et Cheval Blanc à Bordeaux, c’était génial ! Nous avons passé un très bon moment (rires).
N’avez-vous pas été déçu de ne pas succéder à Ian Foster à la tête de la Nouvelle-Zélande après la Coupe du Monde ?
Non, je suis content d’être avec les Bleus, ils m’ont donné une belle opportunité. Mais si je peux donner quelques conseils à d’autres coachs, ce serait bien. Maintenant que je suis en Nouvelle-Zélande, je suis un peu impliqué avec les All Blacks, de manière informelle. Je ne veux pas être l’entraîneur de la Nouvelle-Zélande, je veux juste que les Noirs jouent bien.
Vous êtes également revenu en France pour le match entre la Géorgie et le XV des All Blacks à Montpellier. Pour quelle raison ?
J’aurais aimé revoir certains de mes joueurs et quelques amis, mais aussi assister aux matchs du Top 14, à partir du 23 novembre. Je veux savoir comment le championnat français a évolué et dans quel sens, depuis mon départ de Montpellier en 2020. Le rugby français a une génération énorme depuis plusieurs années et je veux voir si c’est pérenne. Mais la dynamique est positive !
La France vous manque ?
OUI. On m’appelle chaque semaine et il ne me reste plus qu’une vingtaine de bouteilles de bon vin, je dois donc en rapporter ! (rires) J’ai passé vingt ans en France, on en parle souvent dans ma famille, en fait nous avons tous la nationalité française. A ma retraite, l’idéal sera de passer six mois en France et six mois en Nouvelle-Zélande.
J’ai eu des discussions sérieuses avec Perpignan, avec le Racing 92 également, mais il a été plus discret
Regardez-vous toujours le Top 14 ?
Évidemment. Le match entre Toulouse et Bordeaux-Bègles cela m’a beaucoup marqué, par exemple. J’espère que cette dynamique continuera à se transmettre au XV français. Je regarde aussi Clermont, qui a eu du mal à revenir dans le haut du classement ces dernières saisons. Mais ils se rebellent !
Suivez-vous Clermont et Montpellier avec une attention particulière ?
J’ai des amis qui m’appellent régulièrement depuis Clermont. Aurélien Rougerie fait partie du staff, Brock James est entraîneur à Bay of Plenty… Maintenant que je suis plus âgé, c’est intéressant de voir les joueurs que j’ai entraînés assumer ce rôle. Peut-être qu’ils comprendront pourquoi je me suis embêté à l’entraînement… Aujourd’hui, l’ASM doit trouver un bon moyen de récupérer. Ce sera fascinant de voir comment ils le font. Ils doivent trouver des dirigeants et recommencer à s’unir autour d’une identité. Il y a une grande culture chez ASM. A Montpellier, j’ai l’impression de ne pas avoir fini le travail que j’ai commencé en ne remportant pas le championnat de Brenno.
Quelles équipes vous passionnent le plus ?
Yannick Bru fait un excellent travail à Bordeaux. C’est un excellent entraîneur. Quand j’ai vu la puissance de leurs impacts contre Toulouse… (respire) Ils ont mis la barre haute face à l’adversaire qui les avait clairement battus en finale, c’était fort. La saison est longue mais ils ont fait des premiers ajustements intéressants. Toulon est aussi à surveiller, je vais voir comment La Rochelle va trouver les ressources pour remporter le Top 14… Honnêtement, ce championnat est tellement excitant. Nous regardons évidemment ce que font Toulouse et l’UBB, pour trouver de l’inspiration et de nouvelles idées dans notre système à Auckland.
Avant la saison 2023-2024, est-il vrai que vous étiez sur le point de signer à Perpignan ?
J’ai eu des conversations avec le président François Rivière. Je respecte beaucoup l’USAP car avec Clermont nous avons gagné et perdu la finale contre eux. J’ai eu des discussions sérieuses avec Perpignan, également avec le Racing 92 mais il a été plus discret. Puis Franck Azéma est devenu disponible pour l’USAP et le choix de Franck était logique. Il rentrait chez lui et moi aussi, signant à Auckland. C’était un beau moment.
Souhaitez-vous revenir entraîner un club français ?
Je ne sais pas. J’aime la vie en France, j’apprécie ce pays et j’y retournerai. Mais j’ai beaucoup de travail à Auckland, je suis plus occupé que jamais. Je pense qu’à l’avenir, je préférerais assumer un rôle de conseil auprès d’un jeune coach ou d’une entreprise. Une sorte de vétéran après tout.
Des rumeurs concernant des discussions entre Harry Plummer, votre ouvreur, et Clermont circulent depuis plusieurs semaines. Qu’avez-vous à en dire ?
Harry a été génial cette saison ! Il y a une complicité folle entre nous. On peut compter sur lui, il a un excellent jeu au pied et il est aussi fort. Nous avons contacté plusieurs joueurs, c’est le jeu, mais c’est normal. Il reste encore un an à Harry sur son contrat avec nous, mais j’espère le garder deux, voire trois ans. Ensuite il y a une réalité économique du rugby à prendre en compte…
Quelque chose à ajouter ?
On a beaucoup parlé de titres et de finales… Si je regarde mon expérience en France, entre Clermont et Montpellier, on a toujours joué la phase finale avec sept finales disputées en dix saisons. Je n’en ai gagné que deux, si l’on compte le Challenge européen 2007, mais ce n’est pas mal pour un entraîneur étranger, non ?