« Cet accident a bouleversé la vie de Monsieur, en êtes-vous conscient ? » – .

« Cet accident a bouleversé la vie de Monsieur, en êtes-vous conscient ? » – .
« Cet accident a bouleversé la vie de Monsieur, en êtes-vous conscient ? » – .
Aldeca Productions/AdobeStock

Un salarié et son entreprise sont entendus devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour statuer sur leur responsabilité après un grave accident du travail sur un chantier, au cours duquel un homme a perdu un œil.

Le 25 octobre 2018, M. O. a été victime d’un terrible accident de travail lors d’une manœuvre sur un chantier de construction au Plessis-Robinson. Il est venu assister à l’audience qui se tient avant le 17e chambre criminelle du tribunal judiciaire de Nanterre, où doivent comparaître M. L. et la société S. qui l’employait. Tous deux doivent répondre du fait de fournir aux travailleurs des équipements de travail qui ne leur permettent pas de préserver leur sécurité.

L’avocat de Monsieur L. commence par demander la nullité sur plusieurs points du dossier. D’abord en remettant en cause le fondement des poursuites du parquet, mais aussi parce que l’entreprise n’a plus le même nom depuis quatre ans. Par ailleurs, Monsieur L. a dû se présenter en urgence aujourd’hui au tribunal, et donc reporter un interrogatoire. « Ce ne sont pas des conditions de représentation acceptables », argumente la défense. Insuffisant pour l’avocat des parties civiles : « Il n’y a pas de difficultés majeures, il s’agit seulement d’un changement de raison sociale. » Même son de cloche pour le procureur : « La société est capable de comprendre de quoi on l’accuse. »

Les faits allégués sont effectivement anciens. Lors d’un projet d’assainissement sur lequel M. O. travaillait, une tête de forage lui a heurté l’œil. L’inspection du travail est alors venue vérifier les conditions de travail et voir si l’entreprise n’avait pas manqué à ses obligations d’assurer la sécurité des travailleurs. Le juge souligne un point : il ne s’agit pas d’un cas de blessures involontaires. Il faut ici juger si M. L. et l’entreprise ont mis en danger les travailleurs de ce chantier.

“Je n’avais jamais entendu parler d’une barre de protection”

Une femme arrive à la barre, elle représente l’inspection du travail et vient répondre aux questions du juge. Sur place, après avoir soigné la victime, elle a pu constater que la buse de nettoyage était bel et bien sortie du regard. Elle n’a observé aucun système de protection ou de retenue. Elle mentionne également que M. L. a été convoqué à deux reprises par l’inspection du travail pour être entendu dans le cadre de l’enquête. Il ne s’est jamais présenté.

Monsieur O. est appelé à la barre. Le juge veut revenir sur cet accident qui a bouleversé sa vie, très précisément sur les conditions dans lesquelles il a travaillé sur ce chantier.

– « De quel type de protection disposiez-vous ?

– Aucun.

– Était-ce différent des autres chantiers sur lesquels vous aviez déjà travaillé ?

– Non. Je n’avais jamais entendu parler d’une barre de protection.

– Aviez-vous été formé aux mesures de sécurité ?

– Nous avions reçu des conseils de travailleurs plus expérimentés. »

C’est au tour de Monsieur L. d’être appelé à la barre. Pourquoi n’a-t-il pas répondu aux convocations de l’inspection du travail ? Il explique qu’il était en permission au moment des faits. Il estime donc qu’il n’est pas le mieux placé pour répondre aux questions sur les événements.

– « Mais vous disposez d’une délégation de pouvoir », rétorque le juge. Ne pensez-vous pas que l’inspection du travail a besoin d’entendre ce que vous nous dites ?

– Ma présence n’était pas suffisante pour répondre à ces questions.

– Il est très rare que des personnes ne répondent pas à ces convocations. L’inspection du travail n’a pas pu comprendre ce qui s’était passé. Comment voulez-vous faire comprendre ce que vous nous dites ? Vos conseils ne vous l’ont-ils pas dit ? »

Monsieur L. avoue qu’il n’a pas raisonné de manière « très cartésienne » : « Je n’imaginais pas me retrouver face à vous. » La juge veut comprendre son rôle sur les chantiers : « Comment vérifier que ça se passe bien ? Comment faire en sorte que cet incident ne se reproduise plus ? » Monsieur L. se lance dans une explication détaillée de son rôle, de sa place dans la hiérarchie. La juge s’impatiente face à cette prévenue qui semble éviter ses questions.

– « Mais au fait, que fais-tu ? Qu’avez-vous mis en place ? Qu’est ce qui a changé ?

– Le CHSCT s’est réuni, c’est le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail qui doit au sein de l’entreprise…

– Je sais ce qu’est un CHSCT !

– Ce que nous avons fait, c’est de prévenir les flashs sur les conditions de forage, pour que les opérations soient réalisées sous pression progressive, pour pouvoir vérifier l’état des têtes. Il y avait un groupe sur la protection des yeux pour empêcher les têtes de sortir. »

Les explications sont très techniques. Le juge s’intéresse également à sa présence ou non sur le terrain. Monsieur L. commence par une présentation des rôles dans la hiérarchie de l’entreprise. Le juge n’est plus intéressé :

– « Nous, nous, nous, société, société… Je vous le demande, qu’est-ce que vous faites ! »

Monsieur L. se ressaisit, explique ses visites mensuelles pour documenter les conditions de sécurité.

« Pensez-vous que Monsieur était suffisamment formé ? »

« Cet accident a bouleversé la vie de Monsieur, en êtes-vous conscient ? », demande l’avocat de la partie civile. La réponse est d’une franchise déconcertante : « À vrai dire, non. »

– « Avez-vous été en contact avec lui ?

– Je ne le connais pas personnellement. Avec les ressources humaines, nous avons travaillé sur la manière de le réintégrer dans l’entreprise.

– Mais avez-vous de ses nouvelles ?

– Pas directement, mais via son manager.

– D’un point de vue administratif donc. »

L’avocat s’intéresse également à son action sur ce chantier réputé difficile, mais aussi à la place de Monsieur O.

– « Pensez-vous que Monsieur O., qui avait signé un CDI avec cette entreprise six mois auparavant, était suffisamment formé et encadré ?

– Je suis surpris par cette question. Les ouvriers ont été formés, ils ont leur FIS, ils sont formés à l’utilisation du véhicule, ils ont reçu du tutorat à Sainte-Geneviève-des-Bois sur l’assainissement. »

Son avocat souligne que les documents de formation ont été envoyés par l’entreprise. Aujourd’hui Monsieur L. n’est plus salarié de l’entreprise S. et suit une reconversion professionnelle dans la rénovation énergétique.

“Aucun élément ne pourrait assurer la sécurité de ce site”

L’avocat de la partie civile fait le point sur les solutions apportées par l’entreprise, repères de couleur pour évaluer le niveau des têtes, barres anti-renversement, qui ne sont cependant pas satisfaisantes pour le CHSCT. « Nous regrettons que cela n’ait pas été mis en place auparavant. » M. O. a déjà obtenu une provision de 15 000 euros pour son préjudice mais doit à nouveau s’adresser au centre social du tribunal judiciaire de Nanterre. En attendant, l’audience d’aujourd’hui doit évaluer la responsabilité de l’entreprise et uniquement cet aspect. L’avocat demande que M. L. et la société soient condamnés à verser chacun 5 000 euros à M. O.

Il s’agit d’un dossier lourd, rappelle le procureur de la République. La victime a reçu 60 jours d’ITT et a perdu un œil. Si cette audience ne doit porter que sur les infractions techniques, il remercie néanmoins M. O. d’être venu. « En fait, il n’y avait aucun élément pour assurer la sécurité de ce chantier, il n’y avait aucun moyen de voir que la buse sortait du regard. » Il requiert une amende de 2 000 euros pour M. L. et de 30 000 euros pour la société S.

Pour l’avocat de la défense, les circonstances de l’accident n’ont pas été caractérisées. « Le CHSCT n’a fait que des hypothèses sans les confirmer. » La barre tournante n’est pas convaincante, ni le dispositif de retenue qui n’est pas adapté à ce type de pression. Il demande une relaxe pure et simple et se dit gêné par le raisonnement avancé, comme si son client aurait dû être « omniscient et omnipotent ». « La réalité de la vie en entreprise, c’est qu’il reste un salarié avec un management au-dessus de lui, sa responsabilité est de déployer les règles de sécurité. Il effectuait des visites techniques, il n’a pas manqué à ses obligations à cet égard. »

Le prévenu a la parole. Il se tourne vers M. O. pour lui exprimer son « empathie ». Il semble à la fois sincère, sans vraiment savoir comment s’y prendre. « J’en profite pour vous souhaiter un bon rétablissement et vous dire qu’un poste adapté vous attend dans l’entreprise. »

Au cours du délibéré, le juge a rejeté les conclusions de nullité, et a reconnu la responsabilité des prévenus. Monsieur L. est condamné à une amende de 2 000 euros dont 1 000 avec sursis. L’entreprise est condamnée à une amende de 10 000 euros.

 
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