« Les travailleurs frontaliers peuvent reprendre confiance »

« Les travailleurs frontaliers peuvent reprendre confiance »
« Les travailleurs frontaliers peuvent reprendre confiance »

Alors que les recours judiciaires se sont multipliés sans succès au Luxembourg pour reconnaître le droit aux allocations familiales aux enfants non biologiques des travailleurs frontaliers, la Cour de justice de l’UE devra finalement trancher la question. « Très bonne nouvelle » pour les plaignants.


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“C’est une très, très bonne nouvelle”, se réjouit Maître Pascal Peuvrel, avocat au sein du cabinet Jurislux, à propos d’un récent arrêt de la Cour de cassation luxembourgeoise relatif au droit aux allocations familiales pour les enfants non biologiques de travailleurs frontaliers. Jeudi 25 avril, cette dernière a en effet adressé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’UE (CJUE), confiant à la juridiction européenne le soin de trancher cette question très controversée.

Pour rappel, l’affaire a débuté en 2016 avec l’adoption d’une loi par la Chambre des députés supprimant le droit aux allocations familiales pour les enfants non biologiques des frontaliers. En pratique, cette évolution concerne les familles recomposées : par exemple, un homme, frontalier, épouse une femme qui a des enfants issus d’une précédente union. Dans un tel dispositif, avant 2016, les enfants avaient automatiquement droit aux allocations familiales. Mais, depuis la loi de 2016, le Fonds pour l’avenir de l’enfance (CAE), chargé d’octroyer les allocations familiales, refuse de les octroyer.

« Un tollé général »

“C’était un tollé général à l’époque”rappelle Pascal Peuvrel, qui soutient les procédures lancées par les frontaliers concernés. « Ce n’était d’ailleurs pas la première attaque contre les travailleurs frontaliers, qui avaient déjà été maltraités auparavant sur des questions liées aux bourses. » En effet, dans le même temps, le droit aux allocations familiales pour les résidents luxembourgeois n’est pas contesté. Or « les frontaliers contribuent autant que les résidents au système luxembourgeois »se souvient l’avocat.

Les procédures judiciaires et les recours se sont alors multipliés contre les décisions de l’EAC, jusqu’à un arrêt de la CJUE du 2 avril 2020 : le juge européen a alors estimé que la loi luxembourgeoise est discriminatoire, notamment parce qu’elle constitue une atteinte à la libre circulation des travailleurs.

Une question d’interprétation

Si l’affaire semble close, le CAE continue néanmoins de refuser le droit aux allocations familiales aux enfants non biologiques des frontaliers, s’appuyant cette fois sur une interprétation très stricte de l’arrêt de la CJUE. Le juge européen conditionne en effet l’octroi des allocations familiales au fait que le frontalier subvienne effectivement à l’entretien des enfants. Toutefois, cette notion peut être interprétée de différentes manières. « Pourvoir à l’entretien de l’enfant peut être partiel ou total »explique Pascal Peuuvrel.

La question est donc : à partir de quel niveau de contribution financière du parent non biologique le droit aux allocations familiales se déclenche-t-il ? Est-ce suffisant de contribuer au financement de vos études ? Payer en partie le logement où vit l’enfant ? “Ce serait une interprétation large” estime Pascal Peuuvrel. L’interprétation stricte étant que le travailleur frontalier doit prouver qu’il couvre tous les besoins de l’enfant. “C’est en soi assez ridicule : comment circonscrire tous les besoins de l’enfant ?” demande l’avocat. “Cela pourrait signifier que si le parent biologique – celui qui n’a pas la garde des enfants – paie une pension alimentaire, alors les besoins de l’enfant sont couverts.”

Pourvoi en cassation puis renvoi préjudiciel

Suite au jugement européen de 2020, le CAE choisit donc une interprétation stricte. Les recours juridiques se multiplient à nouveau. Mais cette fois, le juge de première instance, en l’occurrence le Conseil arbitral de la sécurité sociale, a donné raison aux plaignants et a contredit le CAE. Mais pas le Conseil supérieur des assurances sociales, qui, en appel, les rejette dans tous les cas. “C’est systématique : on gagne en première instance et on perd en appel, au point que cela devient gênant”, remarque Pascal Peuuvrel.

Malgré tout, il n’a pas abandonné : « Par attrition, de nombreuses personnes ont abandonné les procédures, mais, de notre côté, une quinzaine de personnes ont décidé de se pourvoir en cassation. En attendant cette décision du 25 avril de la Cour de cassation de poser une question préjudicielle à la CJUE sur l’interprétation de la notion de “pourvoir à l’entretien des enfants”.

Espoir d’une issue favorable

Il faudra désormais attendre au moins un an pour que la CJUE se prononce, ce qui mettra un terme, dans un sens ou dans l’autre, à la polémique, la décision du juge européen étant contraignante pour le juge national. Mais, en tout cas, «ça apaise le cœur et permet de revoir la lumière au bout du tunnel», se réjouit Pascal Peuvrel. « Les juges d’appel supprimaient l’affaire au niveau national. Le juge de cassation a finalement eu l’intelligence et l’impartialité de demander un avis complémentaire au juge européen.

Dans l’attente de la décision européenne, les procédures en cours sont suspendues. Mais, désormais, «les frontaliers peuvent reprendre confiance et espérer une issue favorable», estime l’avocat, également président de l’association des frontaliers luxembourgeois, Les Flux. « Travailleurs frontaliers, n’abandonnez pas, poursuivez vos démarches si vous les avez commencées », il conseille. “Et si jamais vous avez perdu ou subi un refus contre lequel vous n’avez rien fait, déposez à nouveau votre dossier.”

Pierre Pailler

 
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